CM1 théorie énonciation PDF

Title CM1 théorie énonciation
Course Enonciation
Institution Université Paul-Valéry-Montpellier
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1er cours magistral d'énonciation...


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ÉNONCIATION : CM séance 01

A. LA LINGUISTIQUE ÉNONCIATIVE : UNE LINGUISTIQUE DE « DEUXIÈME GÉNÉRATION » En dégageant clairement la notion de « système » de la langue comme code ne contenant pas directement d’indications sur l’usage et les faits observables (soit : la « parole »), Saussure a clairement opéré en linguistique une « coupure épistémologique » souvent comparée à celle que Newton a imposée dans le domaine de l’astronomie. La linguistique a pu asseoir sa scientificité sur cette rigueur de traitement qui a servi de socle à d’autres disciplines vouées à l’étude de l’Homme, du Sujet ou de la Société. C’est pourtant aussi de cette base essentielle que va se départir la linguistique énonciative au cours du XXème s. Au fond, les grands courants rationalistes ont eu le mérite de distinguer clairement la nature des problèmes soulevés par l’utilisation du langage. On relèvera toutefois deux grandes contradictions théoriques qui traversent les approches précédentes, qui sont en quelque sorte entretenus à la fois par la linguistique structurale et la grammaire générative et qu’on pourrait résumer comme deux grands « mystères » à lever : -

l’énigme de l’idéal abstrait du système et son appropriation par le sujet ;

-

l’énigme du passage du code au discours, de la langue à la parole.

Vers le milieu du XXème s., certains linguistes et philosophes du langage ont réfléchi plus précisément à ces problèmes. Deux grandes traditions ont, à partir de perspectives différentes au départ, œuvré en ce sens : le courant pragmatique et la théorie de l’énonciation l’énonciation. On commencera par aborder les apports de cette dernière avant d’envisager la précédente et d’examiner les convergences qui ont mené aux démarches communes au cours des vingt dernières années.

Voir, en TD, le diaporama : Trad itio ns énon ci ativo pra gm a t ique s

1. La théorie de l’énonciation Elle est née en domaine francophone, sous l’égide d’Émile Benveniste (1966 et 1974) et, dans une moindre mesure, de certains précurseurs comme Ch. Bally (l’un des disciples suisses de Saussure) ou G. Guillaume. L’héritage de ces trois auteurs de même que celui, respectif, d’O. Ducrot ou d’A. Culioli, se mêlera, non sans difficulté, dans les travaux ultérieurs, qui s’en inspireront. Nous aborderons certaines précisions sur ce point en TD. Précisons toutefois d’abord que le courant énonciativiste maintient un certain « cap » théorique en reconduisant la distinction entre des pratiques langagières observables et la langue, conçue comme un objet théorique élaboré pour rendre compte, précisément, de l’observable. Mais, contrairement à Saussure, Benveniste défend l’idée que la langue contient des indications utiles à l’acte de parole, des allusions à l’usage. Cette différence est bien évidemment fondamentale. Elle consiste d’abord à prendre en considération le sujet et sa participation dans l’usage qu’il fait de la langue. Nous ferons ainsi de la citation suivante de Benveniste notre première définition de l’énonciation. D é f iin n i ttii on ( 1 ) 

« L’é no ncia tio n e st ce tte m ise e n fo nctio nne m e nt d e la la ngue pa r un a cte iind nd iv id ue l d ’uti ’utilisa lisa tio n » (Benveniste, 1970/1974 : 12)

L’objet de la linguistique énonciative, à partir de l’opposition fondatrice discours (marques de la subjectivité de l’énonciateur) / histoire (récit) (absence de marques subjectives dans l’énonciation historique) devient l’analyse de tous les éléments qui permettent de rattacher un énoncé à un locuteur et à un moment donnés mais aussi de comprendre la manière dont ce locuteur met en scène d’autres voix que la sienne (discours rapporté, notamment).

