Le Pétrarquisme : une ère poétique de l’histoire culturelle européenne : Pétrarque, Ronsard, Shakespeare PDF

Title Le Pétrarquisme : une ère poétique de l’histoire culturelle européenne : Pétrarque, Ronsard, Shakespeare
Course Littérature comparée
Institution Université Toulouse-Jean-Jaurès
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Summary

Écrit au XIVème siècle, le Canzoniere de Pétrarque a façonné les contours de ce qui devait être une langue et un imaginaire commun pour une très large part de la lyrique européenne de la Renaissance. Nous verrons dans ce cours comment s’est développé ce qu’on a donc appelé le pétrarquisme à travers ...


Description

LM0014X – Le Pétrarquisme - M. IMBERT

LM0014 – Littérature Comparée. Cours de C. Imbert. N.B : Le cours du SED, centré sur Pétrarque, Ronsard et Shakespeare, comportera aussi une méthodologie de la dissertation en Littérature Comparée, et un sujet de dissertation avec un corrigé disponibles ultérieurement sur l’E.N.T. L’examen consistera en une dissertation à l’écrit et un commentaire à l’oral (préparation : 1h / Exposé : 20 min.) comptant chacun pour moitié de la note finale. Outre les œuvres au programme, que vos devez vous procurer, le cours intègrera un grand nombre de documents voués à vous donner une vue d’ensemble de l’œuvre de Pétrarque et de l’histoire du pétrarquisme entre XIVème et fin du XVIème siècle. Le Pétrarquisme : une ère poétique de l’histoire culturelle européenne : Pétrarque, Ronsard, Shakespeare Écrit au XIVème siècle, le Canzoniere de Pétrarque a façonné les contours de ce qui devait être une langue et un imaginaire commun pour une très large part de la lyrique européenne de la Renaissance. Nous verrons dans ce cours comment s’est développé ce qu’on a donc appelé le pétrarquisme à travers trois textes phares qui en constituent des étapes décisives. Chemin faisant, dans le cours ou par le biais d’exposés (pour les étudiants du contrôle continu) nous pourrons aussi explorer d’autres auteurs comme Laurent le Magnifique, Bembo, Garcilaso de la Vega, Camoens, Spenser, Sidney, Baïf ou Du Bellay… Œuvres au programme : - Pétrarque, Le Chansonnier, NRF Poésie Gallimard, Paris, 1983 [à défaut de l’édition Garnier par P. Blanc, bilingue, mais actuellement indisponible] - Ronsard, Les Amours, Poésies Gallimard, Paris, 1974 - Shakespeare, Les Sonnets, Babel, Actes Sud, Arles, 2007 Introduction : - Trois textes au programme : qu’y chercherons-nous ? Qu’en lirons-nous ? Pas tout. Pour Pétrarque, je commenterai un certain nombre de passages en italien en plus du livre, qui hélas n’est pas bilingue. Mais il était hors de question de toute façon de lire en cours les 266 pièces poétiques du Canzoniere. Pour Ronsard, nous nous concentrerons surtout sur les Amours de Cassandre, le volume le plus pétrarquiste de toute l’œuvre. Et nous ferons des sondages pour compléter notre point de vue, dans les Amours de Marie et les Sonnets pour Hélène. Le recueil des sonnets de Shakespeare est moins volumineux. - La perspective n’est pas celle d’une étude exhaustive, fouillant un recueil dans tous ses recoins. Ce n’est pas la juxtaposition d’un cours de littérature italienne sur Pétrarque, de littérature française sur Ronsard, de littérature anglaise sur Shakespeare, même si nous verrons grosso modo les textes dans cet ordre. L’enjeu est de repérer un phénomène, un modèle d’écriture et une conception de l’amour, avec ses lieux communs, ses scénarios, à l’échelle européenne, d’explorer une des structures permettant de lire la littérature européenne comme un tout. Ce qui n’empêche pas qu’une bonne part de notre attention se portera sur la réception de Pétrarque dans des pays différents, à des époques différentes, en tenant compte de ces spécificités - ce qu’on appelle l’horizon d’attente (Jauss) où s’inscrivent les textes. C’est cela la littérature générale et comparée.

