Pouchkine \'La Dame de Pique\' Commentaire chapitre 5 PDF

Title Pouchkine \'La Dame de Pique\' Commentaire chapitre 5
Course Littérature comparée
Institution Université de Tours
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Summary

Cours de L1. Commentaire donné lors du premier semestre sur les récits fantastiques. Il s'agit d'un commentaire sur tout le chapitre 5 de 'La Dame de Pique' de Pouchkine. ...


Description

POUCHKINE, La Dame de Pique, Commentaire des pages 58 à 61 (éd. Livre de Poche), CHAPITRE 5 « Se coucher », aux cartes, c'est abandonner la partie au profit de son adversaire. Hors c'est bien ce qui semble se passer ici avec Hermann, qui abandonne son jeu de héros au profit de la vielle comtesse. On s'attend à un épilogue suite au décès de la comtesse, mais les rôles s'inversent. Hermann ne domine plus la situation, il est pris au piège de sa crédulité, de ses rêves et de ses peurs. Les repères s'effacent entre ce qui est mort et ce qui ne l'est pas, entre ce qui relève de la fiction ou de la réalité, entre qui est le héros et qui est l'opposant. Nous verrons dans une première partie un enterrement très particulier, une mort pas aussi objective qu'il n'y paraît et les références au domaine de la foi. Dans une seconde partie nous nous arrêterons sur le doute créé par la multiplication des références à l'univers merveilleux ainsi que par la non-fiabilité des témoins. Enfin nous tâcherons de commenter l'achèvement ou l'inachèvement de la quête, un écho à l'incipit et un retournement de situation inattendu. La scène s'ouvre avec l'enterrement de la vieille comtesse. Ce fait semble donc être objectif : elle est morte. Cela paraît enfin apporter une certitude au lecteur après l'effacement de la frontière entre l'animé et l'inanimé au chapitre 4 de la nouvelle, puis les vérifications douteuses d'Hermann au chapitre 5. L'auteur insiste lourdement sur l'état de la comtesse : « la défunte comtesse » (l. 3), « la comtesse morte » (l. 8), « ses funérailles » (l. 10), « la défunte gisait » (l. 14). Mais une telle insistance en devient inquiétante, malgré les nombreux détails sur la cérémonie qui confortent encore cette assurance : « l'église était pleine de monde » (l.11), la description du cercueil puis de la toilette de la défunte, « la famille en grand deuil » (l. 18). Peut-être est-elle le reflet du sentiment d'Hermann « incapable de faire taire complètement la voix de sa conscience qui le harcelait » (l. 4-5). Après tout, s'il est venu à l'enterrement de la comtesse, « sans pour autant éprouver de remords (l. 4), c'est bien pour « solliciter son pardon » (l. 10). Et cet office publique suppose aussi une « foule » (l. 12) de témoins : « enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants » (l. 19), mais également de « nombreuses personnes conviée à la cérémonie » (l. 32) et enfin « les domestiques » (l. 36). Mais cette quantité de témoins est-elle fiable pour autant ? En effet « personne ne pleurait » (l. 20), pas même sa famille. Et l'explication donnée est la suivante : « La comtesse était si âgée que sa disparition ne pouvait surprendre personne et sa famille la tenait pour morte depuis longtemps » (l. 21-23). Ce qui paraît être à première vue comme une explication somme toute logique et donc rassurante, elle introduit déjà un doute dans l'esprit du lecteur. D'abord par l'emploi du nom « disparition » au lieu de « mort » : ne pourrait-elle pas s'être volatilisée pour mieux réapparaître ensuite ? Quant à la métaphore « sa famille la tenait pour morte depuis longtemps », elle n'est pas innocente et le doute cette fois se porte sur le caractère mortel ou non de la comtesse. Après tout, on se souvient qu'elle fût, dans sa jeunesse - décrite comme mythique dans l'incipit –, quémander l'aide du célèbre comte de St Germain, lui-même réputé immortel. Ne se faisait-il pas « passer pour l'inventeur de l'élixir de vie » (chapitre I) ? N'estce pas lui qui aurait confié le secret des trois cartes gagnante à la comtesse ? Qui livre un secret peut en livrer un autre, surtout à une personne égale en titre et en rang. Les références religieuses ajoutent encore à ce doute. En effet, n'oublions pas l'ellipse narrative en début de chapitre : « Trois jours après cette nuit fatale ». Or, dans la foi chrétienne, le Christ est ressuscité le troisième jour après sa mort, et à sa mort il faisait également nuit : « À partir de la sixième heure, l'obscurité se fit sur toute la terre » (Mt 27, 45). La comtesse ne semble-t-elle pas ressusciter dans ce chapitre ? L'apparition de la comtesse perçue par Hermann – dans une focalisation interne – peut nous faire penser à la première apparition de Jésus à ses disciples après sa résurrection : « les portes étant closes » (Jn 20, 19) il se trouve pourtant au milieu d'eux comme la comtesse « se dressa » (l. 78)

