Deixis personnelle X4FRAN #3 PDF

Title Deixis personnelle X4FRAN #3
Course Méthodologie Français - Linguistique
Institution Université Sorbonne Nouvelle
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Summary

Cours sur les deixis personnelle
Professeur: Valérie DELAVIGNE...


Description

X4FRAN La subjectivite dan s le discour s UNIVERSITÉ DE LA SORBONNE NOUVELLE DÉPARTEMENT DE LANGUES ÉTRANGÈRES APPLIQUÉES

La deixis Nous partirons de l’exemple suivant : Je vais dormir chez toi ce soir ; nous irons demain ensemble là-bas.

C’est un exemple d'énoncé français, une « parole » au sens de Saussure. On relève des traces de la prise en charge de la langue par l'énonciateur : je, toi, nous, organisés autour d’un repère temporel : ce soir et spatial : là-bas. En fonction de la personne qui dit : « je », cette unité linguistique se charge d’une signification nouvelle. Cette propriété remarquable de je est celle d'une classe d'éléments qu’on appelle des déictiques. Ce sont des unités de la langue qui ne prennent tout leur sens que dans l’acte d’énonciation : « je », « ici », « maintenant ». Selon les circonstances, la personne qui parle, le lieu et l’endroit d’où elle parle, je, toi, nous, ce soir, demain, là-bas vont voir leur sens changer. Leur référent est labile et instable. Prenons comme exemple le texto suivant qui s’affiche sur votre téléphone avec un numéro inconnu : Je te donne RDV à 8 h.

Toute interprétation est impossible. Les trois types de deixis La deixis de personne : je, tu…, c'est-à-dire les partenaires de l’énonciation La deixis spatiale : ici La deixis temporelle : maintenant

Le mot déictique vient du grec, deixis δεῖξις, qui signifie l’action de montrer, de référer. Il peut être employé comme adjectif : on parle d’un élément déictique, ou comme nom : « un déictique ». Le phénomène s’appelle la deixis. Ces déictique sont articulés sur la situation d’énonciation ; c’est pourquoi on les appelle également, à la suite de Jakobson, des embrayeurs (traduction de l’anglais shifter). Leur fonction consiste en effet précisément à articuler l’énoncé sur la situation d’énonciation. Déictique = embrayeur = shifter

Ces unités trahissent la présence d'un énonciateur. Elles ne peuvent être comprises en dehors de la situation de communication, contrairement à l’énoncé suivant, dont les référents sont fixes : Paul D. va aller dormir chez Rémi M. le 15 février et le 16 février ; ils iront ensemble au concert.

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On voit comment le système déictique permet une économie de moyen prévu par le système. Une affaire de référence Un déictique est donc une unité linguistique dont le fonctionnement référentiel nécessite de prendre en considération des éléments de la situation de communication, autrement dit le rôle des actants de l’énoncé et la situation spatio-temporelle de L1 et, éventuellement de L2. Un déictique est donc un signe sans autonomie référentielle. Ce qui ne veut pas dire qu’un déictique n’a pas de sens. Il faut distinguer le sens et la référence. Je a un sens, répertorié par le dictionnaire : on sait que c’est la première personne du singulier, la personne qui parle. Mais je n’acquiert une référence que lorsque quelqu’un dit « je ». Là, ce je correspond à une personne précise, celle qui est en train de parler ou d’écrire. Les déictiques de personnes Benveniste remarque en 1946 dans son article « Structures des relations de personne dans le verbe » repris en 1966 dans Problèmes de linguistique générale (225-236) que dans de nombreuses langues indo-européennes, on ne retrouve pas la structure en je/tu/il (singulier) et nous/vous/ils (pluriel). Je, tu, il… Le système des conjugaisons auquel vous êtes habitué : « je, tu, il, nous, vous, ils », masque une différence fondamentale entre les personnes. Le je est celui qui parle (c’est d’ailleurs ce que nous dit l’arabe) ; le tu : celui à qui on s’adresse. Les deux appartiennent à la sphère de l’interlocution. Mais le il est celui qui est absent ; ce n’est pas une personne présente ; c’est l’absent, que Benveniste va appeler la « non personne ». En arabe al mutakallimu, « celui qui parle » al muhatabu « celui à qui on s’adresse » alaya’ibu, « celui qui est absent »

