Exercice 2 - Grade: 10/10 PDF

Title Exercice 2 - Grade: 10/10
Course Sociologie - Introduction à la sociologie
Institution Institut d'Études Politiques de Paris
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Exercice d'étude de texte en sociologie sur la chanson Habitus de Rocé....


Description

Exercice 2 Sociologie En 2005, après les émeutes dans les banlieues qui mettent en place l’Etat d’Urgence, le député UMP François Grosdidier intervient à l’Assemblée Nationale en mettant en valeur la nécessité de que la justice « ne laisse plus impunément se créer chez les jeunes en quête de repères une véritable culture de la haine sociale et du racisme anti-blanc [dont j’attribue la responsabilité] à un véritable mouvement : des dizaines de chanteurs et de groupes propagent de telles idées. Les MP3 font office de moulins à prière. » Et cette citation n’est qu’un exemple des longs débats sur la musique rap qui ont eu lieu à l’Assemblée Nationale, qui sont allés jusqu’à une plainte déposée par un ministre de l’Intérieur Français contre un groupe musical. Ce genre musical subit ce qui est appelé par le sociologue Ferrell une criminalisation culturelle. En effet, comme genre considéré illégitime car il vient des catégories sociales les plus populaires, il subit constamment les attaques des catégories sociales supérieures, surreprésentées dans la classe politique. Ceci est surtout dû à ce que le sociologue Pierre Bourdieu appelle l’habitus. Il le définit comme « l’ensemble des manières d’être, l’ensemble des habitudes ou des comportements acquis par un individu, un groupe d’individus ou un groupe social ». En effet, par habitude, les catégories sociales populaires adoptent des attitudes différentes et ce que Bourdieu appelle des goûts de classe. Ces goûts et attitudes servent à différencier les classes supérieures et populaires entre elles en légitimant les goûts des premières. Rocé, un rappeur français, publie en 2013 Habitus, chanson dans laquelle il va présenter la théorie de Bourdieu et ses conséquences du point de vue d’un artiste de ce genre qui subit l’attaque constante des détenteurs du goût légitime. Nous pouvons alors nous demander dans quelle mesure le médium, un genre dit illégitime, est utilisé pour donner une vision de l’habitus bourdieusien par les classes populaires. Nous verrons dans un premier temps la définition de l’habitus et les illustrations que Rocé utilise, puis dans un deuxième temps nous étudierons le médium utilisé et dans quelle mesure il peut poser une limite à la définition du concept – en même temps qu’il offre une vision engagée de la domination culturelle.

Rocé commence sa chanson en faisant une liste de l’ensemble des dispositions que la classe populaire doit subir. Les dispositions en sociologie sont « l’ensemble des structures cognitives des individus qui orientent, voir déterminent leurs actions, dans un contexte donné ». Pour Rocé, les personnes issues des classes plus populaires, notamment des banlieues, sont disposés à subir une stigmatisation continue de la part des institutions : fouilles, tutoiements, manques de respect. Il observe que ceci est dû à un ensemble de caractères propres aux membres des catégories sociales populaires qui font qu’ils sont reconnaissables et, selon ces institutions, plus à même à commettre un crime. Il se demande alors pour quelle raison ces dispositions propres à ce groupe social se maintiennent chez les individus alors même qu’ils « sort de l’horizon » populaire. Il explique alors que ceci est dû à l’habitus. En effet, la théorie bourdieusienne pose que l’habitus est un ensemble de prédispositions de l’individu, qui, lors de sa socialisation primaire, va adopter des structures de comportement, qui sont structurées car elles dépendent du groupe social duquel

