Devenir anorexique / berger PDF

Title Devenir anorexique / berger
Course Sociologie générale
Institution Université de Montréal
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deux livres pour sol 1013 sociologie générale...


Description

Marie Cossart Master PDI Cours « Les outils critiques de la sociologie » de Wilfried Lignier

FICHE DE LECTURE

Muriel D Darmon, armon, Dev evenir enir anorex anorexique. ique. Une approche sociologique. La Découv Découvert ert erte, e, 2003

Devenir anorexique de Muriel Darmon propose une analyse sociologique de l’anorexie à partir d’une enquête ethnographique. Ce livre est issu de la thèse de l’auteur et a été publié en 2003. Muriel Darmon est actuellement chercheuse au CNRS à Lyon dans le Groupe de Recherche sur la Socialisation, dirigé par Bernard Lahire. Ses domaines de recherche sont la socialisation et le corps. Muriel Darmon tente de créer une brèche dans un territoire largement occupé par la médecine et la psychologie. Ces disciplines ont fait de l’anorexie leur chasse gardée en l’abordant comme un phénomène individuel et pathologique. S’appuyant sur Durkheim, la chercheuse considère l’anorexie comme un objet qui n’est pas interdit à la sociologie et peut être considéré comme un fait social défini en termes de pratiques. Elle va alors décrire le processus dans lequel les anorexiques s’engagent en terme de « carrière » et montrer ce que les jeunes filles font pour mener à bien l’engagement dans cette activité. L’anorexie est envisagée dans sa dynamique temporelle en se penchant sur le « devenir » anorexique et la description des étapes successives pour construire la carrière. Ainsi, elle dévoile un système avec ses cohérences interactives et montre les places que chacun des acteurs sociaux vont occuper. Pour finir, le chercheur inscrit cette pratique dans un espace social et la tentative de transformation de soi qu’est l’anorexie se lit alors dans un but de distinction.

Dans la première partie de son ouvrage, l’auteur fait un retour sur l’origine et le contexte socio-culturel du diagnostic d’anorexie apparu vers 1873. Dans cette fin de XIXème siècle, surgit une redistribution des représentations puisque la maigreur qui était auparavant signe de pauvreté devient un trait des classes supérieures. Les pratiques alimentaires et les bonnes manières s’en trouvent modifiées. La modération et le raffinement sont maintenant des signes de distinction de la table bourgeoise face à la vulgarité attribuée à l’abondance de la nourriture et à la gloutonnerie des « dondons » des classes laborieuses. Par ailleurs, dans

les familles bourgeoises, les mères exercent de plus en plus une observation et un contrôle des corps de leurs filles grâce au biais des préconisations médicales. Cette évocation historique apporte un éclairage particulièrement utile pour la suite de l’enquête. Elle permettra d’introduire par la suite la description de l’espace social dans lequel les jeunes filles anorexiques affinent leur travail de transformation de soi à travers les goûts, les pratiques alimentaires ou la rigueur scolaire.

Muriel Darmon choisit son objet de recherche à partir du diagnostic médical et psychiatrique d’anorexie mentale. Elle mène ses entretiens auprès de jeunes filles anorexiques hospitalisées dans une clinique et un hôpital : son terrain ethnographique se situe ainsi dans l’univers médical, lieu du diagnostic. Elle se confronte alors aux différents abords psychopathologiques de l’anorexie mentale et aux « luttes de traitement » sous jacentes (p 46). Elle expose sa difficulté de construire des entretiens sociologiques dans un univers où la thérapeutique passe par la parole et où les anorexiques sont des « quasi-professionnelles du discours sur soi » (p 46). Dans la construction de son objet de recherche et du type d’entretien, il s’agit, pour la sociologue, de déplacer la question de « qui sont elles ? » ou « pourquoi font-elles ça ? » vers une question qui interrogerait les choses en termes d’expérience du type : « que font-elles ? ». Muriel Darmon, dans une démarche de déterritorialisation, souhaite établir une cartographie d’un phénomène qu’elle instaure de manière inédite comme fait social. Elle veut modifier les frontières établies par les disciplines qui s’attribuent la possibilité d’avoir seules quelque chose à dire de l’anorexie. La chercheuse s’attaque à un objet puissamment revendiqué et maintenu de manière parfois tyrannique dans les sphères de la psychiatrie. En voulant déloger les gardiens de l’objet, elle accomplit un acte qui lui a valu des refus de terrain et une « assignation à résidence ». Pour définir son approche sociologique de l’anorexie mentale, elle éloigne les théories féministes anglo-saxonnes et la thèse d’étiologie médiatique. Elle libère aussi son approche de l’emprise psychanalytique quand le social n’est sollicité que pour offrir un contexte à la définition d’un phénomène. S’il s’agit d’observer ce que font les anorexiques, il faut analyser les types de conduites dans lesquelles s’engagent les individus. Muriel Darmon s’appuie alors sur les théories interactionnistes pour « transformer les individus en activités » selon l’expression d’Howard Becker. Elle s’interroge non sur les types mais sur les typologies de conduites. La manière de penser la question s’en trouve ainsi élargie. Comme dans Outsiders de Becker, l’anorexie mentale peut s’analyser comme un processus d’apprentissage constitué d’étapes et se définir en terme de « carrière ». La démarche de recherche étudie le phénomène dans une perspective temporelle pour saisir « ce qu’elles font pour mener à bien cette carrière ? ». Ainsi « la question de l’apprentissage est au cœur de cette dialectique entre le « faire » et le « être fait » (… ) Pour faire, il faut avoir appris à faire, c’est-à-dire qu’il faut avoir été fait : l’apprentissage fait le lien entre l’imposition des normes et des identités et la socialisation, d’une part, l’activité d’autre part, et la pratique devient le lieu privilégié d’observation de cette combinaison » (p 87).