Les personnes n’ont donc pas le même statut ; leur fonction est différente. L’idée est donc la suivante. La notion de « personne » se définit par la parole : est personne celui qui parle. Dès lors, deux ensembles s’opposent : je/tu et il. Je et tu sont les véritables personnes du discours, tandis que il est une non-personne dans la mesure c’est ce dont on parle et qui n’a pas droit à la parole. On l’appelle aussi le délocuté. Un énoncé reçoit son contenu référentiel de la situation de communication. Pour je et tu, prendre en considération la situation est nécessaire et suffisante. Ce sont des purs déictiques qui forment ensemble la sphère de l’interlocution. Il est nécessaire de connaitre la situation d’énonciation pour savoir de quoi on parle. Je vous attends ici demain

En revanche, pour il (ou elle), c’est le contexte linguistique qui permet de l'interpréter. Son interprétation est lié à son antécédent qui lui confère un sa référence. La prise en considération de la situation est certes nécessaire, mais non suffisante : il exige un antécédent linguistique, un représentant. Il est donc un pro-nom au sens strict , ce qu’on appellera plus loin une anaphore qui nécessite qu’on ait connaissance du contexte linguistique : Nathalie a trouvé un petit chat : il est adorable.

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Dans cet énoncé, « il » est interprétable grâce au groupe de mots qui le précède : « un petit chat ». Contrairement à je et à tu qui tirent leur référence du contexte situationnel, il tire la sienne du contexte linguistique, c’est-à-dire du cotexte.

Sujet de l'énonciation versus sujet de l'énoncé  Attention : ne confondez pas le sujet de l'énonciation avec le sujet de l'énoncé. Dans les deux énoncés suivants : 1- Je serai là 2- Evelyne sera là

le sujet (grammatical) de l’énoncé 1 est « Je », « Evelyne » dans le second énoncé. Mais le sujet de l’énonciation est celui qui prononce l’énoncé. Réversibilité de je et tu Je et tu renvoient donc à des rôles, celui de locuteur et celui d'allocutaire. Ces rôles sont réversibles : lors d’un « échange » linguistique, fort bien nommé, tout je est un tu potentiel, et tout tu peut permuter en un je. En parlant, le sujet se construit et construit l’autre : il l’autorise par la parole à accéder au statut de personne. De plus l’allocutaire est inscrit de façon implicite ou explicite dans l'énoncé. Celui joue un rôle actif dans l'énonciation. C’est pourquoi à la suite de Culioli, nous dirons que locuteur et allocutaire sont coénonciateurs : ils construisent ensemble l’interlocution. Il existe néanmoins une dissymétrie fondamentale entre le je et le tu : pour être je, il suffit de prendre la parole, tandis que pour être tu, il doit y avoir un je qui constitue l'autre en tu. Je et tu sont toujours déictiques.

Les valeurs de tu  Exercice A partir du corpus suivant, déterminer différentes valeurs de tu :

Tu mitonnes. (Libération) Consommateur, si tu savais. Aide-toi, le ciel t’aidera. Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qui te soit fait (Proudhon, Qu’est-ce que la propriété ?) Et que je te pousse ! Laurent va te l’écrire en moins de deux, ton article. Cas spécifiques du tu -

Tu peut parfois être remplacé par je. Par exemple, on peut s’adresser à un enfant : « Alors, j’ai bien mangé aujourd’hui ? ».

-

Tu peut également être remplacé par un pronom de troisième du singulier. Ce type de substitution induit alors une inégalité dans l’échange. Il a bien dormi cette nuit ?

L’autre n’est pas établi en personne. Cette substitution marque donc une attitude particulière par rapport à la personne à laquelle on s’adresse. Valérie DELAVIGNE - X4FRAN

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Le datif éthique

Il existe un usage particulier du tu, que l’on appelle le datif éthique. Il t’a saisi le gamin par la peau du cou et te l’a secoué comme un prunier !