devant Hermann alors que « la porte d'entrée était verrouillée » (l. 96). Par ailleurs, le présumé fantôme de la comtesse déclare : « Il m'a été ordonné d'exaucer ta requête » (l. 8182). On ne saura jamais qui a donné cet ordre mais le terme « exaucer » suggère tout de même une intervention divine. On notera également qu'Hermann consignera « sa vision » par écrit, un peu comme les évangélistes ont pu le faire : « C'est ce disciple qui témoigne de ces faits et qui les a écrits, et nous savons que son témoignage est véridique » (Jn 21,24). Peut-être est-ce une manière pour le soldat de se convaincre et/ou de convaincre le lecteur qu'il dit la vérité. Le discours de l'archiprêtre lors de l'office funèbre – le « rite macabre » comme il est dit plus bas dans le texte (l. 52) – accentue encore une impression d'ironie chez le lecteur car « il dépeignit le décès paisible d'une femme » (l. 25), etc. Or le lecteur, qui connaît le personnage de la comtesse et les circonstances de son décès, ne peut naturellement faire confiance à la générosité, voire à la naïveté de ce personnage. Il poursuit son oraison en décrivant la comtesse lors ses derniers instants comme « dans l'attente du Fiancé de minuit » (l. 29-30). Ce passage est d'ailleurs mis en valeur car mit sous la forme du discours direct. Si 'homme d'église fait directement référence à la parabole des vierges sages et des vierges folles dans l'Évangile selon St Matthieu, il est tentant de penser qu'il pourrait s'agir d'une métaphore d'Hermann... Qui plus est, « venue contre son gré » (l. 80), la comtesse repart « en traînant ses pantoufles », comme si elle traînait des chaînes et/ou un boulet invisible(s) derrière elle. Aurait-elle reçu un châtiment pour avoir accepté le marché du conte de St Germain ? Ses paroles sonnent comme une mise en garde pour Hermann et pour le lecteur... On serait tenté de faire un rapprochement avec les personnages de Marley et de Scrooge dans Un Chant de Noël par Charles Dickens, si cette œuvre n'avait pas été publiée presque dix ans après celle de Pouchkine. Ce qui nous amène à nous arrêter sur les références à l'imaginaire. Parmi ces références nous pouvons nous attarder sur celle de la Belle au bois dormant, conte de Charles Perrault très en vogue à l'époque de Pouchkine. La description de la défunte à son enterrement nous fait penser à la princesse qui sommeille depuis cent ans : « la défunte gisait, les mains croisées sur sa poitrine » (l. 24-25). Elle est également « entourée de toute sa maisonnée » (l. 26), famille et serviteurs, tout comme dans le conte où tout le château et ses habitants sont endormis autour de la princesse. De plus, si l'on considère que « le Fiancé de minuit » est une métaphore d'Hermann, on peut penser que lorsqu'il se penche sur le corps il se trouve sans le vouloir dans la position du prince charmant qui éveille sa belle : « Et en cet instant il lui sembla que la morte lui adressait un regard moqueur et un clin d’œil » (l. 45-47). Nous relevons au passage l'emploi du verbe « sembler » ; encore une fois rien n'est sûr. Déjà auparavant il s'était « prosterné sur le sol froid jonché de branches de sapin », ce qui n'est pas sans nous rappeler le bois du conte. Il se relève « pâle comme la morte elle-même » (l. 44) et tombe à la renverse (l. 49). La frontière entre l'animé et l'inanimé semble s'effacer à nouveau. Il en sera de même pour l'ordonnance qui « dormait par terre » (l. 93-94) lors de l'apparition et que son maître réveillera « non sans peine » (l. 94). N'est-il pas comme les laquais du château de la Belle ? Cet épisode de l'apparition se passe la nuit : « Il faisait nuit quand il s'éveilla » (l. 64). L'heure même est précisée : « trois heures moins le quart » (l. 65), comme un ancrage dans la réalité. Mais si Hermann « n'avait plus sommeil » (l. 66) peut-être n'était-il pas pour autant tout à fait réveillé... l'ambivalence du verbe « songer » (l. 67) semble aller dans ce sens. La comtesse apparaît en pantoufles, et donc certainement en chemise de nuit. C'est la tenue dans laquelle elle est morte – et non pas enterrée. L'auteur nous a fait entrer dans ce chapitre avec un épigraphe, phrase qu'il désigne comme étant du philosophe et mystique suédois Swedenborg. Cependant, malgré l'autorité que représente cet auteur d'une œuvre considérable, « on n'a, paraît-il, jamais retrouvé dans l'immense œuvre de Swedenborg la phrase que Pouchkine cite ici en russe » (Note 1 p. 58). Cette source n'est donc pas fiable. Nous avons ensuite le personnage du chambellan qui, en sa

