“Philibert De l’Orme: l’architecte-mage de l’hôtel Bullioud” PDF

Title “Philibert De l’Orme: l’architecte-mage de l’hôtel Bullioud”
Author Richard Etlin
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1514-1570 Philibert De l’Orme Un architecte dans l’histoire Arts . sciences . techniques Textes réunis et édités par Frédérique Lemerle & Yves Pauwels Collection « Études Renaissantes » Philibert De l’Orme Un architecte dans l’histoire arts . sciences . techniques centre d'études supérieures...


Description

1514-1570

Philibert De l’Orme

Un architecte dans l’histoire Arts

.

sciences

.

techniques

Textes réunis et édités par

Frédérique Lemerle & Yves Pauwels Collection « Études Renaissantes »

Philibert De l’Orme

Un architecte dans l’histoire arts

.

sciences

.

techniques

centre d'études supérieures de la renaissance

Université François-Rabelais de Tours - Centre National de la Recherche Scientifique

– Dans la même collection – 1- Frédérique Lemerle La Renaissance et les antiquités de la Gaule, 2005 2- Jean-Pierre Bordier & André Lascombes (éds) Dieu et les dieux dans le théâtre de la Renaissance, 2006 3- Chiara Lastraioli (éd.) Réforme et Contre-Réforme, 2008 4- Pierre Aquilon & Thierry Claerr (éds) Le berceau du livre imprimé : autour des incunables, 2010 5- Maurice Brock, Francesco Furlan & Frank La Brasca (éds) La Bibliothèque de Pétrarque. Livres et auteurs autour d'un humaniste, 2011 6- Sabine Rommevaux, Philippe Vendrix & Vasco Zara (éds) Proportions. Science, musique, peinture & architecture, 2012 7- Maurice Brock, Marion Boudon-Machuel & Pascale Charron (éds.) Aux limites de la couleur. Monochromie & polychromie dans les arts (1300-1600), 2012 8- Maxime Deurbergue The Visual Liturgy: Altarpiece Painting and Valencian Culture (1442-1519), 2013 9- Magali Bélime-Droguet, Véronique Gély, Lorraine Mailho-Daboussi & Philippe Vendrix (éds) Psyché à la Renaissance, 2013 10- Frédérique Lemerle & Yves Pauwels Architectures de papier. La France et l'Europe (xvie-xviie siècles), 2013 11- Juan Carlos Garrot Zambrana Judíos y conversos en el Corpus Christi. La dramaturgia calderoniana, 2013 12- Albrecht Fuess & Bernard Heyberger (éds) La frontière méditerranéenne du xve au xviie siècle. Échanges, circulations et affrontements, 2013 13- Anne Rolet & Stéphane Rolet (éds) André Alciat (1492-1550) : un humaniste au confluent des savoirs dans l'Europe de la Renaissance, 2013 14- Christine Bénévent, Isabelle Diu & Chiara Lastraioli (éds) Gens du livre & gens de lettres à la Renaissance, 2014 15- Lizzie Boubli Le dessin en Espagne à la Renaissance. Pour une interprétation de la trace, 2015 16- Nicole Bingen & Renaud Adam Lectures italiennes dans les pays wallons à la première Modernité (1500-1630), 2015

Publié avce l'aide du Service Interministériel des Archives de France / Mission aux Commémorations Nationales / DRAC Région Centre-Val de Loire

Philibert De l’Orme

Un architecte dans l’histoire arts

.

sciences

.

techniques

Actes du LVIIe colloque international d'études humanistes CESR, 30 juin- 4 juillet 2014

Textes réunis et édités par

Frédérique Lemerle & Yves Pauwels

Collection « Études Renaissantes » Dirigée par Philippe Vendrix

2015

Conception graphique, mise en page Alice Loffredo-Nué

© Brepols Publishers, 2015 ISBN 978-2-503-56560-6 D/2015/0095/208 All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in may form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, whithout the prior permission of the publisher. Printed in the E.U. on acid-free paper

Table des matières

7 |

Avant-propos Frédérique Lemerle, Yves Pauwels Avant-propos : Philibert De l'Orme, architecte vif-argent

