Dissertation - Qu\'est-ce qu\'un poème? PDF

Title Dissertation - Qu\'est-ce qu\'un poème?
Author Thomas Dumats
Course Littérature
Institution Université de Reims Champagne-Ardenne
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Qu'est-ce qu'un poème ? Tout lecteur qui se trouve face à un poème sent bien qu’il est là en présence d’un texte tout à fait particulier. D’abord, rien que du fait de sa silhouette : il est souvent présenté sur une page, du moins lorsqu’il est court, entouré de blanc, avec une marge à gauche et de fréquents retours à la ligne ; il semble qu’avant même d’en entamer la lecture, on soit en mesure de dire d’un texte qu’il s’agit effectivement d’un poème. Ensuite, parce que l’on sent bien que le langage y est différent : plus dense, plus serré, parfois énigmatique, souvent difficile à comprendre. Cependant, malgré cette intuition et l’évidence du ressenti, on serait bien en peine pour répondre à cette question : « qu’est-ce qu’un poème ? ». Ne nous trompons pas d’objet : c’est bien du poème dont on parle ici, et donc justement d’un objet matériel, d’un texte littéraire, et non pas de la poésie, qui est un genre littéraire. Cette dernière a fait l’objet de nombreux et longs développements et théories, ce qui n’est pas le cas du poème : lorsqu’on s’intéresse à ce qui peut faire sa spécificité, on se trouve confronté d’une part aux définitions plus qu’insatisfaisantes des dictionnaires (un poème serait un texte écrit généralement en vers, mais qui peut l’être également en prose, qui présenterait les caractéristiques de la poésie), d’autre part à celles tout aussi peu satisfaisantes de certains poètes qui, comme Mallarmé, définissent avec beaucoup d’imprécision le poème comme « un mystère dont le lecteur doit chercher la clé ». Car cette définition, non contente, comme celle du dictionnaire, de ne dégager ni ce qui fait l’essence du poème ni ce qu’en sont les spécificités, semble ruiner toute tentative de définition en maintenant le poème dans la sphère du « mystère ». Mais justement, cette question, « qu’est-ce qu’un poème ? », n’appelle-t-elle pas forcément une réponse d’ordre personnel ? Nous allons toutefois essayer de trouver à cette question une ou des réponse(s) qui ai(en)t un caractère plus général. Pour ce faire, il semble qu’il faille plutôt se tourner du côté de la « forme » : on sait qu’on ne peut pas définir la poésie par le choix d’un thème ou d’un sujet, mais par le traitement que l’on en fait ; il en va de même pour le poème. D’ailleurs, aucun thème ne lui est interdit, aucun sujet ne lui a échappé et on peut lui accoler un certain nombre d’épithètes qui témoignent de la multiplicité et de la diversité des « types » de poèmes : lyrique, épique, didactique, pastoral… Ainsi, pour tenter de donner une définition satisfaisante du poème, c’est-à-dire qui soit à la fois juste, pertinente, rende compte de sa spécificité en tant qu’objet littéraire, et qui ait une extension suffisante pour rendre compte, sinon de la totalité, du moins de la plus grande partie du corpus, on se retrouve face à une triple difficulté : le peu d’interrogations dont la question semble avoir fait l’objet par le passé et qui laisse redouter un échec – peut-être en partie à cause du singulier : qu’est-ce qu’un poème – ; la diversité qui règne au sein du corpus ; et enfin l’idée que le poème est davantage l’objet d’un ressenti que d’une définition. I. On verra dans un premier temps si ce qui est donné comme critère de base pour la définition d’un poème, à savoir le respect de certaines règles, est un critère pertinent. II. Puis on s’interrogera sur ce qui peut bien faire la spécificité du poème en tant qu’objet littéraire. Enfin, en partant de l’étymologie même du mot « poème », on cherchera à savoir pourquoi ce dernier peut finalement être défini comme « l’objet » par excellence. * *

