Commentaire. CC., n° 2017-666 QPC, 20 octobre 2017, M. Jean-Marc L. [Compétence du vice-président du Conseil d\'État pour établir la charte de déontologie de la juridiction administrative] PDF

Title Commentaire. CC., n° 2017-666 QPC, 20 octobre 2017, M. Jean-Marc L. [Compétence du vice-président du Conseil d\'État pour établir la charte de déontologie de la juridiction administrative]
Course Droit des biens et des obligations
Institution Université de Bordeaux
Pages 4
File Size 218.9 KB
File Type PDF
Total Downloads 76
Total Views 158

Summary

Commentaire. CC., n° 2017-666 QPC, 20 octobre 2017, M. Jean-Marc L. [Compétence du vice-président du Conseil d'État pour établir la charte de déontologie de la juridiction administrative]...


Description

Commentaire. CC., n° 2017-666 QPC, 20 octobre 2017, M. Jean-Marc L. [Compétence du vice-président du Conseil d'État pour établir la charte de déontologie de la juridiction administrative]

Le dualisme fonctionnel pratiqué par certaines juridictions européennes a donné lieu à un certain nombre de décisions de la Cour européenne des droits de l’homme qui, sans vraiment en condamner le principe (CEDH, 15 juillet 2009, UFC - Que Choisir de la Côte d’Or), a souvent pointé du doigt les difficultés que cette organisation pouvait poser quant au droit à un procès équitable, et en particulier quant au principe d’impartialité. Ainsi, les Conseil d’Etat luxembourgeois (CEDH, 28 septembre 1995, Procola c/Luxembourg), hollandais (CEDH, 6 mai 2003, Kleyn) et français (CEDH, 9 novembre 2006, Sacilor-Lormines) ont été visés par cette jurisprudence de la Cour européenne dont le raisonnement casuistique ne permet pas forcément de tirer d’enseignements généraux sur l’impartialité de ces « juridictions/conseils ». La décision qui nous est donnée à commenter présente ce même problème dans une configuration originale. En effet, par le biais d’une QPC, était portée devant le Conseil constitutionnel la question du respect de l’impartialité du Conseil d’Etat dans la configuration d’un code de déontologie des magistrats administratifs, à la fois établi par le son vice-président, susceptible d’être contesté en excès de pouvoir devant le Conseil, et surtout appliqué par des membres de la juridiction administrative désignée directement ou indirectement par le même vice-président…Le Conseil n’y a cependant vu aucune difficulté quant à l’impartialité de la juridiction administrative. La jurisprudence de la CEDH quant au droit à un procès équitable a donné lieu à d’assez grands bouleversements dans l’organisation des juridictions européennes et françaises. Les raisonnements qu’elle tient, qui sont souvent fondés sur des « notions autonomes », c’est-à-dire des notions qu’elle développe « seule » pour régler les problèmes de droit qui lui sont soumis, sont en effet détachées des traditions juridiques nationales qui tendraient à faire considérer comme « normales » ou « naturelles » des situations qui ne le sont pas, mais qui sont acceptées parce qu’elles sont anciennes. A cela s’ajoute que le CEDH utilise beaucoup la « théorie des apparences » pour établir des argumentaires. Cette théorie change radicalement les perspectives parce qu’elle ne requiert pas un e atteinte effective à l’impartialité, mais permet des sanctions des Etats parties à la convention y compris lorsque les requérants ont l’impression que leur juge n’est pas impartial. Il reste cependant que l’influence de cette juridiction n’est pas absolue, et que le droit français ne se plie aux directives de la Cour que lorsqu’il y est vraiment forcé, et l’arrêt ici à commenter en est un exemple patent. En effet, la réponse du Conseil constitutionnel, si elle est relativement prévisible, n’est pas au -dessus de toute critique cependant. Pour trancher en faveur d’une absence de méconnaissance du principe d’impartialité, le Conseil de la rue Montpensier ne définit même pas ce qu’il entend par impartialité ! Il ne fait en somme que viser l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Par ailleurs, il répond à l’argumentation du requérant par un simple rappel des textes en vigueur qu’il interprète dans une conclusion dont on peut sérieusement discuter l’exactitude et qui, sans en avoir les caractéristiques formelles, s’apparente grandement à une réserve d’interprétation. Mais n’étant pas identifié comme tel, rien ne garantit sa correcte application… Pour étayer notre propos, nous verrons :

I.