 cf. infra 2.3 : Les plans d’énonciation

l’énonciation a) L’appareil formel de l’énonciati on 1 Ainsi, des formes grammaticales, des mots du lexique, des tournures, des constructions syntaxiques : autant d’éléments qui relèvent des faits de langue, contribuent à installer, par leur usage, des relations spécifiques entre interlocuteurs. De ce fait, le code (la langue ) n’est plus considéré comme le simple moyen de transcrire les contenus symboliques (les messages) et transmettre de l’information mais avant tout comme un « répertoire de comportements sociaux » (Ducrot, 1984). On peut proposer la schématisation suivante comme canevas de réponse à notre double « mystère » : str uct ure l ingu i sti que

énon cé

(la phrase, entité abstraite de la langue)

(occurrence particulière)

énon cia tio

(« événement historique que constitue l’apparition d’un énoncé » - Ducrot)

Retenons, au passage, cette deuxième définition de l’énonciation, proposée par Ducrot : D é f iin n i ttii on ( 2 ) 

« Év é ne m e n t histo riq ue q ue co nstitue l’a ppa rit ritio io n d ’un é no ncé » (Ducrot, 1993)

On voit que l’ajout d’un niveau de compréhension au rapport entre l’« algèbre » de la langue et la manifestation singulière de la « parole » sous l’énoncé, propose bien une hypothèse de traitement du passage de l’une à l’autre. Cette idée recouvre une notion plus ancienne, celle de l’ actualisation, au sens de passage du virtuel de la langue au réel du discours. Cela étant, et de façon encore un peu générale pour l’instant, on considèrera que l’énonciation repose sur les procédés linguistiques par lesquels un locuteur : - imprime sa marque à l’énoncé, - s’inscrit dans le message (implicitement ou explicitement), - se situe par rapport à l’énoncé (« distance énonciative »).

 Arrêtons-nous un instant sur ce que ces observations impliquent. Commençons par nous accorder sur le vocabulaire technique. Nous réserverons désormais le terme de locuteur pour celui qui parle : c’est, proprement, un être concret de parole, ou, si l’on préfère,  Locuteur : celui qui exerce son droit à la parole, dans le cadre de son tour de parole… Ce locuteur, on le verra du lat. loquor plus loin, porte un être symbolique de langage, qui va plus précisément marquer l’énoncé de sa « je parle », « je présence : un énonciateur énonciateur. Ce dernier est donc à comprendre comme un sujet d’énonciation profère » qui va pouvoir s’inscrire dans l’énoncé en y laissant les marques linguistiques que nous venons d’évoquer. Le cas du discours rapporté peut faire comprendre cette relation entre énonciateur et locuteur. (1) J’adore quand tu parles de « prendre des résolutions » : chaque année, elles sont oubliées fin janvier ! Dans cet énoncé, un premier locuteur – appelons-le L1 – qui dit JE, s’adresse à un interlocuteur (TU = L2) dont il reprend les paroles. « Je » suggère aussi un point de vue, par exemple ironique, sur la portée des propos attribués à « tu » : cette voix moqueuse qui dit, au sens propre, le contraire de ce qu’elle sous-entend montre que le parleur confie sa voix à un énonciateur-évaluateur (É1). De même, on voit bien que L2 n’est que représenté dans l’énoncé de L1-É1 : même fidèlement reproduites, ses paroles ne sont assumées que par un avatar, un second énonciateur dans l’énoncé : É2. On peut schématiser ainsi : L1 > É1 > L1(É1)  L2(É2)

⚠ Cela devient un peu compliqué : c’est d’ailleurs pour cela que les linguistes ne sont pas tous d’accord sur l’emploi respectif des termes Locuteur / Énonciateur. Reprenons, pour tenter d’y voir clair : en fait, même si le sujet parlant (le locuteur physique en exercice) est à l’origine de la prise de parole, une fois cette dernière engagée, c’est 1 Expression empruntée à un célèbre article fondateur de Benveniste.

en tant qu’énonciateur (sujet d’éno d’énonciation nciation ) qu’il dit je et qu’il renvoie à un tu. Les locuteurs qui vont dès lors se trouver représentés deviennent par conséquent, des sujets d’énoncé d’énoncé. Nous aurons, bien entendu l’occasion de revenir sur ces importantes distinctions.