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- L’idée directrice, donc : comprendre un des codes d’expression poétique les plus importants de toute l’histoire littéraire européenne. Mettre l’accent sur un moment décisif (XIVème-XVIème) : la dynamique de la Renaissance, l’avènement de la première modernité lyrique. En parcourant des textes fondateurs (trois des plus grands auteurs européens), choisis exprès en amont de la modernité récente : pour vous faire une culture, parce qu’il faut lire les classiques avant toute chose, non parce qu’ils sont des classiques, mais parce qu’ils sont les meilleurs. - Il s’agit de poésie d’amour. Mais ces textes se tiennent loin de toute mièvrerie. Ils sont souvent liés à une approche très originale, à des renversements de point de vue décisifs. L’important c’est qu’ils créent une culture de l’amour, et qu’ils instaurent les grandes lignes des modèles (créer un poncif, le rêve de Baudelaire) et des débats au sein de cette tradition culturelle. En fait, d’un point de vue plus théorique, il s’agit sans doute aussi, justement, d’une exploration du lyrisme et d’une enquête sur l’autorité du poète : le poète lyrique comme autorité culturelle.

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BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

NB : cette bibliographie est indicative. Elle donne les références des ouvrages qui peuvent vous aider à aborder le programme, ouvrages dont je me servirai éventuellement dans le cours sans redonner à chaque fois la référence complète. L’aventure du Pétrarquisme en Europe -Jean-Luc Nardone, Pétrarque et le Pétrarquisme, « Que-sais-je ? », PUF Paris, 1998 - Pierre Blanc (dir). Dynamique d’une expansion culturelle : Pétrarque en Europe, XIVèmeXXème siècle, Paris, Champion, 2001 - Carlo Ossola (dir), Pétrarque et l’Europe, Jérôme Million, Grenoble, 2006 La Renaissance : une idée, une réalité européenne : - Erwin Panofsky, La Renaissance et ses avant-courriers dans l’art d’Occident, (1960) , Champs Flammarion, Paris, 1993. - H.R. Jauss, « La modernité dans la tradition littéraire » dans Pour une esthétique de la réception, (1974) tel Gallimard, Paris, 1978. - Peter Burke, La Renaissance européenne, Seuil, Paris, 2000. Pétrarque et la littérature italienne - J. Boncourt, R.H. Durand, Les Auteurs italiens, Bordas, 1961 - Antonello Perli, Jean-Luc Nardone, Anthologie de la Littérature italienne, vol.1 (Des Origines au XVème) PUM, Toulouse, 1998 - Françoise CABANEL-GASCA, Jacqueline MALHERBE, Jean-Luc NARDONE, Margherita ORSINO & Antonello PERLI, Anthologie de la Littérature italienne, t.2 (XVIème, XVIIème, XVIII§me), PUM, Toulouse, 1998. - Pétrarque, Canzoniere / Le Chansonnier, Edition Bilingue de P. Blanc, Classiques Garnier, Paris, 2004 - Pétrarque, Lettres Familières / Rerum Familiarium, Les Belles Lettres, Paris, 2002 - Pétrarque, Lettres de Vaucluse, trad.. V. Develay, éditions Marcel Petit, CPM, Raphèle-lèsArles, 1989 [Il s’agit d’une anthologie modernes de Lettres Familières, en prose, et d’Epitres Métriques, en vers, écrite par Pétrarque de son séjour provençal]. - Pétrarque, Mon secret, trad.. F. Dupuigrenet Desrousilles, Rivages Poche, Paris, 1991 - Pétrarque, De Vita Solitaria / De la Vie Solitaire, Jérôme Million, Grenoble, 1999 - Pétrarque, De suis ipsius et multorum ignorantia / De mon ignorance et de celle de tant d’autres, Jérôme Million, 2000 - Pétrarque, Bucolicum Carmen,éd. M. François, P. Bachmann, Champion, Paris, 2001 - Pétrarque, Africa / L’Afrique, trad.. R. Lenoir, Jérôme Million, Grenoble, 2002 - Pétrarque, Triumphi, éd. M. Ariani, Mursia, Milan, 1988 -Charles-Albert Cingria, Pétrarque (1952), Poche Suisse, L’Age d’homme, Lausanne, 2003 - Ugo Dotti, Pétrarque, (1987), Fayard, 1991 - Nicholas Mann, Pétrarque : le voyage de l’esprit, Jérôme Million, Grenoble, 2004 - Pierre de Nolhac, Pétrarque et l’Humanisme, Champion, Paris, (1892), 1907 3