*

I. Lorsqu’on s’interroge sur la nature du poème en général, il y a un critère auquel on pense immédiatement : un poème se caractérise par l’application d’un certain nombre de règles, la première d’entre elles étant l’utilisation du vers. Il est vrai qu’il s’agit d’un critère qui rend compte de la plus grande partie du corpus : depuis les premiers poèmes dont nous disposions jusqu’aux plus récents, la plupart des poèmes sont écrits en vers. Le plus utilisé

dans la langue française est sans conteste l’alexandrin, puis viennent le décasyllabe et l’octosyllabe. Le recours à des vers plus courts ou plus longs est rare, et crée des effets particuliers. D’ailleurs, ils sont la plupart du temps utilisés en hétérométrie, comme c’est le cas dans « L’invitation au voyage » : « Mon enfant, ma sœur / Souge à la douceur / D’aller làbas vivre ensemble ! / Aimer à loisir / Aimer et mourir / Au pays qui te ressemble ! ». L’utilisation du pentamètre, en alternance avec l’heptamètre, donne à ce poème un rythme particulier, rapide, et surprend, puisque l’oreille est peu accoutumée à l’utilisation de ces vers rares. D’ailleurs, si l’alexandrin est le plus utilisé en poésie française, c’est parce qu’on estime que ses douze syllabes sont le plus à même de reproduire le rythme naturel de la parole ; mais il est également amusant de noter qu’en espagnol par exemple, « el alejandrino » est un vers de quatorze syllabes. Toutefois, s’il est incontestable que la grande majorité des poèmes est écrite en vers, il existe aussi des poèmes écrits en prose. Si l’utilisation du vers est si fréquente, c’est d’une part parce qu’elle fait partie des critères qui n’ont été remis en question que très récemment (Verlaine, dans son « Art poétique », s’il remettait en question la primauté de l’alexandrin, ne continuait pas moins à préconiser l’utilisation du vers, quoi qu’il en soit : « De la musique avant toute chose / Et pour cela préfère l’Impair / Plus vague et plus soluble dans l’air / Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. ») et d’autre part parce que le vers permet un certain nombre d’effets qui viennent servir une caractéristique majeure du poème (que nous examinerons par la suite), à savoir la musicalité : le vers donne un rythme, une cadence au poème. L’expression « poème en prose », oxymorique pour un Monsieur Jourdain, date du XVIIe siècle, où elle était plutôt employée dans le sens de « prose poétique » ; néanmoins nous ne commettrons pas l’amalgame et resterons bien dans le cadre de l’objet poème : la prose poétique, elle, la dépasse. C’est avec l’œuvre d’Aloysius Bertrand et un poème comme « Un Rêve », extrait de Gaspard de la nuit, que l’expression sert désormais à définir une structure poétique particulière, à savoir une composition assez courte, écrite en prose donc, qui constitue un ensemble autonome et est fondée sur des structures récurrentes formant une unité, avec des recherches de cadence, de sonorités et d’images. Soit dit en passant, il semble que ce soit dans la définition du poème en prose, débarrassée du critère du vers auquel on a parfois tendance à réduire le poème, que l’on trouve ce qui fait l’essence de ce dernier. Bien qu’écrit en prose, on ne songe pas à dire d’ « Un Rêve » qu’il ne s’agit pas d’un poème. D’abord, le découpage en cinq paragraphes peut laisser penser qu’il s’agit de cinq strophes : la disposition du texte se rapproche de celle d’un poème à forme régulière ; de plus les répétitions anaphoriques au début des trois premiers paragraphes (« Ce furent d’abord – ainsi j’ai vu, ainsi je raconte – » ; « Ce furent ensuite – ainsi j’ai entendu, ainsi je raconte –» ; « Ce furent enfin – ainsi s’acheva le rêve, ainsi je raconte –») créent un rythme ternaire que l’on retrouve d’ailleurs au sein de chaque paragraphe à travers l’énumération, et donnent à ce texte une cadence tout à fait semblable à celle que pourrait avoir un poème versifié. Ainsi le vers ne peut être à lui seul un critère de définition pertinent du poème : car même si la forme versifiée est sans doute la plus répandue au sein du corpus « poème », l’existence du poème en prose en montre les limites. A côté de celui du vers, l’application de règles semble bien être aussi un critère de définition que l’on met en valeur. Mais qu’entend-on par « règles » ? On pense d’abord à ce qu’on pourrait appeler les poèmes de genre – l’ode, l’épître, l’élégie, la satire, l’églogue… – parmi lesquels certains sont définis par des contraintes prosodiques (ainsi l’ode est un poème divisé en strophes semblables par le nombre et la mesure des vers) et d’autres par d’autres types de contraintes (l’églogue est un poème à thème pastoral et à tonalité lyrique, orné souvent de dialogues entre bergers idéalisés). Mais le terme vague de « règles » renvoie aussi aux poèmes à forme fixe : ces derniers, dont les règles sont fixées depuis les XIVe/XVe siècles dans des traités d’art poétique, sont caractérisés par un certain nombre de contraintes d’ordre prosodique (concernant le mètre, la strophe, la disposition des rimes, le retour périodique d’un