La première étape de l’activité consiste à « commencer par se prendre en main ». Muriel Darmon décrit une démarche d’engagement volontariste de l’individu afin d’opérer une véritable transformation de soi. L’anorexie commence souvent par un régime. Mais elles peuvent aussi ne pas commencer tout de suite par un régime ou ne pas commencer seulement par un régime. D’emblée, ce commencement s’inscrit dans un jeu d’interaction puisque différents acteurs extérieurs vont soutenir ce régime. Ce circuit d’agents extérieurs est constitué : - des prescripteurs, qui sont des souvent des professionnels, - des initiateurs, le plus souvent la famille ou des proches qui encouragent le régime, et - des accompagnateurs, qui peuvent commencer le régime en même temps que la jeune fille. Ce circuit a un statut de « passeurs de normes diététiques et corporelles mais également le fait d’exercer un contrôle sur les pratiques de l’interviewée. » (p 119). L’entrée dans l’apprentissage commence non pas dans un groupe déviant, mais dans un environnement normal. Le rôle social de la mère est important car celle-ci manifeste des préoccupations diététiques concernant sa fille et son propre corps. Certes les industries agroalimentaires, les médias font circuler des normes mais les interactionnistes montrent comment le circuit d’agents veille à ce que les normes soient appliquées. Cette démarche concernant le corps et la maîtrise de la faim vont s’étendre à d’autres domaines comme les pratiques scolaires ou la culture. Le travail de transformation de soi se généralise et introduit peu à peu une rupture par rapport à la vie antérieure.

Pour que l’engagement se confirme en terme de « carrière anorexique », les jeunes filles « maintiennent » l’apprentissage en radicalisant leur démarche. La carrière se poursuit en développant des techniques de manière plus systématique comme les activités de mesure : compter les calories ou peser les aliments. Dans ce maintien de l’activité, elles développent un apprentissage du goût pour la maigreur ou pour la sensation de satiété. Elles prennent des habitudes comme se dégoûter de la nourriture, apprendre à sauter des repas ou boire de l’eau quand la sensation de faim apparaît. Le travail d’incorporation est à l’œuvre et la routine de travail se met en place. La jeune fille anorexique engage alors un défi contre le temps en terme d’endurance : il faut tenir. La contrainte et la maîtrise deviennent un travail « jusqu’au plus fort que moi ». A la fin de cette étape, les jeunes filles peuvent choisir de sortir de la carrière ou maintenir encore leur engagement « malgré les alertes et la surveillance ».

Dans la troisième phase, la chose devient publique et l’acte prend une forme déviante. L’entourage commence à s’inquiéter du phénomène et ordonne « d’arrêter ». Muriel Darmon, en s’appuyant sur les réflexions d’Asiles de Goffman, montre comment l’individu passe du statut de « normal » à celui de « déviant » par un circuit d’agents. Ces agents sont souvent ceux qui faisaient partie du circuit interactif de la phase de commencement. L’approche interactionniste montre comment la pratique se « code » du côté du déviant en fonction des normes portées par le circuit des agents alerteurs : « dans les deux cas, les rôles qui constituent le circuit ont pour fonction l’imposition ou le relais de normes (…) Cependant les normes portées par les deux circuits sont exactement opposées : là où le premier circuit incitait au régime, le deuxième est un circuit d’imposition de l’arrêt de la perte de poids » (p 177). L’alerte est lancée à partir des stigmates (Goffman) de l’anorexique et sur la visibilité sociale (A. Strauss) dans ce qu’elle donne à voir. Cette alerte s’appuie aussi sur les débats