provient l’individu, et qui structurent ainsi l’ensemble des relations sociales. Et surtout, qui sont durables. Ces habitus sont ensuite hiérarchisés. Il explique qu’entre le jeune issu des banlieues et le jeune issu d’un milieu social favorisé « seul un portera le poids de son habitus ». Il fait ici référence au concept de légitimité culturelle de Pierre Bourdieu. En effet, les classes dominantes, ont accès au champ politique et arrivent à s’y maintenir. Elles ont alors accès au méta-capital étatique, un ensemble de capitaux qui donne du pouvoir sur le reste des capitaux, notamment le culturel, et permet ainsi de les structurer, en légitimant un certain type de capital culturel sur d’autres. Malgré le fait que les classes supérieures soient elles aussi « aliénées » et par conséquent déterminées par leur milieu social, cette aliénation représente pour elles un avantage culturel. Les illustrations que Rocé présente à cet avantage culturel sont des avantages dans le choix de l’emploi, ou des difficultés à se faire entendre pour ceux qui n’en disposent pas (« Il faudra que tu parles bien ou que tu parles fort »). Dans un deuxième temps il explique la raison et les conséquences de l’habitus. Il explique que chaque quartier a des normes sociales propres, et différentes à celle des autres, c’est donc une sous-culture. Cette sous-culture transmet aux jeunes en pleine socialisation primaire, et au début de leur socialisation secondaire, cet ensemble d’habitus. En effet, dans les banlieues, l’école ne ferait qu’augmenter les inégalités. Elle mettrait en relation des enfants issus d’un même milieu social défavorisé, qui continuent de renforcer leur habitus. Ainsi, à la place de participer à la fin des inégalités, elle les rend plus fortes. Les enfants, influencés par leur milieu, voudraient « parler comme des bandits », puisque c’est la norme sociale de leur milieu. Ils adoptent alors selon Rocé un langage propre des milieux défavorisés, mais aussi adopteront des comportements propres à leur milieu. Ceci affectera donc dans leur mariage, dans le choix qu’ils feront pour le nom de leurs enfants, sur le choix de l’école, sur le genre de musique écoutée… Ceci provoque donc un décalage entre les différents milieux sociaux : un jeune se sentira toujours plus à l’aise dans le milieu dans lequel il a grandi et dont il a incorporé les normes. Finalement, il termine sa chanson sur son opinion, plus engagée. Il explique le paradoxe de la différenciation par l’habitus, dans la mesure où l’ensemble d’une population se ressemble biologiquement, mais aussi dans une certaine mesure culturellement, et que seul un « accent en fin de phrase » provoque alors une différence qui implique la stigmatisation et la mise à part d’un groupe social plus populaire. Il explique alors que ces personnes issues des classes dominantes n’ont aucun mérite à être nées dans ce milieu, mais qu’elles ont un avantage dans la « guerre du langage ». Ici, il fait référence au concept bourdieusien de violence symbolique. En effet, pour Bourdieu, l’ensemble du champ social est poussé par une dynamique de lutte pour sa reconfiguration par l’accès au champ politique. Les classes sociales dominantes, qui occupent donc le champ politique, ont accès à l’État qui aurait le « monopole de la violence symbolique légitime ». Ils l’utilisent donc pour renforcer leur légitimité culturelle en délégitimant la culture des autres. Ainsi a lieu ce que Bourdieu appelle une production de croyance, les classes populaires se voient inculquer la croyance que leur habitus est vulgaire ou inférieur, et se sentent ainsi inférieurs, la domination apparaît alors légitime et logique pour tous.

Quel est donc le but de Rocé en écrivant cette chanson ? Rocé utilise un médium particulier : il utilise un genre musical considéré illégitime dans la théorie bourdieusienne, un genre musical qui subit de surcroit une criminalisation continue, pour faire passer un message engagé. Le message qu’il essaye de transmettre est que les classes dominantes le sont car il y a acceptation commune dans le cadre de la violence symbolique qui s’exerce. Elles ne sont pas biologiquement supérieures, leur