11 |

Mireille Huchon Philibert De l’Orme en architecte rhétoricien

25 |

Luisa Capodieci Philbert De l’Orme, le compas et Mercure dans le Premier tome de l’architecture

37 |

Loris Petris Philibert De l’Orme et Jean Du Bellay

49 |



Cédric Michon « J’ay veu vostre lectre du XXVIe du passé et n’y parlez poinct d’argent » : le cardinal Jean Du Bellay et le financement des commandes de Philibert De l’Orme

55 |



Carmelo Occhipinti La storia dell’architettura e le guerre di religione nella Francia del Cinquecento

67 |



David Karmon The Destruction and Renewal of the Via triumphalis, 1533-1536



79 |

Maria Beltramini Qualche aggiunta alle fonti della cultura architettonica e del linguaggio artistico di Philibert De l’Orme

87 |



Yves Pauwels Philibert De l’Orme, les antiques et la Contre-Réforme



Richard Etlin Philibert De l’Orme : l’architecte-mage de l’hôtel Bullioud



97 |

109 |

Guy-Michel Leproux Philibert De l’Orme et l’architecture privée parisienne

121 |

Laurent Paya Les jardins des châteaux de Philibert

137 |

Sophie Mouquin « La nature admirable des pierres sous diverses couleurs et qualitez » : de l’emploi du marbre dans l’architecture de Philibert De l’Orme

151 |

Dominique Cordellier Primatice et le Maître de la Tenture de Diane (Charles Carmoy ?), auteurs des dessins pour les vitraux profanes du château d’Anet

167 |

Isabelle de Conihout À propos de l’exemplaire du Premier tome de l’architecture offert par De l’Orme à Catherine de Médicis : reliures de la Renaissance française à décor architectural





181 |

Vasco Zara Les oreilles de De l’Orme

191 |

Jean-Pierre Manceau La culture mathématique de Philibert De l’Orme

199 |

José Calvo Lópes Philibert de l’Orme and Spanish Stereotomy

215 |

Sylvie Le Clech-Charton L’invention d’une nouvelle technique de charpente par Philibert Delorme, à travers l’édition d’une lettre adressée au connétable de Montmorency

219 |

Frédéric Aubanton Les charpentes à la Philibert de l’Orme en région Centre-Val de Loire : état des lieux et perspectives

231 |

Valérie Nègre La contribution des artisans au rétablissement de la charpente de Philibert De l’Orme au xviiie siècle

243 |

Jacques Moulin Le château de La Punta, à Alata

259 |

Guillaume Fonkenell La Grande Galerie : une architecture delormienne ?

279 |

Frédérique Lemerle Le xviie siècle français et Philibert De l’Orme

291 |

Hadhami Ben Jemaa Léon Palustre (1838-1894) et Philibert De l’Orme

301 |

Bibliographie générale

325 |

Index



Philibert De l'Orme : l'architecte-mage de l'hôtel Bullioud* Richard A. Etlin | University of Maryland

Dans le Livre du cuer d’amours espris (1457), René d’Anjou présente les deux architectes de son château fictif comme des personnages allégoriques féminins : Fantaisie et Imagination. Or, comme Michel Stanesco l’a souligné dans son étude de la tradition littéraire du palais enchanté dans les romans chevaleresques du Moyen Âge, quand il y avait un architecte professionnel il était aussi souvent un mage1. Aujourd’hui je voudrais proposer une théorie nouvelle : bien que l’hôtel Bullioud (fig. 1) soit une des premières œuvres de la Renaissance française, il a été conçu dans cette tradition médiévale du palais enchanté par un architectemage, aidé par la femme d’Antoine Bullioud, Marguerite de Bourg, qui incarnait les personnages de Fantaisie et Imagination. J’ajouterai aussi que De l’Orme et Marguerite de Bourg ont décidé de profiter d’une commande de bâtisse des plus banales pour faire une architecture riche de multiples significations iconographiques dans le but d’éblouir le roi. Comme Dominique Bonnet Saint-Georges l’a bien noté, le 14 janvier 1536 François Ier et sa cour s’installaient à Lyon pour y diriger la troisième guerre contre Charles Quint2. Antoine Bullioud, dont la famille avait des liens importants avec la cour et dans l’église, était lui-même l’un de ses plus illustres membres dans sa fonction de général des Finances de la Bretagne3. C’était donc un moment propice pour transformer le besoin d’accommoder les vieux édifices autour de deux cours intérieures auxquelles on accédait par des traboules en une architecture pleine de signification symbolique. La commande confiée à De l’Orme n’était pas facile. Il devait relier deux édifices au niveau du deuxième étage à travers la seconde cour intérieure. Comme l’architecte l’expliquera dans son traité de 1567, l’exiguïté de la cour combinée avec la grande hauteur des bâtiments préexistants l’obligeait à trouver une solution qui nuirait le moins possible à l’aération et à l’éclairage de la cour. Donc au lieu d’une galerie avec escalier, qui était d’usage traditionnel dans les traboules lyonnaises, De l’Orme a construit une étroite courtine bordée de chaque côté par un cabinet cylindrique sur

