Commentaire à la lettre à georges izambard PDF

Title Commentaire à la lettre à georges izambard
Author Millie Monica
Course Letteratura Francese 1
Institution Università degli Studi di Napoli L'Orientale
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Summary

Commentaire à la lettre à georges izambard...


Description

Cher Monsieur ! : Georges Izambard discerne dans le point d'exclamation de cette entête un trait d'ironie dont il était la cible : "Sa lettre débute par un CHER MONSIEUR ! enjolivé d'un point d'admiration à la mode allemande ... C'est plutôt un point ... d'ironie. Il se passe ceci, que, depuis le 18 mars « Monsieur » est un mot banni du vocabulaire communiste (Rimbaud tel que je l'ai connu, par Georges Izambard, Mercure de France, 1963). Moi aussi, : Pour Steve Murphy (op. cit. p. 272) ce passage revient, de la part de Rimbaud, à traiter son ancien professeur de parasite : "Rimbaud inventerait, semble-t-il, n'importe quoi pour pouvoir mener une vie de parasite, mais son « Moi aussi » signifie, par sa commutativité perfide, «COMME VOUS ! » : son objectif est moins donc de donner une représentation exacte de sa vie quotidienne en mai 1871 que de définir la conduite actuelle d'Izambard. tout ce que je puis inventer de bête, de sale, de mauvais, en action et en parole : Chez le Rimbaud du printemps 1871, ce genre de déclaration est récurrent. Dans sa lettre à Demeny du 15 mai, il parle des "choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses" que trouvera la femme de l'avenir quand elle aura été libérée de l'esclavage que lui impose la société. Dans sa lettre d'août 1871 au même Demeny, il se décrit encore "recueilli dans un travail infâme, inepte, obstiné, mystérieux". Dans sa stratégie de renversement des valeurs bourgeoises (intelligence, moralité, hygiène), Rimbaud érige le bête, le sale et le mauvais en valeurs positives. Voici l'éclairage apporté à ce passage par Steve Murphy (op. cit. p. 284285) : "Parmi ces inventions de Rimbaud, on peut penser qu'il entrait beaucoup de détails scabreux, portant sur des activités sexuelles imaginaires. Delahaye raconte comment rimbaud a fait croire aux gens, par exemple, qu'il avait éjaculé dans la tasse de lait matinale de son ami Cabaner, à Paris, ou comment - dans le filon satirique du Balai (poème de l'Album zutique) il aurait fait subir «les derniers outrages» aux chiens de Charleville." on me paie en bocks et en filles : Littéralement : on me récompense en me procurant des chopes de bière et des femmes. Georges Izambard (Rimbaud tel que je l'ai connu, Mercure de France, 1963) voyait là une fanfaronnade par laquelle son ancien élève lui annonçait fièrement son dépucelage : "Bravade donc, je le répète; bravade de gosse monté en graine : le coquebin déburlecoqué tient à me faire savoir qu'il a franchi le Rubicon. Et c'est bien de son âge, cette fatuité qui jette au vent son cocorico de victoire". Steve Murphy, qui cite cet extrait, incline à penser que le professeur se laisse abuser par son ancien élève, qu'il s'agit là probablement d'une confidence fictive, du genre de celles que Rimbaud a l'habitude d' "inventer" à destination des "anciens imbéciles de collège" : "La fatuité est en l'occurrence celle d'Izambard, qui ne comprend pas que, par cette notation, Rimbaud le ravale au même niveau que les "anciens imbéciles de collège" (dont il est !) : il lui livre aussi des confidences fictives, sales, mauvaises, ... "bêtes" dirait Izambard." Stat mater dolorosa, dum pendet filius : Rimbaud cite, en l'abrégeant et en l'adaptant quelque peu, le texte d'un hymne de la liturgie catholique : "Stabat mater dolorosa, / Juxta crucem lacrimosa / Dum pendebat filius" (littéralement : la mère se tenait, douloureuse, près de la croix, en larmes, pendant que son fils pendait). Pierre Brunel (op. cit. p. 66) commente : "La reprise de la liturgie du 15 septembre d'après l'Évangile de Jean (XIX,25) souligne l'intention parodique et aussi l'intention provocatrice à l'égard de sa mère (...)" En effet, il semble que le conflit soit à son comble entre le jeune homme et la daromphe, en ce printemps 1871. En février, Arthur a refusé de continuer ses études au collège de Charleville. La réaction de Madame Rimbaud se laisse deviner par cette confidence d'Arthur à Paul Demeny, dans une lettre du 28 août 1871 : " J'ai quitté depuis plus d'un an la vie ordinaire pour ce que vous savez. Enfermé sans cesse dans cette inqualifiable contrée ardennaise, ne fréquentant pas un homme, recueilli dans un travail infâme, inepte, obstiné, mystérieux, ne répondant que par le silence aux questions, aux

