Résumé Jacques le Fataliste PDF

Title Résumé Jacques le Fataliste
Course Humanités
Institution Université de Lille
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Summary

L2 Humanités - Cours sur Diderot/Jacques le Fataliste...


Description

Humanités : Diderot et Jacques le Fataliste

Deux personnages, un valet et son maître, chevauchent plus ou moins paisiblement sur des routes, vers une destination qui restera inconnue, s'arrêtent dans des auberges, devisent à bâtons rompus : questions philosophiques, souvenirs intimes, anecdotes... Au fil de leur voyage, d'autres individus de rencontre y vont aussi de leurs récits, et voilà que s'ouvrent de nouveaux tiroirs, qui multiplient les niveaux temporels et les registres, ou confondent allègrement la réalité et la fiction. Par-dessus tout, un narrateur souverain ne cesse d'intervenir, proposant au lecteur un étrange pacte narratif : !« Vous voyez, lecteur, que je suis en beau chemin, et qu'il ne tiendrait qu'à moi de vous faire attendre un an, deux ans, trois ans, le récit des amours de Jacques, en le séparant de son maître et en leur faisant courir à chacun tous les hasards qu'il me plairait. Qu'est-ce qui m'empêcherait de marier le maître et de le faire cocu ? d'embarquer Jacques pour les îles ? d'y conduire son maître ? de les ramener tous les deux en France sur le même vaisseau ? Qu'il est facile de faire des contes ! Mais ils en seront quittes l'un et l'autre pour une mauvaise nuit, et vous pour ce délai. » !Par cette liberté, Jacques le Fataliste ne pouvait manquer de rencontrer les lecteurs modernes et prend toute sa place dans l'objet d'étude "Le personnage de roman". !! De tous les ouvrages de Diderot, il est le plus commenté, le plus glosé. Malgré la richesse et la variété de la critique, et peut-être à cause d'elles, Jacques demeure d'une complexité et d'une opacité redoutables. Toute interprétation péremptoire risque de susciter une opinion contraire. Dès la!première lecture, l'ouvrage est déconcertant. La première explication que l'on peut fournir à cette impression de tissu d'Arlequin, c'est la genèse même du roman, à laquelle on peut assigner un devenir de près de vingt ans. Conçu à partir de 1765, il paraît d'abord en feuilleton dans la revue de Grimm, La Correspondance littéraire, de 1778 à 1780, mais Diderot ne cesse de l'augmenter jusqu'à sa mort, et l'œuvre qui, en 1771, comptait 125 pages, en atteignait 200 en 1778, 208 en 1780, 287 en 1783. Le cas n'est pas isolé chez Diderot : la genèse du Neveu de Rameau, du Rêve de l'Alembert, du Supplément au Voyage de Bougainville, du Paradoxe sur le comédien, révèle chaque fois le même étalement dans le temps, la même technique du "bourrage". Faut-il parler de "bricolage" dans le sens de Lévi-Strauss ? Il faut se féliciter en tout cas de disposer d'une œuvre à 1a fois éclatée et réparée qui permet d'observer en plein travail le génie créateur de Diderot, par l'utilisation habile d'une matière littéraire déjà étiquetée. Pour l'essentiel, en effet, il puise sa première mouture dans le roman de Lawrence Sterne Vie et opinions de Tristram Shandy !(1759-1763), mais ne cesse de l'enrichir d'emprunts, d'anecdotes glanées çà et là. « Tout le délire de cette faculté d'imagination se réduit au talent de ces charlatans qui, de plusieurs animaux dépecés, en composent un bizarre qu'on n'a jamais vu en nature », dit Bordeu dans le Rêve de d'Alembert. Sur cette conception empirique de l'activité de l'esprit, Diderot n'a jamais varié, et c'est elle aussi qui préside aux qualités, et à l'énergie, du lexicographe de l’Encyclopédie.