La reconnaissance du problème structurel d’impartialité posé la rédaction de la charte de déontologie par le vice-président du Conseil d’Etat et des membres du collège de déontologie.

Chapeau.

A. L’absence de claire définition du régime du principe d’impartialité. « 3. Aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Les principes d'indépendance et d'impartialité sont indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles. »

 Pour trancher, sur le plan constitutionnel, la question de l’impartialité d’une juridiction, il est logique que le Conseil constitutionnel fasse référence à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est la disposition support d’une forme de transposition du droit à un procès équitable issu de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. On pourrait cependant s’attendre à ce qu’il pose une définition de l’impartialité, ou esquisse quelques éléments permettant de la caractériser. En l’espèce, il n’en est à peu près rien dès lors que le Conseil se contente d’affirmer que les principes d’indépendance impartialité sont indissociables de l’exercice de fonctions juridictionnelles. Ne sont définis ni indépendance, ni impartialité, ni fonctions juridictionnelles… le contraste avec la démarche de la Cour européenne des droits de l’h omme est ici flagrant. On peut en donner un exemple avec le récent arrêt Beausoleil, qui touchait à l’impartialité de la Cour des Comptes, et dans lequel la Cour propose une définition assez longue de ce même principe (CEDH, 6 oct., 2016, Beausoleil c/ France, n° 6397911) : « 38. La Cour rappelle que l’impartialité, au sens de l’article 6 § 1, revêt deux aspects. Il faut d’abord que le tribunal ne manifeste subjectivement aucun parti pris ni préjugé personnel. Ensuite, le tribunal doit être objectivement impartial, c’est-à-dire offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à cet égard. Dans le cadre de la démarche objective, seule en cause en l’espèce, il s’agit de se demander si, indépendamment de la conduite personnelle des juges, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ces derniers. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables, à commencer par les parties à la procédure (Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], nos 39343/98, 39651/98, 43147/98 et 46664/99, § 191, CEDH 2003-VI ; Morice c. France [GC], no 29369/10, §§ 73 et 78, 23 avril 2015). Il convient de garder à l’esprit que pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de craindre d’une juridiction un défaut d’impartialité, le point de vue du ou des intéressés entre en ligne de compte, mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de ceux-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (Sacilor-Lormines c. France, no 65411/01, § 63, CEDH 2006-XIII ; Morice, précité, § 76). »

Transition.

B. Une succession de fonctions « consultative » puis contentieuse du vice-président du Conseil d’Etat. « 4. En application de l'article L. 131-4 du code de justice administrative, le vice-président du Conseil d'État établit, après avis du collège de déontologie de la juridiction administrative, une charte de déontologie qui énonce les principes déontologiques et les bonnes pratiques propres à l'exercice des fonctions de membre de la juridiction administrative. En application de l'article L. 131-5 du même code, le collège de déontologie est notamment composé d'un membre du Conseil d'État et d'un magistrat des tribunaux et cours administratives d'appel. 5. Or, cette charte de déontologie est susceptible d'être contestée ou invoquée à l'occasion d'un contentieux porté devant une formation de jugement présidée par le vice-président du Conseil d'État ou comprenant l'un des membres du collège de déontologie membre de la juridiction administrative. »