qualité de « proche parent de la défunte » (l. 53-54) aurait pu apporter quelque information sur le trouble d'Hermann et ce qu'il croit avoir vu à ce moment-là. N'est-ce pas, après tout son métier que de 'faire la lumière' ? Il sera d'ailleurs plus tard à nouveau question de chandelle (l. 97-98) comme si Hermann désirait mettre en lumière ce qu'il vient de lui arriver. Mais tout ce que le chambellan trouve à dire est que « le jeune officier était un enfant naturel de la comtesse » (l. 55-56). Or le lecteur sait pertinemment que cela est faux et qu'il ne s'agit ici que d'un ragot au milieu de la « rumeur sourde » (l. 52) de l'assemblée. De même, le seul autre personnage de l'histoire qui, à part Hermann, eût pu être témoin de l'apparition, c'est-à-dire son ordonnance, « dormait » (l. 94) car il était « ivre, à son habitude » (l. 95) et il fut donc impossible à Hermann « d'en tirer un mot de bon sens » (l. 96). Enfin, le témoignage d'Hermann lui-même n'est pas fiable. Nous percevons en effet la scène de l'apparition à travers lui, en focalisation interne. Mais quel est la disposition d'esprit du personnage tout au long de ce chapitre. Tout d'abord rappelons que « n'ayant guère de vraie foi, il nourrissait une multitude de superstitions ». Il est donc sous l'emprise de ses peurs et n'a pas une vision claire et objective des événements. Sa crainte est exprimée très clairement : « Persuadé que la comtesse morte pourrait avoir une influence néfaste sur sa vie... » (l. 8). Il se sent donc déjà menacé, on pourrait même dire hanté et poursuivit. L'emploi de l'adjectif « persuadé » mis en valeur par son apposition en début de phrase, a ici toute son importance. En effet, Hermann n'est pas « convaincu » mais « persuadé », ce qui implique que c'est son affect et sa sensibilité qui l'ont « résolu » (l. 9) et non sa raison. Tous ces éléments font écho à l'incipit, où Tomski racontait l'histoire de sa grand-mère comme une dernière histoire avant d'aller dormir, un conte lors d'une veillée qui nourrit l'imagination et les rêves. D'autant qu'au bruit des pantoufles c'est à « sa vieille nourrice » (l.76) que pense Hermann. Or la nourrice n'est-elle pas celle qui conte les histoires aux enfants avant qu'ils ne s'endorment ? Il se peut donc que ce ne soit que l'angoisse cauchemardesque d'un esprit torturé et alourdi par le vin qui se manifeste ici. Ce ne serait pas étonnant d'après ce qui nous est rapporté de sa journée. Après la scène de l'enterrement qui fut sans conteste éprouvante, « toute la journée Hermann broya du noir » (l. 58) et « déjeuna dans une gargote » (l. 59) ce qui est un lieu généralement mal-famé, sombre et propice au développement et ruminement de ses peurs. Il est également bien précisé qu'il « but beaucoup dans l'espoir d'apaiser son angoisse » (l. 60). Malheureusement pour lui « le vin échauffait encore plus son imagination » (l. 61). Le chapitre semble ici former une sorte de boucle qui nous renvoie à l'incipit. Au chapitre premier, le lecteur découvrait une bande de jeunes officiers se racontant des histoires à la fin d'une soirée de beuverie. Et la dernière de ces histoires était celle de la grandmère de Tomski, la vielle comtesse Fédotovna. Mais un personnage a pris cette histoire au sérieux et cherche à tout prix à obtenir le secret des trois cartes gagnantes que la vielle femme est sensée détenir : Hermann. Ici, au chapitre 5, le mystère est enfin dévoilé, alors que le lecteur ne s'attendait plus à cette révélation. En effet, la comtesse est morte avant de pouvoir livrer son secret à Hermann. Est-ce le fantôme de la comtesse qui vient révéler son précieux savoir ou bien est-ce une manifestation du désir et de la culpabilité d'un homme aviné ? Car le fantôme donne une précision qui devrait « apaiser » (l. 60) l'angoisse du héros qui craignait que la comtesse morte ait « une influence néfaste sur sa vie » (l. 9) lorsqu'elle lui affirme : « Je te pardonne ma mort à la condition que tu épouses ma pupille Lizaveta Ivanovna » (l. 85). On sait que la vieille comtesse se préoccupait en effet de l'avenir de sa pupille puisque le legs de sa fortune lui a permis un beau mariage, mais il se peut également qu'Hermann éprouve malgré tout quelque repentir de sa conduite envers la jeune fille (chapitre 4). Dans les deux chapitres précédents, il paraissait que la quête du héros avait échoué. Mais ici nous avons affaire à un rebondissement tout à fait particulier puisque bâti sur le doute fantastique lui-même, c'est-à-dire sur la vision d'Hermann.