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La structure révèle tout d'abord un refus de la linéarité. On peut parler ici d'une construction "spiralée", comme en caducée, où les motifs s'enroulent autour du pilier central, le voyage. Ceci est moins original qu'il n'y paraît : les récits enchâssés se retrouvent souvent dans le roman de l'époque, notamment le roman picaresque (qu'on pense à Don Quichotte ou au Gil Blas de Santillane de Lesage), où l'itinéraire du héros croise la route d'autres personnages, eux-mêmes assez pittoresques et bavards pour ouvrir le champ à leurs histoires. Ce qui importe davantage ici, c'est la persistance des mêmes motifs, qui s'entrelacent d'une manière plus ordonnée que la fantaisie apparente de la composition ne le laisse prévoir. C'est dire que sous le désordre et les discontinuités, l'unité harmonique des thèmes, loin de révéler, à l'exemple du Nouveau Roman, l'absurdité de la vie, découvre une logique complexe, un ordre musical.



Les thèmes chronologiques :

 D'abord celui du voyage. Il fournit des repères temporels fugaces mais cohérents (huit journées aisément identifiables par les haltes dans les auberges ou les départs matinaux). Cependant nous ne trouvons pas ici l'exactitude scrupuleuse des temps et des lieux propres au roman picaresque et reprise dans le Gil Blas de Lesage, par exemple. Ce n'est pas dans la chronologie du voyage que nous trouvons les intentions réelles de Diderot, mais plutôt dans sa contestation. Car, au vrai, il ne s'y passe rien, ou pas grand-chose, en dehors d'une précipitation inattendue des péripéties finales, où le maître retrouve le chevalier de Saint-Ouen et se venge en le tuant de son ancienne traîtrise. Passé et présent, "réalité" et fiction se rejoignent alors dans une confusion qui manifeste chez le narrateur un refus délibéré de fournir quelque dénouement que ce soit. Par cette liberté, cette fausse improvisation où les détours de l'intrigue sont ceux des chemins, Jacques le Fataliste appartient, plus qu'au picaresque, à ce genre problématique qu'on a commencé à nommer « littérature itinérante ». 4 sur 7