Les marques de la présence du locuteur/ énonciateur seront de la sorte préférentiellement recherchées dans : - les embrayeurs ( shifters) ; - les modalisateurs ; - les termes évaluatifs. Nous aurons évidemment à définir ces trois catégories mais on peut retenir pour l’instant qu’il s’agit d’un ensemble d’indices qui montrent comment s’inscrit le sujet d ’énonciation dans son énoncé. Ces indices sont composés d’unités linguistiques qui servent en quelque sorte au locuteur à convertir la langue en discours, après se l’être appropriée. Ces formes, ces signes linguistiques constituent un sous-système que Benveniste appelle, comme on l’a vu, l’« appareil formel de l’énonciation ». b) Principes et démarche démarcheNotre principale investigation consistera à essayer de repérer de tels indices, à travers les unités linguistiques correspondantes. Cette méthode correspond à l’approche de Benveniste, à son invitation à constituer une « linguistique de deuxième génération ».

cf. fiche TD « Méthode de travail »

Il est temps de préciser un peu plus précisément, à ce stade de notre progression, ce que nous entendons par énonciation, non plus au sens commun mais dans une optique plus technique, celle que les travaux de recherche en linguistique ont affinée au fil de plusieurs décennies de réflexion. Il se trouve que les approches, même si elles finissent par se croiser, ont parfois développé des points de vue distincts, pour ne pas dire contradictoires, sur cette question difficile. Nous prendrons désormais appui sur la troisième définition suivante de l’énonciation, empruntée à J.-M. Barbéris2 : D é f iin n i ttii on ( 3 ) 

A cte phy siq ue e t m e nta l d e pr pro o d uctio n d u m e ssa ge linguistiq ue (Barbéris 2001 :103

L’énoncé sera donc envisagé comme le résultat de cette mise en œuvre qui fait intervenir à la fois une activité d’extériorisation (élocution / écriture) et des processus cognitifs reposant sur la faculté du cerveau à mémoriser et à anticiper3 . Pour compléter, il faut associer au couplage énoncé / énonciation la distinction entre énoncé-type et énoncéoccurrence. En tant que type, un même énoncé peut se retrouver dans des situations variées mais en tant qu’ occurrence il est assumé par une énonciation à chaque fois distincte. Ce principe sera repris au cours du TD.

Article : « énonciation », Termes et concepts pour l’analyse du discours : une approche praxématique, p. 103. Il est vivement recommandé de mettre en relation ce cadre définitoire et les précisions portées dans la séance du TD 05 :  « énonciation et actualisation ». 2