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Je remercie P. Lescar, É. Jollet et Y. Pauwels pour les conseils sur les subtilités d’usage en langue française. Stanesco 1999, p. 250-251, 254. Bonnet Saint-Georges 1993, p. 36. Pour la famille Bullioud, voir Fontaine 1984, p. 76 ; Verchere 2008, p. 12.

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Fig. 1 | Ph. De l’Orme, Lyon, hôtel Bullioud, 1536. Façade de la deuxième cour. Cliché R. A. Etlin

trompe. Sur le côté droit, il y avait même deux niveaux de cabinets et dans son livre, Philibert vante l’agrément de ces cabinets pour ses clients4. Dominique Bonnet Saint-Georges, influencée par l’interprétation de la Renaissance selon les normes de Heinrich Wölfflin, a suggéré que le manque de symétrie que l’on voit aujourd’hui dans la façade de l’hôtel Bullioud était le résultat de la modification postérieure d’une architecture originellement symétrique5. Elle appuie aussi sa démonstration sur le contraste étonnant entre la finesse du décor Renaissance de la galerie avec ses cabinets et les deux grandes arches d’aspect rude qui la soutiennent et qui se heurtent contre les cabinets et leurs trompes, autre indice de la déformation postérieure de la façade. Selon cette hypothèse, la démolition d’une galerie dorique a entraîné la reconstruction de la trompe de gauche à un niveau supérieur, tout en laissant les chapiteaux doriques isolés comme orphelins6. Aujourd’hui j’espère vous convaincre de la justesse d’une hypothèse tout à fait contraire.

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De l’Orme 1567, f. 90v. Selon Pierre Martin, De l’Orme aussi est responsable pour le balcon qui lie des corps de logis au niveau du premier étage ([1855 ?], p. 26). Voir Bonnet Saint-Georges 1993, fig. 32. Bonnet Saint-Georges 1993, p. 39, 52-56. D. Bonnet Saint-Georges n’est pas la première personne à proposer que ces arches aient été ajoutées à la façade à une date postérieure : voir Hours [1969], p. 23. Henri

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Clouzot pensait que De l’Orme a été obligé d’utiliser ces arches déjà en place (1910, p. 111) et il renvoie à Léon Charvet (Charvet 1891, p. 36). Chastel 1978, t. 2, p. 33-45. McGowan 2000 ; Forero-Mendoza 2002 ; Lemerle 2005b ; Leutrat 2010. Sangallo 1984, f. 34. Voir Bournon 1908, p. 39 (galerie du second étage, l’aile François Ier à Blois) ; Pérouse de Montclos 1997, p. 35 (la chapelle d’Ainay-le-Vieil). Voir Etlin 2012a, t. 1, p. 152, et Pauwels 2013, p. 183, 249. Voir Lemerle 2005b, p. 58, pour Champier et les autres Lyonnais qui l’ont précédé avec des études sur les antiquités locales. Pour le Maître J. G., voir Leutrat 2010, p. 191. Sur l’enthousiasme de François Ier pour les antiquités nationales, voir Cooper 2013, p. 40, 128-131. Fabia 1934, p. 40. Pour la datation, voir Fabia 1934, p. 37, 190. Par exemple, la famille Colonna qui habitait depuis les années 1440 ce que l’on pensait à tort être le Palais de Mécène, voir infra. Vers 1519 la famille Savelli occupa le théâtre de Marcellus, alors rebaptisé « Colosseo dei Savelli » (Rowland 1998, p. 38-39). Voir aussi pour les dates Lanciani 1902, t. 1, p. 51, 194. De toutes les vues de l’Anticaille, Fabia considère celle du prétendu « plan scénographique » de 1550 comme « la plus ressemblante ; elle est au moins la plus vraisemblable ». En fait, il s’agit de la nouvelle