apostrophes grossières et méchantes, me montrant digne dans ma position extra-légale, j'ai fini par provoquer d'atroces résolutions d'une mère aussi inflexible que soixante-treize administrations à casquettes de plomb. Elle a voulu m'imposer le travail, − perpétuel, à Charleville (Ardennes) ! Une place pour tel jour, disait-elle, ou la porte. − Je refusai cette vie ; sans donner mes raisons : c'eût été pitoyable. Jusqu'aujourd'hui, j'ai pu tourner ces échéances. Elle, en est venue à ceci : souhaiter sans cesse mon départ inconsidéré, ma fuite ! Indigent, inexpérimenté, je finirais par entrer aux établissements de correction. Et, dès ce moment, silence sur moi ! Voilà le mouchoir de dégoût qu'on m'a enfoncé dans la bouche. C'est bien simple. "

objective : "Si nous ouvrons le Larousse du XIXe siècle, nous lisons : On appelle sujet l'esprit conscient, le moi; objet, la chose, quelle qu'elle soit, dont l'esprit a conscience. On entend par subjectif ce qui appartient au sujet pensant, au moi, et par objectif ce qui appartient à l'objet de la pensée, au non-moi. Le rêve de Rimbaud est bien de faire fusionner dans une oeuvre le moi et le non-moi, de manière à rendre compte de l'existence humaine tout entière (...) le poète futur, qu'il cherche à incarner, en travaillant, en se travaillant, aura surmonté le divorce du moi et du non-moi, grâce à la conscience de l'objectif qui, venu de l'âme universelle, est intérieur au Je créateur (...)" Gérald Schaeffer, op.cit. 1975, p.120. Pierre Brunel (op. cit. p. 67) estime qu' "on a mal compris" les notions de poésie subjective et poésie objective : " Ce sont deux termes philosophiques, qu'on trouve chez Hegel en particulier. Rimbaud fréquente maintenant un professeur de philosophie, Léon Deverrière, chez qui il se fait adresser son courrier. Il peut donc avoir grâce à lui une teinture de langage philosophique. Mais il en use à sa guise. La poésie "subjective" est ce qu'un individu crée ou fait pour sa seule satisfaction personnelle : l'expression s'applique à l'activité professionnelle d'Izambard avant de s'appliquer à la poésie fadasse qu'il aime ou qu'il écrit lui-même. La "poésie objective" est ce qu'un individu fait ou crée et qui le dépasse : elle est Action, pour reprendre cette fois un terme de la lettre du 15 mai à Demeny." je m'encrapule : Une "crapule" est une personne dépravée ou malhonnête. Le terme est traditionnellement utilisé pour désigner très péjorativement le peuple : la crapule, la canaille. Le verbe s'encrapuler n'existe pas dans les dictionnaires, c'est une invention de Rimbaud. Commentaire de Steve Murphy: "Le terme encrapuler constitue comme une citation du discours conservateur, moralisateur et anti-prolétarien, dont Izambard a dû se faire le défenseur par son insertion dans un univers pédagogique étroitement surveillé par l'Église. Il suffit de lire les Poètes de sept ans pour comprendre la force qu'exerce sur Rimbaud la classe ouvrière. Ou de lire Le Forgeron, écrit en 1870, pour comprendre comment Rimbaud retourne l'insulte aristocratique ou bourgeoise en valeur positive :

L'Homme, par la fenêtre ouverte, montre tout Au roi pâle et suant qui chancelle debout, Malade à regarder cela ! "C'est la Crapule, Sire. Ça bave aux murs, ça monte, ça pullule : − Puisqu'ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux !"