3

CONCLUSION DE LA SÉANCE  Les principes énonciativistes qui seront développés dans ce cours reposent sur une démarche analytique, laquelle prend elle-même appui : (1) sur une modélisation théorique ; (2) sur des observations de faits linguistiques ; (3) sur la mise en relation de (1) et de (2) en vue de rendre compte des fonctionnements systématiques de données discursives. Le tout consiste à différencier : « la langue comme répertoire de signes et système de leurs combinaisons » de « la langue comme activité manifestée dans des instances de discours » (Benveniste, 1966 : 257) À travers la notion d’ instance de discours (marquée par l’indice personnel subjectif : JE ), Benveniste replace la subjectivité au centre de la théorie énonciative, qui ne se contente plus d’étudier les rapports abstraits du système de la langue. Il s’agit bien d’examiner la relation entre le sujet et sa langue, sans le restreindre à sa parole. C’est ce rapport qui éclaire précisément notre énigme de départ. S’approprier la langue, en effet, c’est d’abord énoncer je : à partir de cette énonciation, le rapport au monde, à l’autre ( tu ) et le point de vue du sujet peuvent se construire. De façon plus générale, en réintégrant le sujet parlant et les conditions de l’énonciation dans l’analyse linguistique, celleci a été conduite à reconsidérer la manière dont on produisait le sens : non plus seulement à partir de déterminations de la langue mais en mettant en relation les formes de cette dernière avec le contexte dans lequel on y fait recours. Le discours, produit de l’énonciation, a été reconsidéré, à son tour, comme une source de façonnage de la langue et le lieu du formatage de l’interprétation par le récepteur.  L’approche des – plutôt que d’une seule ! – linguistiques énonciatives concerne plusieurs domaines, bien audelà du simple fait de rendre compte des structures de la langue. L’enjeu consiste bien en effet à dépasser les démarches structuralistes en linguistique qui se limitent à calculer la quantité d’information dans un texte. Informer, raconter, décrire, indiquer, enjoindre, désigner, interpeller, suggérer, argumenter pour convaincre et pour persuader mais aussi organiser sa pensée et sa formulation, aider à concevoir et guider l’interprétation : toutes ces mises en discours, parmi bien d’autres, relèvent de l’énonciation. Mais celle-ci, parce qu’elle supporte la communication, contribue à ce titre, à la fois à produire du sens et à relier les individus pour leur permettre d’agir, parfois en commun et, souvent, en étant constitutive de cette action. Aussi, l’énonciation est-elle foncièrement à mettre en relation avec le réel : elle est, en effet, l’un des moyens majeurs par lesquels les hommes communicants recourent à ce système de symboles qu’est la langue pour dire leur rapport à la réalité, la reconstruire ou construire, voire l’imaginer. Enracinée dans les moyens de la culture depuis l’invention préhistorique du langage, elle est aussi, par excellence, support de créativité. Aussi, s’efforcer de comprendre les fonctionnements énonciatifs, c’est appliquer et surtout étendre la rigueur de la linguistique non seulement à des faits de langue, de langage, de discours, d’interaction mais aussi à des observations qui relèvent de la psychologie et des sciences cognitives ou encore de l’anthropologie. Comment ne pas voir, par ailleurs, qu’il s’agit, au travers de cette intelligence de la langue, alternative à la grammaire prescriptive, d’en étayer la maîtrise ? On trouvera, en effet, sous les explications unifiantes des théories énonciativistes, l’accès à des valeurs de base éclairantes et à la gamme de leurs effets de sens en discours.

Référ ences bi bibl bl iogr aphiques (on se référera aussi à la bibliographie générale, accessible sur le site du cours)

 • BENVENISTE, É. (1958/1966). De la subjectivité dans le langage. In : Problèmes de linguistique générale , 258-266. • BENVENISTE, É. (1970/1974). L’appareil formel de l’énonciation. Langages 17, Larousse. Repris in : Problèmes de linguistique générale II, 79-88. • CERVONI, J. (1987). L’énonciation . Paris : P.U.F. [en particulier les pages 7-26]. • MAINGUENEAU, D. (1994). L'énonciation en linguistique française . Paris : Hachette [en particulier les pages 7-17].

 • BENVENISTE, É. (1946/1966). Structure des relations de personne dans le verbe. In : Problèmes de linguistique générale. 225-236. • BENVENISTE, É. (1965/1974). Le langage et l’expérience humaine. In : Problèmes de linguistique générale II , 67-78. • BENVENISTE, É. (1966). Problèmes de linguistique générale . Paris : Gallimard. • BENVENISTE, É. (1974). Problèmes de linguistique générale II. Paris : Gallimard. • CULIOLI, A. (1990). Pour une linguistique de l’énonciation. Opérations et représentations. Tome 1 . Paris/Gap : Ophrys. • JAKOBSON, R. (1952/1963), « Le langage commun des linguistes et des anthropologues », in Essais de linguistique générale, Paris, Minuit, 25-42. • KERBRAT-ORECCHIONI, C. (1999). L’énonciation : de la subjectivité dans le langage . 4e édition, nouvelle présentation. Paris : Armand Colin [en particulier les pages 13-37]. • MAINGUENEAU, D. (1981). Approche de l'énonciation en linguistique française : embrayeurs, temps, discours rapporté. Paris : Hachette. • ONO, A., (2007). La notion d'énonciation chez Émile Benveniste . Préface de M. Arrivé, postface de Cl. Normand. Limoges : Lambert-Lucas. [en particulier les pages 15-57]...


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