Se pose aussi la question de la véritable quête et du vrai héros de l'histoire. Hermann est décrédibilisé en temps que héros aux yeux du lecteur. Peut-être que l'anecdote de Tomski, mise en abyme, était bien la véritable histoire, à savoir celle de la comtesse et du secret des trois cartes. Peut-être est-elle en réalité l'héroïne de Pouchkine ? Après tout, il semble bien que ce soit elle la « Dame de Pique », puisque Hermann au chapitre suivant la voit apparaître sur cette carte à jouer. Si l'on adopte l'hypothèse du fantastique, elle pourrait alors même être l'héroïne éponyme de la nouvelle. On peut alors voir le chapitre 5 comme un renversement des rôles, dans un premier temps dans la scène de l'enterrement avec la comparaison : « Il se releva enfin, pâle comme la morte elle-même » (l. 43-44), scène durant laquelle d'ailleurs il « tomba à la renverse » (l. 49)... Le choix de cette expression n'étant sans doute pas anodin. Et dans un second temps lors de l'apparition, où le personnage d'Hermann est passif, l'action et les directives viennent de la comtesse. La quête reprend un nouvel élan qui prolonge le doute et le suspense : à présent qu'Hermann a « les cartes en mains » pourrait-on dire, on attend que sa quête s'achève alors par sa réussite ou son échec au jeu. Si la vieille comtesse retourne la situation à son avantage, alors on s'attend déjà à sa vengeance. Au moment où Hermann paraît avoir finalement réussi sa quête, obtenu ce qu'il désirait tandis que la vielle femme se voit contrainte de révéler son secret si chèrement gardé, n'est-il pas en réalité la victime ? En tous les cas, il est évident que d'une manière ou d'une autre « La Dame de Pique », qu'elle soit une métaphore de la vielle comtesse ou une carte à jouer, est bien la carte maîtresse du jeu de Pouchkine et sujet d'effroi pour les personnages comme pour le lecteur. C'est une carte dominante, qui lorsqu'on l'abat devient une menace sérieuse. Le lecteur est victime de sa crédulité, victime de son imagination, au même titre qu'Hermann qui, pour sa part, en a même perdu la raison... Après tout, peut-être que le « clin d’œil » de la défunte s'adresse à nous lecteurs aussi bien qu'au jeune officier, comme si Pouchkine avait voulu poser une sorte d'avertissement du jeun cruel qu'il est en train de mener ?...


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