Commentaire linéaire Hécatombe à Diane PDF

Title Commentaire linéaire Hécatombe à Diane
Author Evan Gogolachvili
Course Littérature
Institution Sorbonne Université
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Summary

Commentaire linéaire sur le sonnet VII du recueil "Hécatombe à Diane", d'Agrippa d'Aubigné...


Description

Khôlle de Lettres Hécatombe à Diane, Sonnet VIII, Agrippa d’Aubigné A travers son recueil de sonnets intitulé Hécatombe à Diane , qui constitue la première partie de son Printemps, Agrippa d’Aubigné mêle macabre et amour, comme le laisse penser ce titre surprenant et légèrement morbide. Le sonnet VIII, situé au début du recueil donc, ne fait pas exception. Enfant des guerres de religion sanglantes qui meurtrirent la France au XVIème siècle, le poète protestant traite ici le sujet de la guerre et de ses ravages. En terme de forme, il s’agit d’un sonnet marotique en alexandrins. Le poème peut être divisé en trois parties : le premier quatrain commence la présentation des méfaits de la guerre, au second quatrain une rupture s’opère et métaphore ambiguë est mise en place par le poète, enfin, le sizain consiste en une apostrophe à l’amour et à la fortune. Ouy, mais ainsi qu’on voit en la guerre civile Les debats des plus grands, du faible et du vainqueur, De leur douteux combat laisser tout le malheur Au corps mort du pais, aux cendres d’une ville, Je suis le champ sanglant où la fureur hostile Vomit le meurtre rouge et la scytique horreur, Qui saccagent le sang, richesse de mon cœur, Et en se débattant font leur terre stérile. Amour ! fortune ! helas, appaisez tant de traicts, Et touchez dans la main d’une amiable paix : Je suis celuy pour qui vous faictes tant la guerre ! Assiste, amour, tousjours à mon cruel tourment ! Fortune, appaise toy d’un heureux changement ! Ou vous n’aurez bien tost ny dispute, ny terre.

Nous allons voir comment d’Aubigné, entre métaphore et prosopopée, fait entendre une élégie surprenante, qui oscille entre plainte amoureuse et dénonciation des violences de la guerre.

Le poème s’ouvre sur une formule surprenante : le « oui mais ainsi qu’ » (qu’on peut lire aujourd’hui « oui mais tandis que ») correspond à une réponse. Elle introduit une opposition qui ne se comprend qu’au vers 5, il y a donc un effet de suspens pour le lecteur. L’usage du pronom indéfini « on » témoigne d’une universalité, la guerre qu’il va décrire peut être vécue par un « on » général. Il faut noter le verbe de perception « voit », qui trahit la volonté du poète de former une image pour le lecteur. Le vers 1 s’achève par la mention du thème du poème : « la guerre civile ». L’enjambement entre les deux premiers vers montre symboliquement la portée de la guerre civile, dont les conséquences dépassent le cadre du vers.

Dans le vers 2, le superlatif relatif de supériorité « des plus » insiste sur la puissance de ces « grands » et donc sur l’ampleur de la guerre. Ces derniers sont divisés en deux catégories : « le faible » et le « vainqueur », toutefois ils sont réunis dans le même hémistiche et isolés par des virgules, ce rassemblement témoigne de la vanité de la guerre, en montrant la proximité du vainqueur et du vaincu (qu’ils le veuillent ou non). Les vers 3 et 4 présentent l’idée principale du quatrain : à savoir que les combattants « laissent » (c’est-à-dire abandonnent) des destructions derrière eux sans être « personnellement » touchés. Ces deux vers sont construits parallèlement aux vers 1 et 2, avec un enjambement, une absence de virgule pour le premier vers et une virgule à la césure du second. Ce parallélisme montre les conséquences de la guerre : d’une part les « débats », de l’autre les « destructions ». L’homéotéleute « leur » / « malheur » met aussi en évidence la conséquence du combat. Tout comme la rime antithétique « vainqueur » / « malheur » (la victoire mène quand même au malheur). D’autre part, l’antéposition de l’adjectif « douteux » souligne le caractère incertain de l’issue du combat. Le vers 4 développe ce que les « grands » laissent : « un corps mort du pays », on note l’homéotéleute qui souligne les deux termes, ainsi que la métaphore : le pays est un être vivant qui a été tué. Le parallélisme de construction « au » et COI ainsi que le passage du singulier au pluriel symbolisent la multiplication des destructions. Il faut noter trois allitérations et une assonance dans ce quatrain, celles-ci seront développées dans le reste du poème. Une allitération en « t », en « r », et en « k » : des sonorités rudes qui donnent à entendre la violence de la guerre. L’assonance en « i » (surtout présente dans le premier vers et qu’on retrouvera dans le deuxième quatrain) peu agréable évoque les cris des victimes de cette guerre civile.