On me pense. − Pardon du jeu de mots. − :

De quel "jeu de mots" Rimbaud parle-t-il ici ? S'agit-il seulement de "l'inversion sujetobjet pratiquée sur le pronom de première personne dans la formule du cogito" (Schaeffer, op.cit.) ou faut-il y déceler, avec la plupart des commentateurs, un calembour jouant sur l'homophonie "penser / panser (soigner)"? Si la transformation du "je" de "je pense" en objet d'un verbe ayant l'indéfini pour sujet ("on me pense") constitue un procédé rhétorique habile et chargé de sens, on voit mal quelle pourrait être la signification, dans le contexte de cette lettre, du calembour "penser/panser". Signalons malgré tout l'analyse de Steve Murphy sur ce point : "Rimbaud propose sans doute un jeu de mots sur « on me panse » : que la blague dérive de Voltaire (Izambard), de Hugo (Collot) ou d'Onésime Boquillon importe finalement très peu. La fréquence même de ces calembours, en relativisant l'idée d'une source précise, appuie fortement en revanche la vraisemblance d'un calembour que l'on pourrait tenir pour aléatoire." Je est un autre : Dominique Combe (op.cit. pages 18-22) analyse cette formule dans le cadre général de la "crise du sujet lyrique" dans la poésie post-romantique. Il en dénombre simultanément les sources philosophiques. Après avoir noté que l'idée d' "une pensée qui échappe à la maîtrise du sujet conscient et volontaire" est, à l'époque de Rimbaud, un thème banal, il signale aussi l'influence possible de Taine : "Même si Rimbaud ne fait guère état de lectures philosophiques, l'influence de thèses de Taine développées en 1870 dans De l'intelligence semble évidente, bien que la critique rimbaldienne ne l'ait guère signalée jusque-là. Contestant l'unité du Moi, dans lequel il ne voit qu'une succession d'événements et d'états de conscience, conformément à la tradition empiriste et associationniste, Taine décrit la conscience d'un malade qui, d'un état à l'autre, ne se reconnaît pas : "Je suis un autre", conclut-il, dans une formule soulignée par des italiques" (De l'intelligence, 1870, II, Hachette, 1883, p.466)". Enfin, Dominique Combe reconnaît l'influence de ce contexte idéologique dans la "mise à distance allégorique et théâtrale" du sujet de l'énonciation qui s'opère dans la poésie de Rimbaud : "Comme chez Baudelaire, le "Je" qui s'énonce dans les Poésies − par exemple dans Le Bateau ivre − n'est qu'une "transcendance vide" (H. Friedrich, Structure de la poésie moderne, 1956) à la signification exclusivement allégorique qui interdit toute lecture biographique. Le "Je" du Bateau ivre est bien une figure du poète, au sens rhétorique, "objectivée" par la fiction poétique. Une saison en enfer et, dans une moindre mesure Les Illuminations qui laissent peu de place à l'expression du sujet, pousseront plus loin encore ce processus de mise à distance allégorique et théâtrale". nargue : sorte d'interjection exprimant le mépris ou l'insouciance, suivie des prépositions "de" ou "à" (se rattache à "narguer" : verbe signifiant défier, braver avec insolence). fantaisie : voir la note sur ce mot dans la page consacrée à Ma Bohême.

Commentaire Georges Izambard, destinataire de cette lettre, a été le professeur de lettres de Rimbaud pendant l'année 1870. Poète lui-même, il encourage vivement son élève dans son activité littéraire. A l'automne 70, lorsque Arthur est mis en prison pour vagabondage lors de sa première fugue, c'est Izambard qu'il appelle à l'aide. C'est chez lui, à Douai, qu'il se réfugie à nouveau à l'issue de sa seconde fugue. Le climat d'amitié complice unissant le maître et l'élève

