Imaginaire DEMOCRATIQUE - Introduction PDF

Title Imaginaire DEMOCRATIQUE - Introduction
Course Philosophie générale
Institution Sorbonne Université
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Cours sur l'imaginaire démocratique, INTRODUCTION ...


Description

L'IMAGINAIRE DEMOCRATIQUE INTRODUCTION : L'ORAISON FUNEBRE DE PERICLES Le discours que Périclès a composé suite à la première grande défaite d'Athènes et que Thucydide retranscrit dans sa Guerre du Péloponnèse est un éloge aux citoyens morts pour la patrie, qui accorde à Athènes une valeur suprême : la démocratie. En effet, Périclès engage dans ce discours une réflexion sur la puissance démocratique, sur la valeur de la démocratie. On peut voir dans cette oraison funèbre une mise en scène, où le chœur serait Périclès et le héros, dont les hauts faits sont narrés, serait le collectif de la cité. Ce que Périclès cherche à montrer, c'est qu'Athènes incarne la réalité d'un idéal, celui de l'autonomie, parce que c'est une société instituante, qui a inventé sa propre loi et garantit sa liberté. Cette invention ne cesse de se poursuivre, de se perfectionner, à l'heure du discours de Périclès, qui est un discours réflexif, s'adressant a des athéniens qui ont conscience d'être dans un acte d'auto-institution de la citoyenneté et de tout ce qui fait les caractéristiques de la démocratie athénienne. Ainsi, une communauté politique qui se donne a elle-même sa propre loi semble caractériser l'idéal et la réalité démocratique d'Athènes. Ce manifeste démocratique est aussi le triomphe du nomos, d'une convention que l'on s'est donnée : ce nomos ne surgit pas de nulle part, ni de mœurs reçues ou qui auraient fait l'objet d'habitudes : c'est celui que l'on s'est donné, que l'on a choisit. Le choix du demos signifie que le peuple définit lui-même la loi sur laquelle il entend construire la communauté des égaux. Cet éloge de cette communauté d'égaux qu'est la démocratie amène Périclès a voir dans la démocratie le régime dans lequel personne n'est soumis à la loi de l'autre, puisqu'à tour de rôle chacun peut participer à l'instauration de la loi commune. S'il est toujours flatteur de rappeler l'origine et la spécificité de la démocratie athénienne, Périclès insiste aussi sur la valeur, l'importance de la génération actuelle qui augmente, amplifie les valeurs originelles. Il s'agit de louer la capacité athénienne à se faire constamment cité instituante. On trouve ici ce qui fait l'objet d'une analyse précise dans un essai d'Hanna Arendt sur l'autorité : l'autorité, nous dit-elle, est ce qui augmente, fortifie, élargit toujours ce qui est contenu depuis l’institution. L'autorité d'Athènes n'est pas seulement celle des premiers instituteurs, mais aussi l'autorité poursuivie à partir de cette acte initiateur, et qui ainsi assure la continuité et l'identité de la communauté politique. Il y a donc un phénomène d'élargissement, qui permet en effet de définir l'autorité comme ce qui augmente sans cesse ce qui est déjà institué : l'autorité ouvre des traditions qui la renforcent. C'est bien un dynamisme que Périclès analyse, dynamisme qui fait d'Athènes la cité puissante (et puissamment animée par le désir du Beau et du Sage) qu'elle est. Ce qui fait la force de la cité, c'est ce désir de perpétuer sa capacité à s'inventer et à s'instituer elle-même, tout en s'inscrivant dans la recherche du meilleur, du plus beau et du plus sage. Si Périclès célèbre la valeur de ceux tombés au combat, il célèbre dans leur valeur individuelle la valeur de la cité tout entière : la valeur éthique de chaque soldat est celle de la cité toute entière. Quelle est donc la nature de cette oraison funèbre ? Est-ce un discours seulement