A partir du vers 5 on assiste à une rupture, avec l’apparition d’un « je » ambiguë. Le « je » fait-il ici office de prosopopée ? Donnant voix au champ de bataille ensanglanté. Ou bien le poète se représente comme étant ce champ ? Les deux interprétations sont possibles, et conciliables. La polysémie du terme « fureur » représente bien cette double interprétation : la fureur désigne la domination d’une passion sur le corps, et peut être guerrière comme amoureuse. Le jeu sur le son « an » met en relief les mots « champ » et « sanglant », et les lie (ainsi que d’autres, voir poème), le champ est comme ensanglanté par essence. Il est aussi possible de commenter l’homophonie entre ce champ de bataille et le chant du poète, tous deux sont ensanglantés, l’un par le sang lui-même, l’autre par les mots : une isotopie sanguine est développée dans les vers 5, 6 et 7 (« sanglant », « rouge », « sang »), isotopie renforcée par un parallélisme métrique (même positionnement de ces mots, en fin du premier hémistiche). L’emploi de termes crus, tels que « meurtre » et « vomit » (qui revêt une dimension cratylique (quand je dis « vomis » il semble un peu que je vomisse) doublé de cette isotopie rouge frappe le lecteur et forme presque une hypotypose, composée d’une « scytique horreur » que le lecteur imagine lui-même. Cette horreur n’étant pas décrite pas décrite, le lecteur peut se figurer le pire à partir de la violence des mots. Des mots tels que « meurtre », « scytique » (une référence au peuple Scythe, modèle du peuple barbare pour les Grecs), ou encore « saccagent » (massacre et pillage). Le poète-champ de bataille est littéralement saccagé par le combat qui se joue sur lui, ou en lui, si l’on reprend la métaphore de l’amour violent, ce que semble vérifier l’emploi du mot « cœur » au vers 7. De même la rime antithétique « coeur » / « horreur » souligne la violence de l’amour. Enfin, le dernier vers du huitain reprend le sujet du deuxième vers (les « grands ») et donc le thème de la guerre, sans ambiguïté, encadrant la complainte du poète-champ par la

conséquence de la guerre, à savoir la stérilisation de « leur terre » (il faut noter le « leur » qui montre la destruction d’un bien commun), ce qui renvoie à la polysémie du mot « champ » (champ de bataille ou champ de plantations). L’assonance en « i » se retrouve aussi dans ce quatrain. De même pour les allitérations en « t », en « r » et en « k ». Mêmes significations qu’avant. (allitération en « s » : sensualité de la violence?).

A partir de la volte le poème prend un nouveau tournant, plus lyrique (lyrisme d’adresse, invocation tutoyante). Dans une apostrophe à l’amour et à la fortune personnifiés, le poète-champ les implore de mettre fin à leurs attaques, à leurs « traicts ». Le style coupé du vers 9, auquel s’ajoute une rapidité de prononciation des trois dernières syllabes permise par les dentales (« t », « d », « t ») montre une précipitation, la paix est plus que jamais nécessaire. Cette nécessité s’exprime aussi par l’usage de points d’exclamations ainsi que par l’interjection de plainte « helas » et par l’impératif « appaisez ». Le vers 10 reprend l’usage de l’impératif et est marqué par des consonnes douces (« l » et « m »), consonnes qui annoncent et mènent à la paix (littéralement car le mot « paix » clôt le vers. La diérèse sur le mot « amiable » qui occupe donc quatre syllabes le met en valeur et montre le caractère bénéfique de la paix. Le vers 11 consiste en une justification de la demande en légitimant le locuteur. Cette légitimation passe par l’affirmation de l’identité du poète-champ dans le premier hémistiche (« Je suis celuy pour qui »). Ici l’allitération en « i » qui relie « suis » / « celuy » et « qui » les met en relief et insiste sur leur valeur. Le point d’exclamation qui clôt ce premier tercet souligne à nouveau l’importance de la requête et son caractère désespéré. Le second tercet ne change pas de ton, le vers 12 s’ouvre en effet sur un impératif destiné à amour. Ce vers est assez surprenant car le poète car le poète ne demande pas à amour de calmer son tourment mais seulement d’y « assister ». De plus un lien est créé entre l’amour et le tourment à travers la sonorité « our » que l’on trouve aussi dans dans « tousjours ». L’adjectif antéposé « cruel » souligne ce tourment, cruauté elle-même symbolisée par le retour de l’allitération en « r ». Encore une fois l’exclamation participe du caractère élégiaque. Le treizième vers quant à lui constitue une requête plus sensée, ou plutôt une injonction car on retrouve l’impératif avec « appaise ». C’est ici fortune, mise en valeur car située en début de vers et isolée par la virgule, qui est la cible de la demande. Le poète supplie fortune de s’appaiser et donc de calmer la guerre (même si elle n’est pas nommée : ambiguïté avec l’amour), grâce à un « heureux changement » (qui s’oppose au « cruel tourment », subtil parallélisme). Enfin, la pointe du sonnet révèle l’alternative terrible, par une triple négation. Si fortune et amour n’accèdent pas à ses requêtes, le poète-champ ne sera plus et il n’y aura donc plus lieu de se battre, la guerre aura été parfaitement vaine. Sur le plan de la métaphore amoureuse l’interprétation est plus cryptique : est-ce une promesse de mort de désespoir (le poète étant la terre), ou bien de mort de l’amour (la dispute symbolisant l’amour pour autrui) ? On ne peut trancher. Nous pouvons donc voir comment Agrippa d’Aubigné, à travers ce sonnet dans lequel la figure du poète occupe une place pour le moins ambiguë, parvient à mêler élégie amoureuse et dénonciation véhémente de la guerre et de ses ravages. D’Aubigné forme ainsi un poème singulier, qui illustre parfaitement le titre surprenant de ce recueil : Hécatombe à Diane.

E. Gogolachvili...


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