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 Deuxième fil, le récit des amours de Jacques. Insérée par épisodes dans les étapes du voyage sur le ton badin de la conversation, l'histoire amoureuse de Jacques consacre sa liberté de narrateur : son récit rétrospectif s'interrompt et rebondit, faisant partager au lecteur l'agacement du maître. Ici encore, les caractéristiques du roman rejoignent celles d'un genre prisé à l'époque, le roman libertin cette fois : au réalisme des situations, s'ajoute une connivence salace entre Jacques et son maître qui reste un des fils de l'écheveau que le lecteur est le plus avide de suivre ! Leur relation très libre, dégagées des schémas sociaux, évoque à plus d'un titre d'autres couples du même acabit, hérités de la comédie de mœurs : Don Juan et Sganarelle, bien sûr, mais aussi plus largement la relation maître-valet propre à la commedia dell'arte. Les digressions romanesques : Elles constituent plus de la moitié du texte et rongent délibérément le schéma précédemment décelé, si bien qu'on peut parler d'un art baroque où la décoration l'emporte sur 1a structure centrale. La confusion s'augmente de la difficulté de distinguer les récits attribués à l'auteur et les récits annexes de Jacques apparentés à celui de ses amours. Cependant l'analyse permet de déceler quatre groupes :  Une nouvelle romanesque, l'histoire de M. des Arcis et de Mme de la Pommeraye, comporte à elle seule une cinquantaine de pages. Elle est inspirée à Diderot par l'histoire de M. Des Frans et de Silvie, la sixième des Illustres Françaises de Robert Challe (1713. Laclos s'en souviendra aussi pour Les Liaisons dangereuses). Sur le thème de la vengeance amoureuse, elle possède un rythme propre de lenteur et d'accélération, au point que Schiller, en 1785, 1'a isolée dans sa traduction et qu'on trouve, encore aujourd'hui, des éditions à part de ce petit chef-d'œuvre (Robert Bresson en a fait la matière de son film, Les Dames du Bois de Boulogne). Pour la relier à l'ensemble, Diderot y intercale neuf interruptions de l'hôtesse et plusieurs récits annexes, points de soudure assez artificiels, et, surtout, fait intervenir le marquis des Arcis en personne au détour du voyage de nos deux héros.  Deux nouvelles "exemplaires", l'histoire du chevalier de Saint-Ouen et celle de l'abbé Hudson, développent le thème de la perfection dans le mal. On y trouve un goût réaliste pour la peinture des bas-fonds : voleurs, prostituées, receleurs, marchands â la toilette, usuriers, policiers. La première, trente pages environ, se découpe en trois épisodes - le fils de famille, l'amant berné, le flagrant délit - arbitrairement coupés par des réflexions morales et esthétiques et par l'histoire de l'emplâtre de Desglands. Mais le lien avec l'ensemble n'a rien d'artificiel puisque l'ami berné de Saint-Ouen est le maître de Jacques et que son histoire permet une des conclusions de l'ouvrage : la rencontre chez la nourrice du bâtard et le duel. L'abbé Hudson se déroule en douze pages d'un seul tenant, précédées par le thème des fausses vocations. Le fait que le narrateur est le marquis des Arcis et la victime son secrétaire Richard constitue cependant un lien léger avec l'ensemble.  Un cycle paysan, relativement autonome, est lié à l'enfance de Jacques et à son initiation sexuelle. Le réalisme paysan s'oppose au réalisme urbain des nouvelles précédentes. Le langage lui-même change de registre. Les Deux Carmes, l'Histoire de Jason le brocanteur, Justine et les deux Bigre, Suzanne, Marguerite, Suzon et le vicaire enfourché nous rappellent les Cent nouvelles ou le Décaméron de Boccace. A l'unité du décor répond l'unité du thème : la liberté sexuelle. L'éloge de l'obscénité en littérature forme la conclusion la plus naturelle du cycle.  Une galerie d'originaux, grappe d'histoires courtes, dont la mise en scène et l'approfondissement sont plus ou moins élaborés : le poète de Pondichéry et M. Le Pelletier, le cycle de Desglands et le cycle de Gousse, l'histoire du pâtissier et de la pâtissière, sans omettre la fable de la Gaine et du Coutelet. C'est donc une matière romanesque considérable que Diderot met en œuvre, en prenant soin le plus souvent d'éviter ce qu'il appelle « l'insipide rhapsodie des faits » : avec plus ou moins de !