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En 1957 André Chastel, avec sa préscience accoutumée, a expliqué que la Renaissance «  symétrique  » de Heinrich Wölfflin a connu une autre Renaissance, qui gagne de la force à partir de 1500, avec une esthétique alternative que Chastel dénommait «  le fragmentaire, l’hybride et l’inachevé ». Il a même utilisé l’un des dessins asymétriques de fragments de ruines par Léonard Thiry gravés par Jacques Androuet du Cerceau pour illustrer sa thèse7. Des études plus récentes ont exploré l’engouement des humanistes pour les ruines antiques que les artistes dessinaient sur place à Rome et en France, comme à Lyon, et dont le sujet fournissait aussi la matière des compositions fantaisistes inspirées par les gravures de ruines du fameux livre de songes, l’Hypnerotomachia Poliphili (1499)8. L’hôtel Bullioud participe pleinement de cette deuxième Renaissance en tant que ruine classique découverte comme une surprise dans la deuxième cour. Tandis que les autres artistes dessinaient des ruines, De l’Orme construisait une ruine qui semblait constituée de la superposition d’un ensemble de fragments de maisons bâties à travers le temps. À première vue, l’hôtel Bullioud fait penser à une vue très pittoresque de ce genre représentant les alentours du Pons Fabricius à Rome, qui a attiré l’admiration d’artistes tels Giuliano da Sangallo9, Thiry et Jacques Androuet du Cerceau (fig. 2). Quant au chapiteau orphelin, c’est un motif maniériste déjà utilisé dans les châteaux du règne de François Ier – l’aile François Ier à Blois et le château d’Ainay-le-Vieil (c. 1530)10 – et que l’on retrouvera encore par la suite11. À l’hôtel Bullioud, il est utilisé pour illustrer le thème de la ruine. En ce qui concerne Lyon à cette époque-là, on peut parler d’une confluence d’intérêts pour les ruines. La publication entre 1529 et 1537 des antiquités de Lyon par Symphorien Champier, selon le jugement de Frédérique Lemerle, « marque une étape décisive », soutenue par les gravures de ruines asymétriques par le Maître J.G., actif entre Saône et Rhône à partir des années 152012. Par ailleurs, la famille Bullioud était alliée aux Sala13 ; vers 151714 Pierre Sala, suivant l’exemple des familles romaines les plus illustres qui habitaient des demeures édifiées sur les ruines15, a construit une maison de campagne à Lyon (fig. 3) sur le coteau de Fourvière au-dessus des débris antiques dénommés « la Masse des Arcs » auquel il a donné le nom significatif d’Anticaille, c’est-à-dire « une antiquité »16, maison honorée d’une visite par François Ier

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Fig. 2 | J. Androuet du Cerceau, vue de Rome avec le Pont Fabricius.

Cliché Avery Architectural and Fine Arts Library, Columbia University, New York

Fig. 3 | P. Sala, Lyon, L’Anticaille. Détail du Plan

Scénographique de Lyon vers 1550 d’après la réimpression de 1872

Fig. 4 | Ph. De l’Orme, allégorie de la Sapience

avec le « sage et docte Architecte », détail (Le premier tome de l’architecture..., Paris, 1567, f. 283)

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Fig. 5 | M. van Heemskerck, Rome, palazzo Colonna et ruines du temple de Sérapis, c1534-1536.