se dégrade pourtant quelque peu quand Izambard, sous la pression de Madame Rimbaud, accepte de renvoyer Arthur dans ses foyers sous bonne garde policière. Puis, le jeune professeur (21 ans) s'engage pendant la guerre franco-prussienne. Démobilisé en février 1871, après la défaite, il vient d'accepter (en avril) un poste de vacataire au lycée de Douai lorsque Rimbaud lui adresse cette lettre. D'où la formule initiale : "Vous revoilà professeur", qui sonne comme un reproche. Il faut entendre implicitement : "alors que moi, je n'ai pas voulu redevenir élève". Car Rimbaud a refusé de reprendre ses études lorsque le collège de Charleville a rouvert ses portes au mois de février, après des vacances prolongées pour cause de guerre. La lettre aura comme premier objectif de justifier cette dissidence. Il s'agit en effet ici d'une argumentation, organisée comme une sorte de dialogue où Rimbaud tiendrait les deux rôles. Il rapporte un propos de son ancien professeur (le "principe"), il résume les idées ou les attitudes qu'il lui prête ("Au fond, vous ne voyez en votre principe que poésie subjective"), il imagine les questions qu'il pourrait lui poser ("Maintenant, je m'encrapule le plus possible. Pourquoi ?"), il anticipe ses objections ("est-ce de la satire comme vous diriez ?), et en réponse il développe ses propres arguments. Mais cette lettre (surtout dans sa dernière partie) répond à un second objectif qui est d'exposer une théorie de la poésie. C'est ce second aspect que l'histoire littéraire a retenu sous l'appellation "lettre du voyant". De ce point de vue, il est difficile de séparer cette lettre à Georges Izambard de la seconde "lettre du voyant", celle que Rimbaud envoie deux jours plus tard (15 mai 1871) à Paul Demeny, poète, ami du précédent, et lui aussi de Douai : on y trouve les mêmes idées, les mêmes formules. Le lecteur aura intérêt de la consulter. Comme, en outre, cette seconde lettre est beaucoup plus développée et explicite que celle-ci sur certains points, nous prendrons plus d'une fois la liberté de commenter la première par la seconde, méthode formellement interdite dans l'exercice scolaire du commentaire de texte, mais qui nous a semblé ici efficace. Enfin, cette lettre contenait un poème, Le Cœur supplicié, que nous avons traité à part dans cette anthologie en même temps que les derniers paragraphes de la lettre, par commodité. Mais dont l'unité avec le texte de la lettre est si évidente que nous conseillons à notre lecteur de s'y reporter.

* * *

Charleville, 13 mai 1871.

Cher Monsieur ! Vous revoilà professeur. On se doit à la Société, m'avez-vous dit ; vous faites partie des corps enseignants : vous roulez dans la bonne ornière. − Moi aussi, je suis le principe : je me fais cyniquement entretenir ; je déterre d'anciens imbéciles de collège : tout ce que je puis inventer de bête, de sale, de mauvais, en action et en parole, je le leur livre : on me paie en bocks et en filles. − Stat mater dolorosa, dum pendet filius. −

Le début du texte tourne autour d'une maxime utilisée par Izambard (dans des circonstances que nous ignorons), maxime selon laquelle chacun "se doit à la société".

Rimbaud réplique d'abord en paraphrasant ironiquement cette thèse. Il utilise un jeu de mots tendant à déprécier le métier de professeur : "vous faites partie des corps enseignants". Le singulier "corps", en tant que subdivision de l'état, est remplacé par le pluriel, avec le sens courant du mot, ce qui permet à l'auteur de suggérer la fonction purement alimentaire de l'enseignement pour son destinataire. On devine aussi l'ironie dans l'utilisation de l'expression trop conventionnelle : "rouler dans la bonne ornière" (qui signifie "suivre le droit chemin"). Puis, Rimbaud réplique par un outrecuidant paradoxe : "Moi aussi, je suis le principe". Les deux points qui suivent cette proposition expriment un rapport causal : Rimbaud suit lui aussi le "principe" énoncé par son aîné puisqu'il se fait "cyniquement entretenir" par "d'anciens imbéciles de collège", puisqu'il consacre son génie et son temps à leur fournir tout ce qu'il peut "inventer de bête, de sale, de mauvais" contre une rémunération "en bocks et en filles". Comme on le sait par la lettre du 15 mai à Demeny, Rimbaud n'a pas un sou, sa mère a coupé les vivres ("moi pauvre effaré qui, depuis sept mois, n'ai pas tenu un seul rond de bronze !"). Il explique donc à Izambard comment il s'approvisionne "en bocks et en filles" en faisant le pitre devant quelques compagnons de bistrot. Il agrémente cette confession d'une plaisanterie quelque peu blasphématoire visant sa mère : détournant un texte célèbre de la liturgie catholique, il compare ses malheurs actuels à la passion du Christ et représente sarcastiquement Madame Rimbaud en "mater dolorosa" ruminant son chagrin au pied de la croix. Deux remarques sur ce passage. Avec son "moi aussi, je suis le principe", Rimbaud ne se contente pas de prétendre de façon impertinente et paradoxale qu'il se dévoue, tout autant que son maître, à une haute mission sociale, il fait en outre savoir à Izambard qu'il le considère lui aussi comme un parasite, qui n'exerce le métier de professeur que pour tirer de la société l'argent dont il a besoin pour nourrir son corps d'enseignant. Voilà, en dernière analyse (semble-t-il lui dire) le sens de son "principe". D'autre part, il est intéressant de voir apparaître, dans l'énumération que fait ici Rimbaud de ses turpitudes, des mots péjoratifs des contre-valeurs - qui reviennent de façon constante dans les lettres de cette époque et que ses poèmes illustrent aussi à leur façon. Dans sa lettre à Demeny du 15 mai, il parle des "choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses" que trouvera la femme de l'avenir quand elle aura été libérée de l'esclavage que lui impose la société. Dans sa lettre d'août 1871 au même Demeny, il se décrit encore "recueilli dans un travail infâme, inepte, obstiné, mystérieux". Rimbaud utilise les mêmes termes péjoratifs pour qualifier son travail de poète et ses méthodes de survie. On doit en déduire que, dans sa stratégie de renversement des valeurs bourgeoises (la raison raisonnable, la moralité, l'hygiène), Rimbaud érige le bête, le sale et le mauvais en valeurs positives. Autrement dit, il y a dans ce passage bien plus qu'une confession portant sur la vie actuelle du jeune poète (confession peut-être à demi "inventée" d'ailleurs, ou très exagérée !) : un véritable programme existentiel et poétique, que la suite de la lettre va permettre de préciser.