Le Conseil constitutionnel reconnaît l’opérance des griefs invoqués par le requérant en soulignant que le fait que le Conseil d’État rédige la charte de déontologie , puis se prononce éventuellement sur sa légalité puisse poser un problème d’impartialité. Il s’agit en fait d’une énième variation de ce que le cumul de fonctions dans le temps peut causer comme difficultés. Ici, il s’agit d’une succession de fonctions au titre de rédaction d’un texte puis d’appréciation de sa validité, ce qui caractérise une situation assez originale. On est en effet plus habitué, concernant le Conseil d’Etat, à une succession dans le temps de fonctions consultatives et de fonctions juridictionnelles sur un même texte, cas de figure est assez classique et même systémique lorsqu’il est question d’un décret en Conseil d’État ou d’un décret sur avis du Conseil d’État (voir par ex. CEDH, 15 juillet 2009, UFC - Que Choisir de la Côte d’Or, n° 39699/03). Il n’en demeure pas moins que la jurisprudence met aussi en évidence d’autres difficultés avec des successions de fonctions juridictionnelles dans des contentieux proches (succession d’un référé et d’un jugement au fond ; succession de deux référés) (CE, Sect., avis, 12 mai 2004, Commune de Rogerville, n° 265184 ; CE, Sect., 26 novembre 2010, Société Paris Tennis, n° 344505 ; CE, 30 janvier 2017, M. B., n° 394206 (extraits), CE, 13 mars 2019, n° 420514). Mais force est de constater que le Conseil constitutionnel se maintient dans une jurisprudence française désormais assez bien établie consistant à ne jamais voir aucun problème dans la dualité fonctionnelle, quelles qu’en soit ses

formes, quand bien même, comme en l’espèce, la théorie des apparences pourrait sérieusement faire douter de l’impartialité du juge. Transition.

II.

L’absence de violation du principe d’impartialité du fait de la rédaction de la charte de déontologie par le vice-président du Conseil d’Etat et des membres du collège de déontologie.

Chapeau.

A. L’argument fallacieux/contestable de la possibilité d’un déport. « 6. Toutefois, d'une part, l'article L. 131-3 du code de justice administrative prévoit : « Les membres du Conseil d'État veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d'intérêts. - Constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ».

 Pour écarter le grief d’atteinte au principe d’impartialité, le Conseil constitutionnel s’appuie sur les dispositions du Code de justice administrative relatives aux conflits d’intérêts. Celles-ci définissent le conflit d’intérêts de manière assez maximaliste. Elles font en particulier référence à une influence ou une apparence d’influence, ce qui renvoie à la « théorie des apparences », centrale lorsqu’il est question d’apprécier l’impartialité d’une juridiction ou d’un magistrat. Comme le veut l’adage, il ne s’agit pas que la justice soit rendue, mais il faut qu’elle donne l’impression d’être rendue (justice must not only be done ; it must also be seen to be done). « L'article L. 131-9 du même code prévoit : « Dans le cadre des fonctions juridictionnelles du Conseil d'État, sans préjudice des autres dispositions prévues au présent code en matière d'abstention, le membre du Conseil d'État qui estime se trouver dans une situation de conflit d'intérêts s'abstient de participer au jugement de l'affaire concernée... Le président de la formation de jugement peut également, à son initiative, inviter à ne pas siéger un membre du Conseil d'État dont il estime, pour des raisons qu'il lui communique, qu'il se trouve dans une situation de conflit d'intérêts. Si le membre du Conseil d'État concerné n'acquiesce pas à cette invitation, la formation de jugement se prononce, sans sa participation ». »