Le te a ici un statut remarquable. Sa position dans l’énoncé et sa forme sont celles d'un bénéficiaire, ce qu’on appelle le datif. Cette forme, jugée familière, indique l'intérêt pris à l'action par la personne qui parle. Elle prend à témoin le co-énonciateur, qui se trouve ainsi mis en position d’acteur de l’énonciation, sans être acteur du procès qui se joue. On appelle également ces emplois datif d’intérêt ou datifs explétifs, car ils sont en surplus, non nécessaires : ils n’ont pas de rôle dans l’énoncé. C’est une sorte d'excès de l'énonciation sur la syntaxe. D’autres pronoms personnels peuvent prendre aussi cette valeur. Aussitôt fait que dit : le fidèle émoucheur Vous empoigne un pavé, le lance avec roideur, Casse la tête à l'Homme en écrasant la mouche (« L'Ours et l'amateur des Jardins » VIIT, 10) Il m’a trouvé le moyen de tout me salir. Qu'on m e l'égorge tout à l'heure (Molière L‘avare V2) Allez-moi mettre votre blouse. (Courteline)

Ce datif éthique ne doit pas être confondu avec le datif syntaxique, autrement dit un complément d’objet indirect (COI) : Je t’ai donné le livre hier.

Si le verbe admet un datif, le datif éthique est moins repérable : une ambiguïté peut subsister. Elle te fait un petit plat en moins de deux.  Exercice Dans les énoncés suivants, déterminez si le pronom tu renvoie à l’allocutaire, au tu à valeur générique ou au tu à valeur de datif éthique :

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Tu es rentré fatigué. Il te lui a coupé l’envie de recommencer ! Tu peux lui parler, il n’est pas là… Il te raconte de ces histoires ! Quand tu as vu ça, tu as vraiment envie de renoncer. Il te donne ça à une de ces vitesses ! Tu ne sais jamais ce que tu as à faire !

Les variantes morphologiques Il faut voir la série des déterminants possessifs comme une variante morphologique de je et de tu. « Mon départ » est équivalent à « je pars ». Le cas est un peu différent pour les pronoms possessifs : le mien, le tien, qui reprennent un nom. Ils contiennent des déictiques (le mien contient un je), mais relèvent de la nonpersonne puisqu’il désigne un objet dont je parle, absent du procès de l’énonciation.

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Le nous Le je ou le tu renvoie en fait à une classe plus large que les deux termes correspondants et leurs variantes morphologique (me, te, moi, toi). S’ils sont présents dans les pronoms (le mien, le tien) et les déterminants possessifs (mon, ton), ils le sont aussi dans les formes dites plurielles (nous, vous) et leurs propres variantes morphologiques. En fait, contrairement à ce qu’on croit souvent, nous et vous ne constituent à proprement parler le pluriel de je et tu. Ce sont plutôt des personnes amplifiées (ou diffuses). Nous désigne (je + d’autres) et vous (tu + d’autres). L’énoncé suivant : Nous allons au cinéma ce soir.

peut être ambigu : le nous = moi avec toi ? Ou moi avec lui ? Le nous équivaut à un je + non je. Il peut donc prendre des valeurs différentes Nous le verrons demain. En fait, non, demandons lui de venir. Cette odeur nous prend à la gorge ! (Un étudiant entre) No us sommes en retard aujourd’hui !

Le nous peut être inclusif : on inclut l’énonciataire de l’interlocution, ou exclusif : on exclut l’énonciataire ; -

Nous inclusif = je + tu + il Nous serons tous ensemble pour Noël

Quand nous = je + tu (singulier ou pluriel), le nous inclusif est un pur déictique. -

Nous exclusif = je + il Ton père [absent pour l’instant] et moi, nous irons au cinéma.

Le nous est à géométrie variable ; son interprétation dépend de la situation : Nous les Français.

Ce nous est-il inclusif ou exclusif ? L’emploi est inclusif si les allocutaires sont français, et exclusif s’ils ne le sont pas. Le nous inclusif et exclusif sont distingués par exemple en vietnamien : chúng ta (inclusif) chúng tôi (exclusif) chúng : marque du pluriel dérivée du chinois.