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vraisemblance, il s'efforce de souder cet ensemble, ménageant un système complexe d'échos entre la progression des deux personnages et la digression qui fait éclater en gerbe une vingtaine d'histoires. Ainsi les thèmes du cycle de Desglands s'apparentent à ceux de l'histoire de Mme de La Pommeraye, l'histoire du pâtissier à celle du chevalier de Saint-Ouen. ! ! Les commentaires : ! L'originalité de Jacques le Fataliste tient, nous l'avons dit, au statut du narrateur. Bien loin, comme il le devrait, d'entretenir l'illusion romanesque, celui-ci ne cesse de révéler sa présence. Ses commentaires peuvent prendre la forme de remarques évasives ou de jugements sur ses personnages, mais on peut plus fréquemment y distinguer deux sujets essentiels :  C'est d'abord le fatalisme, qui donne son surnom à Jacques et constitue pour les philosophes des Lumières, et pour Diderot en particulier, une interrogation permanente (c'est aussi le sujet du Candide de Voltaire). « Tout est écrit là-haut », « chaque balle a son billet », « le grand rouleau où tout est écrit » : les expressions ne manquent pas pour exprimer la conviction de Jacques, qu'on appellerait plus justement aujourd'hui le déterminisme. FATALISME ET DÉTERMINISME !Le fatalisme est un système qui affirme une nécessité fatale (fatum), devant laquelle les décisions et les actions des hommes sont inopérantes. Dans la langue philosophique, cette résignation au destin peut, comme chez les Stoïciens, prendre la forme d'un consentement actif aux volontés divines, mais dans son acception usuelle, le mot désigne plutôt une soumission paresseuse. C'est plutôt de déterminisme qu'il faudrait parler dans le cas de Jacques, adepte lointain, via son capitaine, des théories de Spinoza.! !En effet, alors que le fatalisme affirme une détermination inconditionnelle des événements excluant tout libre arbitre en l'homme, le déterminisme désigne, quant à lui, leur détermination conditionnelle conformément au principe de causalité, qui n'exclut pas l'efficacité de l'action humaine : « L'effet étant certain, la cause qui le produira l'est aussi ; et si l'effet arrive, ce sera par une cause proportionnée. Ainsi, votre paresse fera peut-être que vous n'obtiendrez rien de ce que vous souhaitez, et que vous tomberez dans les maux que vous auriez évités en agissant avec soin. L'on voit donc que la liaison des causes avec les effets, bien loin de causer une fatalité insupportable, fournit plutôt un moyen de la lever.» (Leibniz, Théodicée, 55).! ! Jacques est plus déterministe que fataliste puisque, athée, il se situe dans le champ de la philosophie, voire de la science, et non sur le terrain de la religion ou de la magie. C'est la considération de l'ordre nécessaire de la nature qui lui offre matière à se consoler des accidents de la vie : « Il fallait que cela fût, car c'était écrit là-haut. [...] Lorsque l'accident était arrivé, il revenait à son refrain et il était consolé.». Le lecteur auquel s'adressent Sterne et Diderot est en fait ce que l'on appelle plutôt aujourd'hui (à la suite de Roland Barthes qui proposa le mot) un « narrataire », pour le distinguer du lecteur réel et lui donner le statut d'un véritable personnage dans le roman : « Je lui ai dit, monsieur », écrit par exemple Sterne de ce lecteur, préjugeant d'un sexe qui, à l'évidence, n'est pas le bon si c'est une dame qui le lit ! Cette interpellation constante du narrataire par le narrateur se présente souvent comme une simple nasarde, mais elle engage en fait le problème du réalisme et l'éminente liberté du romancier. Meneur de jeu bien décidé à ne renoncer à aucun de ses privilèges, le narrateur tire ostensiblement les ficelles, descend dans une nacelle comme le Jupiter d'Amphitryon, pousse l'insolence jusqu'à juger ses personnages, débitant ses propres anecdotes, engageant le dialogue à la cantonade. Le narrataire, constamment pris à partie, est sommé de réagir et de participer au jeu de ce bateleur goguenard qui semble miner toute crédibilité par ses clins d'œil incessants. On se rendra pourtant compte en examinant de plus près cette apparente improvisation que le narrateur se 6 sur 7

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réclame d'une certaine vraisemblance. Quoi qu'il en soit, la matière du roman dans son ensemble semble répondre, dans ses lignes brisées, à une esthétique de la fantaisie et de la surprise qui a pu faire parler d'"antiroman". Ainsi, lorsque le narrateur propose à son narrataire deux pistes différentes, faisant mine de lui "laisser les clefs" dans la conduite du récit, un peu comme dans nos modernes "jeux de rôles" :! «[...] Mais voilà le maître et le valet séparés, et je ne sais auquel des deux m'attacher de préférence. Si vous voulez suivre Jacques, prenez-y garde; la recherche de la bourse et de la montre pourra devenir si longue et si compliquée, que de longtemps il ne rejoindra son maître, le seul confident de ses amours, et adieu les amours de Jacques. Si, l'abandonnant seul à la quête de la bourse et de la montre, vous prenez le parti de faire compagnie à son maître, vous serez poli, mais très ennuyé; vous ne connaissez pas encore cette espèce-là », etc.! A d'autres instants, le narrateur s'engage dans des considérations esthétiques qui peuvent paraître déplacées : sur la lascivité en littérature, notamment, et surtout sur le roman lui-même, à propos duquel l'exigence de vérité et de réalisme côtoie sans aucune gêne les marques de la fantaisie et de l'imagination. Allons pourtant examiner de plus près cette incohérence apparente.

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