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Ronsard et la poésie française - Jean Balsamo (dir.) Les Poètes français de la Renaissance et Pétrarque, Droz, Genève - Marc-Antoine Muret, Commentaires du Premier Livre des Amours de Ronsard (1553) , éd. J. Chomarat, M.-M. Fragonard, G Mathieu-Castellani, Droz, Genève. - Pierre de Nolhac, Ronsard et l’Humanisme, Champion, Paris, 1921 - Véronique Denizot, Véronique Denizot commente les Amours de Ronsard - Gilbert Gadoffre, Ronsard, Ecrivains de toujours / seuil Marie-Claire Thomine, Pierre de Ronsard, Les Amours, PUF, 2001 - Michel Simonin, Ronsard, Les Amours de Cassandre, Klincksieck, Paris, 1997 - Francis Goyet (dir.), Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance : Sébillet, Aneau, Peletier, Fouquelin, Ronsard, Le Livre de Poche, 1990 Shakespeare et la poésie anglaise - William Shakespeare, Œuvres Complètes, Tragicomédies / Poésies II, éd. bilingue, Bouquins, Robert Laffont, , 2002 (dont Les Sonnets, avec introduction de Robert Ellrodt) - William Shakespeare, Roméo et Juliette, Mesure pour Mesure - Philip Sidney, Eloge de la Poésie, trad.. P Hersant, Les Belles Lettres, Paris, 1994 - Philip Sidney, Astrophel and Stella (1580) / Astrophil et Stella, trad. G. Garpon, Orphée La Différence, Paris, 1994. - François Laroque, Alain Morvan, Frédéric Regard, Histoire de la Littérature anglaise, PUF, 1997 - Jonathan Bate, Shakespeare and Ovid, Clarendon Press, 1994. -Jean Fuzier, Les Sonnets de Shakespeare, Armand Colin, Paris, 1970 - François Laroque, Shakespeare comme il vous plaira, Découvertes Gallimard, 1991 - James Schiffer (dir), Shakespeare’s Sonnets, Critical Essays, Garland Publishing, New York et Londres, 2000 Le lyrisme, l’Amour - Denis de Rougemont, L’Amour et l’Occident (1939), 10/18, 2001 - Roland Barthes, Fragments d’un discours amoureux, Seuil, 1977 - Paul Veynes, L’Elégie érotique romaine : l’amour, la poésie et l’occident (1983), PointHistoire, 2003 - Michel Maulpoix, Du Lyrisme, José Corti, 2000

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PREMIER COURS : LE MONDE DE PETRARQUE : UN PARCOURS Introduction : Avant d’aborder en Pétrarque l’auteur du Canzoniere, le modèle du lyrisme amoureux moderne, je veux situer le poète dans son temps. J’y insisterai davantage qu’avec Ronsard ou Shakespeare peut-être, parce que Pétrarque est loin, et, étonnamment proche. Je veux dire que vous devez vous figurer en quelle mesure il est plus proche et plus loin que vous ne pouvez penser. Loin parce qu’il vit entre 1304 et 1374. Près parce qu’il est, comme dit Burckhardt (dans La Civilisation de la Renaissance en Italie, en 1860) « le premier homme moderne ». La Renaissance commence au XIVème siècle en Italie et dans ses annexes, comme Avignon. Pétrarque est le principal pionnier de la Renaissance, et c’est avant les grandes batailles de la guerre de cent ans, juste au temps de la Grande Peste d’Occident (1348). Je vais donner la chronologie de sa biographie abrégée et nous commenterons les principales facettes du personnage : le voyageur, regardeur d’un monde ; l’humaniste père de l’humanisme renaissant ; l’homme du conflit, au carrefour des choix à faire : penseur chrétien et amant courtois, sinon idolâtre ; penseur chrétien et adorateur humaniste de la gloire antique et mondaine des lettres. Ensuite, nous en viendrons à l’amant de Laure, et surtout, au rôle de Pétrarque dans une histoire de la culture amoureuse européenne : car le pétrarquisme est une école poétique mais aussi, en même temps, une conception de l’amour, qu’il conviendra de situer par rapport à la tradition de l’élégie latine, à celle des troubadours et de leurs successeurs italiens, et par rapport encore au platonisme. Tous ces éléments - la continuation de la tradition courtoise dans la tradition italienne puis dans Pétrarque, le rôle des modèles de l’élégie amoureuse antique, et le rôle du platonisme - nous allons les retrouver dans Ronsard, comme dans Shakespeare. I- Viator (Le Voyageur) Pétrarque écrit dans les Lettres Familières, I, 1 : « J’ai passé jusqu’à ce jour presque toute ma vie en voyages » Il offre à nos regards une étonnante collection de vues, de scènes de sa vie vagabonde : - Le couronnement au Capitole, à Rome, en 1341 (cf Doc 1) : Pétrarque, Les Voyages de l’esprit, p.27 (citant la Familière IV, Pétrarque, p 26 sqq, citant, dit-il, le préliminaire de Catenusi Pétrarque qui décrit la cérémonie. Ce couronnement est une manière de faire revivre l’Antiquité et solennellement l’autorité du poète et de la poésie.