Je me dois à la Société, c'est juste, − et j'ai raison. − Vous aussi, vous avez raison, pour aujourd'hui. Au fond, vous ne voyez en votre principe que poésie subjective : votre obstination à regagner le râtelier universitaire, − pardon! − le prouve ! Mais vous finirez toujours comme un satisfait qui n'a rien fait, n'ayant voulu rien faire. Sans compter que votre poésie subjective sera toujours horriblement fadasse.

La polémique franchit un nouveau palier, en glissant vers la remise en cause de l'œuvre poétique d'Izambard et du contenu même de son enseignement. C'est la critique de la "poésie subjective".

Rimbaud rédige une phrase faussement symétrique qui semble d'abord reprendre l'idée précédente ("j'ai raison / vous aussi, vous avez raison") mais qui se termine par les mots "pour aujourd'hui". Cette insignifiante clausule signifie en fait que seul Rimbaud suit vraiment le Principe, que seul ce marginal, ce réprouvé qu'il est en train de devenir sert véritablement la Société et qu'on s'en apercevra demain. La suite explicite cette opposition "aujourd'hui / demain". Aujourd'hui, la société croit Izambard utile parce qu'il respecte l'ordre social. Demain on se rendra compte qu'il "n'a rien fait, n'ayant rien voulu faire", que sa poésie (celle qu'il écrit, celle qu'il enseigne) la "poésie subjective" est "horriblement fadasse". Par l'expression "poésie subjective" Rimbaud désigne l'égotisme romantique fondé sur la sublimation du moi, l'expression des sentiments personnels, l'exploration complaisante de l'intimité du poète. Cette critique du culte du moi sera explicitée dans la suite de la lettre. Elle sera reprise et considérablement développée dans la seconde lettre du voyant (envoyée à Paul Demeny le 15 mai). Elle n'est d'ailleurs pas absolument originale en cette second moitié du XIXe siècle : on la trouverait chez Leconte de Lisle et autres Parnassiens (que Rimbaud n'épargne pas davantage dans sa lettre à Demeny, où il leur reproche de " reprendre l'esprit des choses mortes "). Par contre, ce qui est plus original ici, c'est le lien établi par Rimbaud entre la vie et l'œuvre du poète : si son ancien professeur est condamné à produire une poésie subjective sans intérêt, c'est précisément parce qu'il s'obstine à "regagner le râtelier universitaire". Or, on ne peut pas faire une poésie nouvelle sans avoir opéré, dans sa vie même, une rupture avec le conformisme. L'œuvre est nécessairement le reflet de la position sociale de son auteur. On ne peut pas être un novateur dans l'art, un créateur au sens plein du terme,...


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