© Stiftung Museum Kunstpalast - Horst Kolberg - artothek

en 152217. On peut dire que la façade de l’hôtel Bullioud fait allusion à cette antiquité intentionnelle : maison asymétrique bâtie au-dessus d’un soubassement fait d’antiques voûtes en berceau et garnie d’une tourelle sur le côté droit. En parlant de l’hôtel Bullioud dans le Premier tome de l’architecture, De l’Orme fait une brève allusion à des «  galeries  », au pluriel. Ceci est probablement une ruse, par laquelle il entend bien sûr qu’en bon architecte humaniste, il a construit un édifice symétrique que seul le Temps a su ravager18. Jusqu’à la fin de sa vie, De l’Orme restera fidèle au culte des ruines, en encadrant dans son allégorie du « sage et docte Architecte » une fontaine conçue comme fons sapientiae par une antique ruine asymétrique dont les caissons de la voûte sont déformés par une anamorphose (fig. 4). Le point de repère de l’Anticaille, autant que la soi-disant ruine de l’hôtel Bullioud, était le palais romain construit par Prospero Colonna vers 1440 dans les ruines de ce que l’on pensait être le Palais de Mécène (fig. 5). Colonna a été honoré par Flavio Biondo comme le Mécène de

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gravure de 1872 du plan restauré en 1842 dont la date originelle paraît être 1545-1548. L’asymétrie de la bâtisse est confirmée par le plan de Lyon (c. 1548) attribué à J. Androuet du Cerceau, « La Cité de Lyon» (BnF, Est. AA5 Rés.). Voir Fabia 1934, p. 186-220 ; Le Plan de Lyon vers 1550, édition critique des 25 planches originales du plan conservé aux archives de la Ville de Lyon, Lyon, Archives Municipales de Lyon, 1990, p. 6, 10. Pour la visite du roi, voir Busby 1993, t. 2, p. 166 ; Lemerle 2005b, p. 58. Ce ne serait pas le seul endroit dans ces écrits où De l’Orme prend des libertés avec l’exacte vérité. Voir Etlin 2012b, p. 263-269.

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son temps, attribut accordé plus tard à Lorenzo de’ Medici19. Au début du xvie siècle Guillaume Budé et Érasme évoqueront François Ier de la même manière20. Dès lors, on comprend la signification symbolique de la galerie de l’hôtel Bullioud pour inscrire la référence qui fait de cette demeure lyonnaise un palais du Mécène français construit pour flatter le roi. L’évocation du Palais de Mécène n’est que la première d’une série de références qui renforcent le thème de François Ier mécène soutenant la renaissance des arts et des lettres antiques. Or, comme Estelle Leutrat l’a très finement observé, il y a un aspect « quasi onirique » dans mainte vue des ruines21. Je soupçonne que cet aspect onirique provient de la tradition médiévale de la littérature du songe et du rêve22. Les humanistes lyonnais n’ignoraient sans doute pas l’autre tradition architecturale de la ruine contemporaine, liée à l’onirisme et souvent à une composition asymétrique. Je parle de la pratique qui a fleuri en Italie dans les années 1470-90 jusqu’aux alentours de 1530, selon laquelle on faisait précéder les textes classiques par un frontispice architectural représentant un arc de triomphe antique, souvent associé à un tabernacle, où était suspendu un parchemin souvent rongé par le temps23. L’épigraphie latine était souvent écrite en lettres dorées. Donc le lecteur humaniste était invité à passer sous cet arc de triomphe ou à travers ce tabernacle pour entrer métaphoriquement dans le livre. Il arrive que le frontispice montre des personnages qui sortent de la scène pour approcher le lecteur de l’autre côté de cette frontière onirique24. De l’Orme aurait pu évoquer explicitement ces frontispices architecturaux avec le dessin de sa façade s’il en avait eu le désir. Mais il s’est montré plus habile en ajoutant des couches de signification supplémentaires. D’abord il liait le thème de la ruine à la tradition humaniste consistant à faire revivre la culture classique. Si, par exemple, la façade de l’hôtel Bullioud et la ruine du Polyandrion de l’Hypnerotomachia Poliphili se ressemblent25, c’était parce que toutes deux étaient issues de la même source, c’est-à-dire de l’arc d’Hadrien à Athènes dessiné par Cyriaque d’Ancône26. Or l’évocation de l’Athènes antique à travers une image qui est une synecdoque de cette civilisation ancienne avait une signification spéciale pour les Lyonnais de cette époque : leurs plus éminents historiens, tels Symphorien Champier et Gilles Corrozet, avaient justement proposé une translatio studii pour la fondation de Lyon au temps de Minos par des philosophes d’Athènes qui y auraient établi non seulement une v...


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