à partir de Nicholas Mann, 8) et de Ch-Albert Cingria, aux Œuvres amoureuses de en même temps d’affirmer

- La tempête dans le port de Naples, en novembre 1343 : Fam. V, 5 (Cingria s’y arrête, p.29) : l’enjeu de cette description est sans doute de donner sous la plume d’un moderne une « poetica tempestas » (selon les mots de Juvénal, Satires, XII, cités par Pétrarque). Le réalisme de la « chose vue » et la quête d’un nouveau sublime placent en effet Pétrarque en compétition avec les textes de l’antiquité (Homère et Virgile). Cf Doc.2 - En 1351, il se montre dans la paix de sa retraite de Vaucluse, écrivant son goût de la solitude, si souvent affirmé dans le Canzoniere : extrait de la Familière XIII, 8 (cf Doc 3). C’est donc un mode de vie, un art de vivre, qu’il a d’ailleurs aussi célébré dans les Epitres 5

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Métriques, et dans son traité philosophique et religieux De Vita solitaria (De la vie solitaire) qui anime la posture poétique du Canzoniere, par exemple dans le sonnet 35, « Solo e pensoso ». Un dessin autographe de Pétrarque (cf Doc 3) dans les marges de son volume des Histoires Naturelles de Pline montre encore sa solitude de Vaucluse, avec la Sorgue sortant du gouffre et un échassier péchant des poissons, avec la mention « Transalpina solitudo mea iocundissima » (Ma bien aimable solitude transalpine) : notons que Pétrarque se montre là l’exact contemporain des tendances naturalistes qui se manifestent aussi dans l’art des ateliers de peintres décorant le Palais des Papes d’Avignon : ainsi chez Matteo Giovanetti et ses compagnons dans les fresques de la salle de la Garde-Robe (cf Doc 3)… - L’Italie vue du Mont Genèvre, au passage des Alpes, en mai 1353. L’Ep. Metr.III, 24, dit sur le mode lyrique ce que révèle la narration de la Fam VI, 1. : une exaltation du Bel Paese, de la terre italienne qui traverse de loin en loin le Canzoniere, et se manifeste entre autres dans la Canzone all’Italia (CXXVIII), mère de la « lirica civile » (la poésie politique, patriotique) italienne moderne. Traduction de l’EP.Metr III, 24 : « Salve, cara Deo tellus » (cf Doc. 2) Salut, terre chère à Dieu, très sainte, salut Terre sûre pour les bons, terre redoutable aux orgueilleux Terre plus généreuse que beaucoup en nobles rivages, Plus fertile que toutes, terre plus belle en tout, Ceinte d’une double mer, resplendissant d’une fameuse montagne Vénérable aussi bien pour ses armes que pour ses lois sacrées Demeure des Pierides, riche en or comme en hommes, Dont l’art et de la nature l’ont favorisé à l’extrême De sorte à faire d’elle la maîtresse du monde. NB : L’imitation du Virgile des Géorgiques, quand il saluait la fertile Italie, se livre ici, du reste, assez typiquement, dans une forme proche des litanies de la Vierge… - En radeau sur le Pô, au printemps 1367 (cf Doc 3) : dans De mon ignorance et de celle de tant d’autres, V, 1 :p. 187. L’auteur se met en scène dans les circonstances contingentes de sa vie, toujours en voyage, méditant, écrivant, même sur un bateau. Cet extrait est d’ailleurs prolongé dans le livre par une longue méditation sur le temps, autour de la pensée d’Héraclite : « Tout coule »… De fait, là encore, la mise en jeu de la réalité familière, ou de l’effet de réel, ne supprime pas, mais renforce, la dimension allégorique (c’est le voyage de la vie humaine) coutumière au texte médiéval. C’est du reste l’époque de la vie de Pétrarque où il trouve un soutien à la cour de Padoue, où Altichiero réalisera son portrait. - On pourrait aussi se rapporter au texte où Pétrarque se montre, plantant du laurier à Milan dans un jardin avec Boccace : l’épisode, commenté entre autres par P. De Nolhac, nous dit ce besoin de Laurier qui traverse toute l’œuvre et la vie de Pétrarque : c’est l’arbre d’Apollon, le dieu de la Poésie. Pétrarque est couronné de laurier au Capitole (en 1341) quoiqu’il puisse difficilement ignorer que les poète antiques portaient plutôt des couronnes de lierre, le laurier étant réservé aux empereurs : ce laurier accompagne un triomphe, une gloire retrouvée de la poésie et des lettres. Mais aussi c’est le senhal, comme diraient les troubadours, le code, l’emblème de Laure : Laurum, Lauro, Laura. Et du reste, s’il s’agit bien de l’arbre d’Apollon, c’est parce qu’il a poursuivi de son amour divin une femme qui se transforma en laurier : Daphné (récit des Métamorphoses d’Ovide). Nous reviendrons donc souvent sur ce laurier. 8