vers…) Parmi ces formes fixes, prenons l’exemple de la ballade : elle est composée de trois dizains de décasyllabes, suivis d’un quintil. Le dernier vers de chaque strophe est toujours le même : ainsi chaque strophe de « La ballade des pendus » de Villon se termine par ce vers : « Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre ! » En principe, l’envoi du poème est orné du nom du poète en acrostiche : ce n’est pas le cas dans « La ballade des pendus », mais dans une autre ballade de Villon, « Pour prier Notre Dame » : « Vous portâtes, digne vierge, princesse, Jésus régnant qui n’a fin ni cesse. Le tout-puissant, prenant votre faiblesse, Laissa les cieux et nous vint secourir, Offrit à mort sa très chère jeunesse ; Notre seigneur tel est, tel le confesse : En cette foi je veux vivre et mourir. » Mais ces règles ne sont pas toujours respectées : parce que considérées comme ne faisant pas partie de l’essence d’un poème ? Ou pour le plaisir de transgresser les règles, comme le fait Baudelaire lorsqu’il transgresse celles du sonnet, qui est sans doute le poème le plus codifié ? Ainsi, la modification de la structure des rimes dans « La vie antérieure » transforme ce qui est visuellement un sonnet (deux quatrains, deux tercets) en un ensemble de trois quatrains suivis d’un distique, puisque les rimes suivent ce schéma : ABBA – ABBA – CDDC – EE. Cette répartition des rimes est conforme au sens du poème : alors que les douze premiers vers sont caractérisés par le lexique de la perfection, le distique introduit une rupture avec le thème de la douleur. La transgression des règles est ici plus porteuse de sens que son respect. On sait que ce n’est pas l’application d’un schéma rythmique et prosodique qui fait d’un texte un poème. De plus, de même que le poème en prose constitue un contre-exemple qui nous empêche de définir exclusivement le poème comme une forme versifiée, de même l’existence du poème de forme libre empêche de dire du poème qu’il est un texte soumis à un ensemble de contraintes. C’est Henri Meschonnic qui a défini la notion de « poème libre », en relation avec celle de « vers libre » : mais « libre » ne signifie pas absence de forme. Le poète invente lui-même la forme qu’il veut donner à son poème, celle qui à ses yeux lui convient le mieux. Le poème libre peut être composé de vers libres (qui sont des vers de rythme et de longueur variables, qui ne sont pas obligatoirement reliés par la rime mais obéissent à des appels d’assonances et d’allitérations à l’intérieur du vers, et restent reconnaissables en tant que tel) ou bien il peut être écrit en prose. Dans la seconde section du poème d’André du Bouchet intitulé « Le moteur blanc », extrait de Dans la chaleur vacante, qui peut être considéré comme un poème libre, on voit bien que la forme, marquée par de nombreux blancs et un langage laconique, est adaptée au propos : la voix poétique doute. « Le ciel qui se hisse un peu au-dessus de la terre. Le front noir. Je ne sais pas si je suis ici ou là, dans l’air ou dans l’ornière. Ce sont des morceaux d’air que je foule comme des mottes. » Cette forme libre est bien plus adaptée au propos que ne l’aurait été, par exemple, un quatrain d’alexandrins. Ainsi, les deux critères auxquels on associe volontiers le mot de « poème », à savoir la versification et l’application de règles, ne s’avèrent pas suffisants pur en donner une définition satisfaisante : l’existence des contre-exemples que sont le poème en prose et le poème de forme libre montre que ces deux critères ne permettent pas de couvrir l’ensemble du corpus. Ils ne manquent toutefois pas de pertinence, parce qu’ils viennent servir le poème en lui