publics, les relais médiatiques et sur ce qu’on sait de l’anorexie. Ce qui était auparavant « qualifié » devient maintenant « disqualifié ». Se constitue alors un réseau de surveillance malgré lequel l’anorexique essaye de maintenir son engagement en compartimentant par exemple les scènes sociales : « les pratiques déviantes sont réservées aux scènes auxquelles les parents n’ont pas accès » (p 200). Pour maintenir cet engagement les anorexiques s’engagent dans un « travail de discrétion » pour rendre moins perceptibles les conduites déviantes en s’excluant des espaces de surveillance comme la cantine ou les repas entre amis. Elles peuvent aussi entamer un « travail de leurre » en utilisant des stratégies de mensonge, de contrôle ou de faire semblant. « Ce travail prend les formes différentes d’un travail « pour soi » dans la deuxième phase et d’un travail « en contre » envers et contre les alertes et la surveillance, dans la troisième (p 211).

La dernière phase est celle de la « prise en charge » hospitalière. La thérapeutique tente de provoquer la rupture de la carrière anorexique en essayant d’obtenir sa coopération au traitement : « c’est donc très explicitement que le traitement recherche la « perte de contrôle » ou « la perte de maîtrise » de la part de la patiente, c’est-à-dire la substitution, au moins dans un premier temps, d’une contrainte externe à l’auto-contrainte » (p 213). L’hôpital tâche d’opérer une phase de retournement en travaillant sur l’identité anorexique érigée par le diagnostic. L’hospitalisation et ses méthodes de prise en charge vont avoir pour fonction l’intériorisation du point de vue de l’hôpital. La prise en charge va agir en opérant un travail de déconstruction brique par brique de l’engagement dans la carrière et en s’attaquant à chacune des pratiques. Au régime, aux pratiques scolaires et culturelles intensives, l’hôpital oppose le plateau de déjeuner, la rupture avec l’école et le repos. Il s’agit d’accepter cette identité imposée et de faire sienne une nouvelle manière de voir les choses, par les différents entretiens et les interprétations. Toute opposition est alors traduite comme un déni de l’anorexique sur sa pathologie. Elle est interprétée comme une résistance au changement : « un trait typique de l’anorexie est la tentative de maîtrise relationnelle » (p 216). Les choses ne sont comprises qu’à travers une prise de vue, celle du DSM IV ou de la théorie psychanalytique de l’anorexie. Muriel Darmon repère, qu’à travers les entretiens sociologiques, les jeunes filles répètent au sens théâtral, les scènes d’intériorisation du discours médical afin de montrer qu’elles veulent « s’en sortir » et montrer qu’elles sont « prêtes à s’en sortir ». « Ainsi l’un des enjeux de l’intégration de point de vue de l’hôpital sur soi consiste, pour les patientes, à accepter d’être transformées par le travail hospitalier en sens inverse de la transformation de soi effectuée dans les phases précédentes de la carrière » (p 220). Selon les terrains et les prises en charge, soit c’est la disparition des symptômes qui est visé soit c’est le travail sur soi. Le contrat, entre les médecins et la jeune anorexique, propose un lâcher prise et une remise à l’institution de son propre pouvoir de décision. Ainsi, on peut par exemple se laisser entièrement porter par la diététicienne et ne pas donner son avis pour le choix du repas. L’abandon des pratiques antérieures se fait par un véritable travail actif et volontaire similaire à la première phase. Il faut abandonner ses habitudes, ses réflexes comme dit Yasmine « se couper une partie du cerveau » (p 239) pour ne plus agir comme avant. C’est alors que l’on voit surgir dans la description même du contexte d’hospitalisation, un groupe déviant tel qu’il est décrit par Howard Becker dans Outsiders. Mais ce groupe

constitué arrive dans cette dernière phase et peut quand même se présenter comme un groupe d’apprentissage. Paradoxal et un peu effrayant, l’hôpital qui doit devenir le cadre de rupture, fournit à la carrière de nouvelles techniques. Ainsi, Camille, une jeune fille hospitalisée, explique que si avant elle faisait attention à la quantité de nourriture, c’est dans la salle à manger de l’hôpital qu’elle a commencer à comprendre les calories « et alors du coup, je connaissais toutes les calories par cœur » p (226). C’est un groupe imposé mais qui « constitue une structure de maintien (rôle classique de ce groupe dans les analyses en terme de carrière) et de rupture d’engagement (p 225). » L’anorexique rentre alors dans un « cycle d’affiliation » pour reprendre l’expression de Goffman et devient individu stigmatisé dans le groupe de semblables. Cette transformation de soi est un acte continu et c’est le maintien dans la carrière qui est considéré comme déviant plus que l’engagement lui-même. La déviance tire origine dans les normes sociales : « l’engagement dans la carrière anorexique n’est pas une entrée dans la déviance, bien au contraire : il y a soumission aux normes sociales et désignation de l’acte comme vertueux » (p 244).