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- Je fais un retour dans le temps pour revenir le voir installant un jardin à Vaucluse, en 1341, avant le couronnement du Capitole et quelques années italiennes, puis à son retour en 1347 : Familières et Métriques : Epitres III, 1, « A Giovanni Colonna », Lettres de Vaucluse, p.5759. Cf Doc 4. Dans ce texte : les muses latines, épuisées par un long voyage dans l’espace (elles ont les Alpes) et le temps (de l’Antiquité au seuil d’une renaissance), rivalisent avec les nymphes de la Sorgue, figures potentielles de la poésie vernaculaire, pour la possession du sol. L’implantation d’un jardin pour les muses latines auprès de sa maison de Vaucluse, l’invitation des amis humanistes à venir partager le repos de ce jardin, signifient l’espoir de la Renaissance et sa stratégie (la création d’un cénacle humaniste, le réseau social tissé par les épitres latines) : on assiste à l’invention d’une culture. Dans ces épitres, notons du reste la combinaison étroite d’un nouveau naturalisme du décor (en rapport avec la peinture de la Nature et du paysage développée alors au Palais des Papes d’Avignon) et de sa mise en scène allégorique, permettant au poème de porter un discours second sur la poésie elle-même… NB : Quelques précisions et gloses sur ce Naturalisme stylisé : Pétrarque dessine en marge de son manuscrit une vue synthétique de son « aimable solitude transalpine » ; il décrit ailleurs les poissons ou les troupeaux (XVII, 5, 7) d’une manière qui rappelle en effet les fresques de la Chambre du Cerf et l’art avignonnais (cf dans les deux cas, doc 3) : Mann le souligne, p.108, 109. Or, ce thème de la Nature encadre le développement du lyrisme amoureux du Canzoniere. L’amant s’y montre comme solitaire, confident des bois et des monts : Sylvanus, comme il s’appelle encore dans le dialogue de bergers (en latin) du Bucolicum Carmen. De toutes ces scènes si vivantes, qui font l’attrait du Pétrarque latin, il faut retenir surtout le plus frappant : non la chose vue en elle-même (une sorte de document) mais la présence d’une conscience en mouvement dans ces regards sur le monde. On sent un auteur, un homme : Pétrarque, en s’inspirant du modèle des Confessions de Saint Augustin, mais plus intime, moins exemplaire, avant Erasme, Montaigne, offre ce modèle de l’homme de lettre qui se présente à son lecteur. Modernité (cf Burckhardt : « le premier homme moderne ») et en même temps dimension figurale : le voyage de la vie. I- Humaniste - La littérature et la République des Lettres (Doc.5) : le texte est une longue citation de Pierre de Nolhac, incluant elle-même les mots de Carducci, grand poète italien du XIXème s., universitaire spécialiste de Pétrarque. Notons en particulier : « Une forme raffinée de l’activité humaine, la littérature, a repris possession du monde avec Pétrarque » « La plupart des genres cultivés par l’immense littérature de l’Humanisme viennent plus ou moins directement de Pétrarque » (P. de Nolhac, Pétrarque et l’Humanisme) - Marc Fumaroli (in Ossola, op.cit., p.54-55, cf Doc 5) souligne quant à lui le déplacement ou rééquilibrage des fonctions dans la logique des études introduit par Pétrarque : la rhétorique 10

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dans l’Université médiévale n’est qu’un premier niveau de formation avant la dialectique, la métaphysique, la théologie, disciplines maîtresses ; le rôle neuf que lui assigne le poète marque le début d’une culture proprement littéraire, d’une idée – somme toute - de la littérature. Cette République des Lettres dont le développement est celui de l’espace social, culturel, de l’humanisme européen, commence donc à Pétrarque, en direction de l’Italie du XVème et de la France du XVIème… - L’idée de Renaissance : Dans les lettres écrites de Rome, (Rerum Familiarium, VI,2), Pétrarque s’exclame : « Quis enim dubitare potest quin illico surrectura sit, si ceperit se Roma cognoscere ? » (Qui peut douter que Rome ne ressuscite immédiatement si elle se connaissait elle-même ?)

La connaissance de l’Antiquité est donc la clef directe d’une résurrection morale de Rome : justification profonde de l’effort philol...


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