culture, comme toute culture est légitime, et la seule raison pour laquelle les classes supérieures sont dominantes est parce que elles ont le monopole de la désignation des attitudes et habitus légitimes. L’utilisation d’un médium qui serait, dans une analyse bourdieusienne, illégitimé donne du pouvoir à ce message. Il lui en donne dans la mesure où il montre la compréhension de la part des membres des catégories sociales dominées du fonctionnement de la violence symbolique qui s’exerce. Il serait possible de remettre en question la théorie bourdieusienne pour certains genres qui se sont partiellement légitimés comme le pop ou le rock, mais le rap continue de subir une criminalisation culturelle forte dans la mesure où il est souvent assimilé aux banlieues « violentes ». Dans un deuxième temps il est intéressant de se questionner sur la possibilité de ciblage. En effet, dans une perspective bourdieusienne, les membres de classes sociales supérieures vont écouter des genres légitimes, et les membres de classes sociales populaires des genres illégitimes. Même lorsque nous ajoutons la dimension éclectique aux classes dominantes comme l’on fait Peterson et Coulangeon, nous nous rendons compte que l’éclectisme musical ne touche pas symétriquement les membres issus de classes sociales dominantes et dominées, dans la mesure où les premiers augmentent leur registre, mais en restant dans ce que Coulangeon appelle dans son article Les Métamorphoses de la Légitimité le « goût snob ». De cette façon, l’utilisation de ce médium pourrait aussi être une façon de diriger le message engagé à un public cible, celui qui écoute de la musique rap : les classes dominées. Dans quelle mesure la définition de l’habitus que donne Rocé est-elle objective ? En effet, Rocé base sa définition de l’habitus sur les théories bourdieusienne, et étant issu d’un groupe social dominé, il va donc illustrer cette notion avec des exemples issus de ce qu’il vit au jour le jour. La violence symbolique qu’il remarque, avec la criminalisation des jeunes de banlieues, et avec ce qu’il appelle la « guerre du langage » ont bel et bien lieu, quoique la première soir illégale. De la même façon, la reproduction de l’habitus par l’école a aussi lieu, et la mise en place d’une légitimation culturelle par les classes au pouvoir aussi. Par contre, la définition qu’il donne d’habitus comme déterminant de tous les comportements et attitudes, comme aliénation de l’individu peut être remise en cause. C’est ce que fait Bernard Lahire en acceptant l’utilité des schémas bourdieusiens dans la compréhension de la structure générale du monde sociale, mais qui critique un excès de déterminisme, qui ne laisse aucune place à une dissonance culturelle, aimer le foot et l’opéra, qui pourtant a de plus en plus lieu. Cet excès de déterminisme est repris par Rocé, et peut être tout autant critiqué, d’autant plus que Rocé l’utilise dans un contexte de tentative de persuasion. En effet, Rocé omet le fait expliqué par Coulangeon dans l’article cité plus haut : avec la démocratisation de l’enseignent il y a restructuration des hiérarchies sociales, et ceci permet alors à des personnes ayant des habitus de classe populaire de devenir classe dominante. Ceci ne fait que restructurer la violence symbolique en mettant en place une « asymétrie dans les échanges symboliques », certes, mais s’oppose à la théorie avancée par Rocé. Vu le message engagé que Rocé veut transmettre, l’omission est logique, mais il est important de la mettre en lumière.

Dans le cadre d’une délégitimation totale de la musique rap, considérée comme populaire, issue des banlieues, et donc dangereuse, le rappeur Rocé utilise ce genre considéré comme illégitime pour expliquer l’habitus et ses conséquences. Il y présente l’habitus comme l’ensemble des dispositions acquises par l’individu au cours de l’enfance, qui l’aliènent totalement dans la mesure où celui-ci n’est que le reflet du milieu social dans lequel il a grandi. Il met en lumière alors la violence symbolique qui est exercée sur les individus dont l’habitus de classe est considéré comme illégitime, qui acceptent alors leur place de dominés dans la société. Rocé veut, avec cette chanson, expliquer que toutes les cultures sont légitimes. Nous pouvons ouvrir alors sur une analogie. Cette critique des

différences de légitimation symbolique serait une application des théories de Lévi-Strauss aux sous cultures au sein de la société, « le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie ». Dans une certaine mesure, la considération d’une culture comme illégitime ou inférieure revient à la considérer comme barbare, et serait une preuve que le relativisme culturel n’est en fait qu’un nuage de fumée, l’ethnocentrisme n’aurait que varié, et serait devenu massivement légitimation culturelle de la domination au sein d’une société au lieu de légitimation culturelle de la domination dans le cadre d’un monde colonial....


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