donnant un rythme et une forme. Mais on a vu que le poème pouvait avoir un rythme et une forme indépendamment de ces critères : l’essence du poème doit se situer à un autre niveau. II. Penchons-nous à présent sur ce qui fait la spécificité du poème par rapport à d’autres créations littéraires, comme le roman ou la pièce de théâtre. On voit d’emblée que le poème s’en distingue parce qu’il s’agit d’un texte qui met en œuvre la fonction poétique du langage avant tout : on considère la forme du message en tant qu’elle a une valeur expressive propre. Le poème est un texte plastique qui met en évidence ce qui fait la matérialité propre des signes et du code : le message, considéré en lui-même, peut être objet de plaisir, parce que beau. C’est d’abord et surtout l’aspect sonore des signes qui est mis en avant dans le poème, car ce dernier est un texte musical. C’est là que le vers et les contraintes poétiques viennent enrichir le poème : la succession de vers isométriques ou la répétition régulière de vers hétérométriques (comme dans « L’Invitation au voyage », où on a une succession régulière faite de deux pentamètres et d’un heptamètre) créent une régularité harmonieuse au sein du poème. De même la rime, en revenant périodiquement à notre oreille, contribue à cette harmonie caractéristique de la musique, surtout lorsqu’elle est riche, comme c’est le cas dans « Sed non satiata » de Baudelaire : dans les quatrains, les rimes reprennent les sons [avan] et [nyi]. L’harmonie est bien plus grande que si la rime ne reprenait qu’un seul phonème. Dans le vers encore, la place des mots peut être décisive, en les faisant tomber ou non sous l’accent et en mettant en valeur certaines sonorités. Car le vers impose sa diction, une lecture particulière qui participe elle aussi de cette harmonie musicale : les « e » muets ne doivent pas être oubliés à la lecture, ni les diérèses et les synérèses, il faut marquer les césures etc. Le poème est une parole musicale et rythmée, et il faut faire entendre ce rythme. Quelle impression désagréable sinon, pour une oreille avertie, que d’entendre de vers de Baudelaire écorché à cause de l’oubli de la diérèse : « Ayant l’expansi-on des choses infinies » (« Correspondances ») L’oublie est d’autant plus fâcheux ici que la diérèse fait sens, en contribuant à l’allongement du mot «expansion », qui contient en lui-même ce sème. Enfin, la musique est aussi répétition : le retour périodique de phrases ou de vers dans un poème peut faire penser au refrain d’une chanson. Ainsi en va-t-il du dernier vers de chaque strophe au sein de la ballade, mais aussi de ces vers d’Apollinaire dans « Le Pont Mirabeau » : « Vienne la nuit sonne l’heure / Les jours s’en vont je demeure ». La répétition périodique de ces vers contribue à l’harmonie musicale du poème, mais vient également renforcer sa tonalité élégiaque et sa monotonie caractéristique. On a vu toutefois que ni le vers ni les contraintes prosodiques ne pouvaient être considérés comme faisant partie de l’essence du poème : on peut donc retrouver cette musicalité caractéristique dans les poèmes de forme libre. Prenons la fin de ce poème de Senghor : « Mains blanches, Gestes délicats, Gestes apaisants. Mais l’appel du tam-tam Bondissant Par monts Et Continents, Qui l’apaisera, mon cœur, A l’appel du tam-tam Bondissant, Véhément, Lancinant ? »