réflexif sur ce qu'être citoyen d'une cité ou bien la description d'un idéal ? Athènes s'imagine être la communauté politique par excellence, c'est-à-dire celle au sein de laquelle en s'accomplissant comme homme on accomplit la vertu commune. Le discours de Périclès peut ainsi être vu comme une façon de renforcer ce sentiment d'unité. Il s'agit donc d'un discours politique, animé d'une conviction profonde : c'est l'expérience politique qui a inventé la communauté démocratique. Mais en même temps, il est tout à fait possible d'y voir seulement un discours idéologique, qui emprunte un genre convenu (celui de l'oraison funèbre) et la comparaison de ce texte avec un dialogue de Platon invite à sonder cette proposition de voir dans ce discours, pour l'essentiel, un discours idéologique. En effet, dans Le Ménexène de Platon, il est question de réfléchir sur la pratique de l'oraison funèbre. Ménexène entend qu'une oraison va être prononcée, et Socrate fait alors savoir qu'il n'a aucun goût pour ce type de discours parce qu'ils « ensorcellent les âmes, les enchantent », c'est-à-dire : parce qu'il y a une exaltation de la cité, mais que cette exaltation se fait devant les citoyens ou les corps morts. Il n'y a aucune difficulté dans cet exercice. Si l'oraison devait se faire devant les citoyens de Sparte, comment pourrait-elle les convaincre de la vertu d'Athènes ? Venter la vertu des athéniens devant les athéniens est une pure rhétorique : le discours propose une version mythique de la cité, et en aucune façon il n'y a là une parole politique intéressante. A la fin du Ménexène, Socrate produit un exemple de discours funéraire et imite le style d'Aspasie (la femme de Périclès, qui aurait contribué à l'inspiration des oraisons funèbres), produisant ainsi une parodie grotesque du genre très convenu de ce type de discours que l'on adresse devant le peuple lorsque des hommes sont morts pour la patrie. S'il n'est pas politique, on pourrait alors être tentés de voir dans le discours de Périclès un discours idéologique, qui fabrique une fiction utile pour persuader la communauté politique qu'elle est la meilleure et doit continuer à se penser la meilleure. L'analyse de Ricœur dans Du texte à l'action, chapitre : l'idéologie et l'utopie : deux expressions de l'imaginaire social est à ce propos éclairante. Ricœur essaie de caractériser par 3 grandes fonctions le discours idéologique (et l'idéologie en général) : → La première, et la plus négative, l'amène à critiquer l'idéologie : elle tord le réel, le transforme. Est idéologique tout ce qui comporte un phénomène de torsion. En effet, l'idéologie dissimule à la communauté la réalité telle qu'elle est. Elle est d'abord un mensonge qui inverse la réalité, une image inversée de la réalité : c'est une totale falsification du réel, et l'expression même du mensonge politique. → L'idéologie est une tentative de justification de l'autorité ou de la domination politique : elle vise à légitimer l'autorité qui gouverne en la présentant comme absolument valable. L'autorité d'Athènes est ainsi justifiée par les valeurs mises en avant dans le discours de Périclès. Puisque toute autorité ou domination veut se justifier, elle le fait toujours en faisant appel à des notions capables d'être tenues pour universelles. Donc cette fonction du discours mobilise toute la puissance de la rhétorique.