Plus précisément, le Conseil constitutionnel renvoie à la possibilité pour les magistrats administratifs de se déporter lorsqu’ils estiment que leur impartialité et leur indépendance pourraient être remises en question. Le renvoi à cette possibilité, s’il est naturel et compréhensible, ne peut tenir lieu à lui seul d’argument solide dans la perspective de prévenir des conflits d’intérêts ou tout simplement des « préjugements ». En effet, le déport est une pratique volontaire de la part du magistrat, qui consiste pour lui à s’autoexclure de la formation de jugement (le report n’est pas l’abstention). Le déport repose donc non seulement sur le fait que le juge concerné acquiesce au risque de partialité de sa part., mais surtout, en raison de nature volontaire, le déport augure d’une appréciation très variable selon les magistrats. Ainsi, si le déport est nécessaire, il n’est pas une solution à lui seul. Pour cette raison, le Conseil constitutionnel évoque aussi des dispositions qui permettent au président de la formation de jugement, lorsqu’il a incité à un membre à se déporter et que celui -ci n’a pas obtempéré, à inviter la formation de jugement à trancher sur la question de son impartialité hors de la présence du membre concerné. Là encore, la disposition permet de solutionner un certain nombre de difficultés, mais repose sur une autodiscipline des juges ou plus exactement sur une discipline entre pairs, qui ne saurait emporter la totale conviction. « Les articles L. 231-4 et L. 231-4-3 du même code prévoient des dispositions identiques pour les magistrats des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel. Il résulte de ces dispositions que le vice-président du Conseil d'État et les membres du collège de déontologie membres de la juridiction administrative ne participent pas au jugement d'une affaire mettant en cause la charte de déontologie ou portant sur sa mise en œuvre. »

Ainsi, après avoir évoqué ces éléments, le Conseil constitutionnel en conclut que le vice-président du Conseil d’État et les membres du collège de déontologie ne participent pas au jugement d’une affaire mettant en cause la charte de déontologie. Cette conclusion est pour le moins hâtive. En effet, si on peut déduire que les dispositions précitées, si elles sont correctement appliquées, aboutiraient effectivement à ce que les membres dont l’impartialité

pourrait être douteuse ne participent pas au jugement sur la charte de déontologie, rien ne permet de l’affirmer avec certitude comme le fait le Conseil constitutionnel, qui utilise bien un indicatif pour souligner ce qui est et pas ce qui devrait être. En réalité, cette formule peut être interprétée comme une forme de réserve d’interprétation qui ne dirait pas son nom. Une véritable réserve, qui serait en l’occurrence neutralisante, utiliserait plutôt le verbe « ne saurait » et préciserait que « le vice-président du Conseil d'État et les membres du collège de déontologie membres de la juridiction administrative ne sauraient participer pas au jugement d'une affaire mettant en cause la charte de déontologie ou portant sur sa mise en œuvre ». Ici, il n’en est rien et le paragraphe 6, qui porte cette affirmation n’est pas non plus mentionné au dispositif en tant que réserve d’interprétation. L’usage de l’indicatif ressemble ici à un ordre donné au Conseil d’État dans une forme diplomatique qui préserve les apparences et évite de trop contraindre une juridiction voisine. Transition.

B. L’argument lacunaire des garanties statutaires des magistrats administratifs. « 7. D'autre part, quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d'État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du code de justice administrative assurent leur indépendance à son égard. »

Pour renforcer son argumentation, le Conseil constitutionnel évoque les garanties statutaires des membres du Conseil d’État et des juges administratifs dans les TA et CAA. Puisqu’il est ici question de charte de déontologie, on peut supposer qu’il fait référence aux dispositions statutaires relatives à la discipline des magistrats administratifs. Celle-ci est confiée à la Commission supérieure du Conseil d’Etat pour le Conseil d’Etat (art. 1321 à L132-2) et au Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d’appel pour les autres juridictions administratives (CSTACAA) (art. L232-1 à L232-7). Il aurait cependant été utile que le Conseil constitutionnel précise à quoi il faisait allusion, ne serait-ce que pour sa motivation soit compréhensible. D’autant que l’argument est en réalité assez peu à même de susciter l’adhésion. En effet, qu’il s’agisse de la Commission supérieure du Conseil d’Etat ou du CSTACAA, une lecture superficielle du CJA permet de constater que les deux institutions sont encore présidées par le vice-président du Conseil d’Etat… On voit donc mal en quoi il y aurait là une quelconque garantie d’impartialité....


Similar Free PDFs