Le poète réussit bien à créer des effets musicaux, à travers le rythme et les répétitions, sans recours à la rime, ni au vers. Le rythme ternaire des derniers vers (trois termes de trois syllabes) et leur disposition peuvent être considérés comme mimétiques du bruit du tam-tam. On soulignera pour finir que le poème ne met pas seulement en jeu les mots en tant que matériau sonore, mais aussi comme matériau visuel, comme le montre l’exemple des calligrammes. Ainsi, le calligramme de Pierre Capelle intitulé « Verre » représente un verre à boire, et un des éléments extrait de « Cœur couronne et miroir » d’Apollinaire représente un miroir au centre duquel se trouve le nom de « Guillaume Apollinaire ». Ainsi, le poème n’est pas seulement un texte musical, c’est un texte plastique qui met en œuvre la fonction poétique du langage, c’est-à-dire la matérialité des mots. Plus que tout autre poète, Mallarmé, dans ses jeunes années, avait le vœu que le poème ne soit pas un objet trop facilement accessible, parce que c’est un objet trop particulier : il aurait justement souhaité que, comme c’est le cas en musique, le poème soit écrit dans un langage différent. Le poème est un texte musical, mais en tant que texte, il convient aussi de s’interroger sur la question du sens d’un poème : il semble bien que les rapports entre « forme » en général et « sens » y soient très particuliers. La musicalité du poème n’est-elle là qu’en tant qu’amplification du sens ? Le sens est-il ce qui passe au second plan dans le poème ? Dans toute œuvre littéraire, la forme est inextricablement liée au contenu, la belle œuvre étant celle qui a trouvé et mis en œuvre la forme la plus adéquate à l’expression de ce contenu. Dans le poème, ces deux notions entretiennent des liens plus inextricables encore, ainsi que le résume Valéry dans Rhumbs : « le poème – cette hésitation prolongée entre le son et le sens ». Valéry définit ici le poème comme une hésitation, c’est-à-dire finalement comme une tension entre deux pôles, le pôle de la musicalité dont l’importance a déjà été montrée, et celui du sens, qui ne peut jamais être totalement absent du poème, même si ce dernier ne « signifie » pas de la même manière que les autres types de texte – on le montrera par la suite –. Il est clair que le poème n’est pas un outil de communication qui servirait à véhiculer un message : on pourrait se demander si les tragédies de Racine sont ou non des poèmes. Car ce sont des pièces de vers magnifiques et qui font preuve d’un véritable travail sur le langage et l’aspect matériel des mots : néanmoins, ce travail poétique est peut-être trop subordonné à l’histoire et au drame, pour véritablement constituer un poème. Phèdre peut être lue comme une partition musicale, mais la musique semble céder une place importante à ce qui constitue l’intrigue de la pièce. De la même manière, un texte qui accorde trop d’importance à la musicalité et à la plasticité des mots, au détriment du sens, ne semble pas mériter le nom de « poème », mais davantage celui de « jeu poétique ». Certains poèmes sont à la frontière du corpus : un sens y est maintenu, suggéré, mais cède une grande place au « jeu » poétique. Raymond Queneau a écrit un lipogramme en A, en E et en Z – pur exercice de virtuosité poétique – et on se demande dans quelle mesure on doit ou non l’inclure dans le corpus des poèmes : car ce lipogramme n’est pas totalement dépourvu de sens, des images sont évoquées et se succèdent (« un poupon » que l’on « ondoie », une scène de repas et divers animaux sont évoqués : un condor, un lion, un dingo, un loup, un opossum), mais on a tout de même le sentiment à la lecture de ce texte que le « fond » constitue davantage un prétexte pour un pur exercice de virtuosité poétique. Certes, le poème n’est pas le lieu du « sens » dans son acception traditionnelle, mais il dit tout de même quelque chose, en suggérant des images par exemple : la spécificité du poème en tant qu’objet littéraire semble bien se jouer dans cette tension ténue, cette « hésitation prolongée entre le son et le sens. » Le poème est donc un texte bien différent des autres types de textes littéraires, qui met particulièrement en œuvre la fonction poétique du langage et accorde une grande importance à la matérialité des mots, mais dans une relation particulièrement étroite avec le « sens », pris dans une acception large, à savoir le fait de signifier ou de suggérer quelque chose, la plupart

du temps une image. Mais le poème peut aussi être envisagé comme « l’objet » par excellence, qui a des caractéristiques qui lui font prendre pleinement pied dans le processus de création, au sens étroit du terme...


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