On peut ici se référer à l'analyse que Platon fait du discours prétendument politique des rhéteurs, dans le Gorgias, par exemple l'analyse de celui de Périclès. Ce dernier, nous dit Platon, se prétend être la figure politique par excellence, et toute l'entreprise de Socrate sera de montrer que le discours politique de Périclès embellit les choses pour mieux légitimer l'institution athénienne : le discours amplifie la valeur d'Athènes en donnant de nombreux exemples de tout ce que la démocratie athénienne produit ; mais en réalité, ce discours ne tient que par la puissance des mots. En réalité, non seulement la démocratie n'a jamais rendu meilleur quelqu'un, mais de plus, ne parvenant à rendre meilleur personne, elle obéit à la logique tyrannique du « pleonexie », du toujours plus, à la logique d'accumulation. Aucune des valeurs citées par Périclès dans son discours ne sont donc opérantes dans le réel. La démocratie ne rend pas meilleur mais fournit plus de choses (« la cité démocratique est une cité malade de pus »). Ce que diagnostique Socrate, c'est le pouvoir de la rhétorique de construire n'importe quelle image à laquelle on a envie de croire. Mais le discours demeure un discours de flatterie démagogique, sans que rien n'y corresponde réellement. La cité n'est pas juste, n'a aucune puissance, n'a jamais rendu un citoyen meilleur. → Enfin, l'idéologie possède une fonction d'intégration, qui pour Ricœur est la plus importante et justifie les deux autres (qui ne sont en fait que des moyens au service de cette fonction). Toutes les cérémonies commémoratives, nous dit Ricœur, sont l'occasion pour une communauté politique de réactualiser les événements que cette communauté considère comme fondateurs de son identité : le discours idéologique met en scène l'origine de la communauté. Si l'on en croit le discours de Périclès, chaque athénien, lorsqu'il légifère, retrouve le sens originel de la démocratie, ce qui en somme créé un imaginaire politique, qui permet de renforcer la mémoire et l'identité de la communauté. On peut rapprocher ce phénomène de l'identité narrative, c'est-à-dire de celle qui assure, à l’échelle d'une communauté politique donnée, le sentiment de ne former qu'une seule et même communauté. Finalement, le discours de Périclès est un discours de la démocratie à ellemême, qui lui permet de tenir debout, d'acquérir une permanence. Une communauté politique a probablement besoin d'un imaginaire collectif qui la ressoude dans les temps difficiles (comme lors d'une défaite militaire). On retrouve dans cette oraison funèbre l'intrication des 3 fonctions de Ricœur, qui les résume par la formule : « il est bon que nous soyons comme nous sommes » La puissance d'évocation de l'identité démocratique devient à la fois justification de la démocratie (face au modèle qui lui est opposé alors, à savoir l'oligarchie spartiate) et de la guerre menée contre Sparte. Certes, il y a toujours des distorsions possibles et le discours n'est pas du début à la fin fidèle au réel, mais néanmoins c'est un discours qui a une efficacité, qui produit une image forte et fabrique le sentiment d’appartenance à la communauté et le caractère soudé de celle-ci. Il s'agit pour nous de se demander plus généralement quel imaginaire politique le discours qui fait l'éloge de la démocratie contribue-t-il à forger et à renforcer ? Quelles sont les fictions à l’œuvre dans tout discours qui pose la démocratie comme le meilleur des régimes possibles, sachant que la démocratie est le nom que nous donnons

aujourd'hui à la communauté politique idéale ( et dont on admet que les démocraties actuelles, occidentales, constituent des formes approchées) ? Il s'agit d'explorer les 3 grands registres de la fiction que la démocratie entretient peut-être sur elle-même : 1) Si la démocratie est vraiment le pouvoir du demos, du peuple, s'agit-il pour autant vraiment d'un modèle d'auto-législation, d'auto-gouvernement ? Le peuple démocratique est-il vraiment une communauté unie dont la volonté (que l'on présume être celle du peuple tout entier) conditionne a elle seule la légitimité du pouvoir ? Dans quelle mesure sommes-nous ce peuple qui fait les lois auxquelles il consent à obéir ? Le pouvoir du peuple est-il vraiment celui de n'être soumis qu'aux lois dont on est l'auteur ? Il s'agit en fait d'interroger les fictions du peuple auto-législateur. Est-ce que le peuple politique est vraiment celui qui légifère par l'intermédiaire de ses représentants ? Qui est peuple ? Convient-il de disjoindre le peuple politique et le peuple réel ? Le peuple est-il celui qui agit politiquement ou bien est-il constitué de ceux qui se tiennent à la marge de l'exercice politique, qui ne sont jamais législateurs, par les « sans part » ? 2) Il s'agit d'interroger le rôle de la représentation et de l'opinion publique. Quel est-il ? La représentation sous forme d'élections s'impose-t-elle de façon si évidente comme la + démocratique ? Comment être représentés ? Est-ce le moment du vote qui est le moment démocratique par excellence ? Il y a la possibilité d'imaginer d'autres systèmes de représentations (tirage au sort par exemple). Faut-il envisager la démocratie comme un exercice politique d'auto-législation ou plutôt comme un exercice de discussion et de décisions ? Au-delà des sphères de la représentation, la démocratie ne se joue-t-elle pas dans l'espace publique, dans l'opinion publique ? Que faire de cette opinion ? Est-elle une instance démocratique ? 3) Il s'agit d'interroger la démocratie définie comme avènement de l’État de droit. Les sujets sont porteurs des mêmes droits, assujettis à une loi commune : qu'est-ce qu'être sujet de droit, revendiquer son droit ? Quels droits sont exigibles ? Si la démocratie reconnaît que chacun « a droit à avoir des droits », que signifie ces droits de l'Homme et du Citoyen ? Faut-il les imaginer de façon conjointe ou disjointe ?...


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