Le nous peut également correspondre à un nous « de modestie » : Nous avons vu que A. Et maintenant, examinons B

Nous avons là un nous d’auteur (nous auctorial), délégué d’une communauté et qui intègre le destinataire. Cette forme neutre, générale et prudente, se trouve souvent dans les écrits scientifiques. Le nous peut être également un nous de majesté, comme dans : Nous, Roi de France

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Jean-Baptiste Marcellesi, dans son analyse du Congrès de Tours qui s’est tenu en 19201, a repéré cinq usages du nous : 1. 2. 3. 4. 5.

Nous = je « emploi rhétorique » Cf. Louis XIV Nous = je + x + y « emploi récapitulatif » Nous = je + mes amis politiques Nous = je + les socialistes (les socialistes dont moi) Nous = je + socialistes + les non-socialistes.

Les différentes possibilités du nous sont reprises dans le schéma ci-dessous (KerbratOrecchioni, 2012 : 47) :

Le vous Tout comme pour nous, vous peut aussi bien renvoyer au singulier qu’au pluriel. Au singulier, il renvoie à l’allocutaire et correspond donc au vous de politesse. C’est parce que le vous est comme le nous une amplification de la personne et non une addition, qu’il existe un usage du vous dit « de politesse » : on interpelle un individu unique par vous. Dans l’opposition entre tu et vous, vous représente la forme non-marquée de l’opposition : c’est la forme neutre quand on s’adresse à quelqu’un que l’on ne connaît pas. On proposera : « tutoyons-nous », mais pas « vouvoyons-nous ». Ce qui guide le choix de l’une ou de l’autre forme est l’appartenance, ou non, à la même sphère de réciprocité. C’est pourquoi, dans certains cas, la forme requise est plutôt le tu (par exemple, entre étudiants, on ne se vouvoie pas, même si on ne se connaît pas), tandis que le vous peut marquer l’exclusion, la mise à distance. Par exemple, si vous vouvoyez quelqu’un que vous ne connaissez pas et qui vous a tutoyé, vous lui signalez votre refus du tutoiement en le vouvoyant. Au pluriel, vous peut renvoyer à l’ensemble tu+tu(+ tu…) lorsqu’on s’adresse à un ensemble d’individus présents.

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Marcellesi Jean-Baptiste (1971) « Éléments pour une analyse contrastive du discours politique ». Langages 23, pp. 25–56.

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Vous arriverez dans la salle du partiel cinq minutes à l’avance.

ou à l’ensemble tu+ils. Par exemple, un patron peut s’adresser un délégué syndical par un vous qui correspond à un tu+ils. Il Selon Benveniste, il renvoie à non-personne, c’est-à-dire à une personne absente de l’interlocution. C’est celui dont on parle, mais à qui on ne parle pas. Les frontières des catégories de la personne et de la non-personne sont fluctuantes. Elles nous donnent des éléments sur certains rapports humains. Son excellence est-elle satisfaite ?

L’usage de la non-personne (« elle ») en lieu et place de la deuxième personne (vous ou tu), accompagné de l’effacement de la première personne, correspond ici à l’expression du respect : en n’utilisant ni le tu, ni le vous, le locuteur s’exclut de l’échange et refuse de se comparer. Inversement, on raconte que le roi Léopold de Belgique disait : Il veut son épée.

En ne disant pas « je veux mon épée » pour parler à un inférieur, le roi l’exclut du statut d’allocutaire et marque de façon prononcée un rapport de place. Par ailleurs, il peut recevoir différentes interprétations : -

Sujet impersonnel : Il fait beau aujourd’hui.

-

Sujet personnel : Non, M. le Directeur n’est pas là aujourd’hui ; en revanche, il sera là demain.

-

Elément qui remplace un nom ou un groupe nominal dont il tire sa référence et qui a été introduit antérieurement dans le discours (cf. anaphore). (…) en revanche, il sera là demain.

-

Pronom de reprise : Même face à la gravité de l’acte, un homme pouvait-il se permettre de réagir ainsi ?

-

Sujet apparent : Soudain, il apparut dans les cieux un éclair splendide et effrayant.

Il n’est pas le véritable sujet.

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