Dans la dernière partie de son livre, il s’agit de situer cet engagement dans un espace social. Le recrutement de l’échantillon de l’enquête et l’épidémiologie font ressortir : « la forte prédominance féminine, celle de la tranche d’âge adolescente et l’origine sociale moyenne ou supérieure des anorexiques » (p 249). Muriel Darmon s’appuie sur les thèses de Pierre Bourdieu pour montrer que les « pratiques que l’on a fait apparaître sont des pratiques socialement situées, et que le travail de transformation que l’on a mis en lumière est un travail socialement orienté » (p 251). Si les jeunes filles sont attentives aux calories, elles le sont encore plus aux goûts. Muriel Darmon se réfère alors au diagramme que Pierre Bourdieu a établi dans La Distinction et montre que « les aliments consommés se trouvent du côté du « fin », du « maigre », du « léger », du « raffiné », du « naturel », du « sain », du « cru » et du grillé » ». Muriel Darmon nous renvoie à son premier chapitre où elle avait souligné que la transformation de la société et de la table bourgeoise passait par le maigre. La transformation de soi passe donc par une transformation sociale vers des goûts dominants. Cette posture de faim domptée et de recherche ascétique peut être un trait élitiste. Les fronts de conquête anorexiques sont « interdépendants » : la « culture en béton », la performance scolaire rigoureuse et la pratique obsessionnelle de certains sports. « On voit ainsi apparaitre une autre forme d’affinité, celle existant entre pratiques alimentaires anorexiques et position dans l’espace des classes, laquelle, semble-t-il, a toujours été négligée » ( p 257). Des équivalences peuvent ainsi s’établir entre « être grosse » et « nulle ». Dans la perspective bourdieusienne, ces pratiques sont envisagées comme des capitaux dont il faut multiplier sans cesse le rendement et faire fructifier l’investissement. Ces tentatives de maîtrise et d’endurance, Muriel Darmon les rapporte à un ethos de tension. Cet ethos se conjugue avec une attention extrême portée aux jugements d’autrui et aux assignations sociales. Ainsi, elle dit que « l’ethos anorexique de tension engage plus largement une vision du monde où c’est le destin social lui-même qui doit être contrôlé ». Cela se retrouve dans le fait que les jeunes filles contrôlent le jugement des autres en vue de l’ « exceptionnalité sociale » et pour gagner contre quelqu’un. Il faut se distinguer radicalement jusqu’à la maigreur, jusqu’à la fascination, jusqu’à la déviance. Cette distinction s’accompagne d’un mépris social que l’on retrouve dans l’air hautain des anorexiques et cette

assurance. Dans la sphère scolaire, il faut montrer aux autres qu’on est agacé par leur lenteur ou leur médiocrité : « Charlotte est très impliquée dans mon cours ; Dure avec les camarades qui, selon elle, perturbent le cours(…) excédée par les questions « intempestives » et l’ »agitation de ses camarades », elle sort quelques instants pour ne pas exploser » (p 293). Cette opposition de classe se retrouve aussi à l’hôpital entre les maigres et les grosses, les anorexiques et les boulimiques, les dompteuses de la faim et les gloutonnes insatiables. Face à se lâcher prise de la méthode thérapeutique, certains patientes poursuivent leur carrière dans cet environnement de tension qui leur aient opposé par la thérapeutique tandis que d’autres acceptent le lâcher prise.

Muriel Darmon, dans son approche sociologique de l’anorexie, dresse une cartographie du processus anorexique en l’inscrivant dans ses dynamiques temporelle et spatiale. La sociologie aborde le phénomène du côté de l’expérience et du « comment faire » tandis que la psychologie est du côté de l’être (« qui sont-elles, »), de l’avoir et du manque (« qu’ont-elles ou que n’ont-elles pas ? »). L’anorexie est d’emblée inscrite dans un processus d’interaction où l’individu n’est plus seul aux prises avec un trouble. La carrière commence dans et par le groupe jusqu’à la fin de l’engagement, moment de la possible rupture de carrière où l’individu rejoindra le groupe de déviants. La chercheuse décrit de manière symétrique comment le circuit d’agents porteur de normes et incitateur à l’engagement devient plus tard celui qui alerte et s’inquiète. Elle montre aussi comment la jeune fille, qui développe des qualités de maitrise et de tension, se trouvera contrainte à utiliser les mêmes techniques volontaires pour déconstruire sa carrière. Muriel Darmon se dégage volontairement des représentations attachées aux anorexiques, qui happent vers la fascination des corps squelettiques et de la mort possible, en circonscrivant ses descriptions aux entretiens et à l’expérience des adolescentes. Elle s’éloigne du visuel, de l’affect pour ouvrir d’autres territoires de compréhension et laisser se déployer l’espace social et le but de destinée sociale que recherche la jeune fille....


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