Nu intérieur est le dernier roman de Belinda Cannone PDF

Title Nu intérieur est le dernier roman de Belinda Cannone
Author Arianna Chiaracane
Course Littérature. Littérature, études de textes
Institution Université Paris Nanterre
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Summary

dossier per l'esame "la fabrique des oeuvres" sulle presenze della letteratura del passato nella letteratura contemporanea. Studio sul romanzo "Nu intérieur" di Belinda Cannone...


Description

Nu intérieur est le dernier roman de Belinda Cannone, publié en 2015 par les Editions de l’Olivier. A l'occasion de l'Escale du Livre 2015 à Bordeaux, l’auteure présente son ouvrage :

le roman essaie de montrer cette tension difficile à surmonter entre le désir vif, le désir érotique, le désir brillant et puis la volonté de faire couple, de demeurer dans des liens longs. Les deux choses coexistent en nous. […] Le couple à long terme est de plus en plus mis en difficulté par la nouvelle promotion du désir, à laquelle on assiste dans notre société depuis un siècle, depuis la psychanalyse, depuis l’émancipation des femmes. J’ai essayé de réécrire, de remettre en scène cette problématique, celle de l’amour et celle du désir conjugal en tenant compte des nouvelles conditions du désir.

La question du désir traverse toute la production littéraire de Belinda Cannone. Au début, c’est le désir existentiel, le désir de vivre. Par exemple, dans l’essai L’écriture du désir publié par Folio essais en 2012, l’auteur explore la façon dont « l’activité d’écrire s’enracine dans le désir, dont elle est une des manifestations essentielles »1, et par la suite dans le petit essai S’émerveiller paru en 2017 elle enquête sur l’émerveillement en tant que disposition intime, conséquente au désir de vivre et à la faculté de joie. Ensuite, elle s’intéressera au désir charnel. Lors d’un entretien avec David Medioni pour la revue Ernest ! Lire est une fête autour de son nouveau livre Le nouveau nom de l’amour paru en 2020, l’auteure déclare :

j’ai été frappé de voir qu’on parlait toujours de la manifestation du désir à peu près de la même manière à travers le temps. […] Comment est-il possible que le désir n’ait pas changé ? Voilà quelle était mon interrogation depuis quelque temps. Des choses se sont transformées pourtant. Mais est-ce l’amour ? Le désir ? Les couples ? La conclusion – provisoire – à laquelle je parviens dans ce livre est que c’est la place du désir dans l’amour qui a profondément évolué.

Il est intéressant de noter comment l’interrogation sur le désir de la part de l’auteur ne se limite pas à une enquête qui découle de l’exploration du sujet par plusieurs genres littéraire (le roman Nu intérieur lui-même, d’ailleurs, ferait diptyque avec l’essai sous forme d’aphorismes Petit éloge du désir paru en 2013, pour lequel Nu intérieur peut constituer une sorte de suite romancière), mais il faut noter également que cette interrogation se nourrit de manière très consciente du rapport que son sujet entretient avec la littérature du passé. C’est pourquoi, à l’occasion de l’Escale du livre à Bordeaux, Belinda Cannone parle de « réécriture » et de « remise en scène » pour ce qui est de Nu intérieur. Ellemême d’ailleurs dans son essai Narrations de la vie intérieure compare le romancier à « une chambre de résonance de toutes les voix qui nous constituent, tous, toujours »2, en reprenant ainsi la notion de polyphonie introduite par Bakhtine au début du XXème siècle. Par cette notion, Bakhtine se réfère à « la pluralité des voix et des consciences indépendantes et distinctes »3 constituées par les personnages d’un récit par rapport auxquels l’auteur se situe « dans une position de dialogue sérieusement réalisée

1 Belinda Cannone, L’écriture du désir, Paris, Gallimard, « Folio essais », 2012, p.18. 2 Belinda Cannone, Narrations de la vie intérieure, Paris, Puf, 2002, p. 106. 3 M. Bakhtine, La poétique de Dostoïevski, Paris, Editions du Seuil, 1970, p. 32.

et menée jusqu’au bout »4. C’est en particulier à partir des romans de Dostoïevski qu’il repère dans l’histoire littéraire cette « nouvelle stratégie pratiquée par l’auteur pour donner un maximum de liberté et de volonté à ses personnages tout en refusant de cerner leur univers dans la perspective dominante d’un narrateur omniscient »5. Dans l’essai Narrations de la vie intérieur, Belinda Cannone aborde des questions de poétique du roman qui concernent surtout le roman du XX siècle. En particulier, elle se concentrera sur le « type » du roman en monologue intérieur. Dans la conclusion, elle s’attarde sur sa conception de la création littéraire, ce qu’elle définit « le travail du romancier ». Selon elle, il s’agit d’un travail qui « ne demande pas tant de l’imagination que de la réceptivité »6. Cela renvoie à une notion plus large de la littérature tentant compte de sa dimension mémorielle. D’après Tiphaine Samouyault dans son essai L’intertextaulité. Mémoire de littérature :

La littérature s’écrit avec le souvenir de ce qu’elle est, de ce qu’elle fut. Elle l’exprime en mettant sa mémoire en branle et en l’inscrivant dans les textes par le biais d’un certain nombre de procédées de reprise, de rappels et de récriture dont le travail fait apparaitre l’intertexte. Elle montre ainsi la capacité à se constituer en somme ou en bibliothèque et à suggérer l’imaginaire qu’elle a d’ellemême.7

Cette définition est donc en relation très stricte avec la notion d’« intertextualité ». La référence à la dimension mémorielle et à la réceptivité contrapose la notion à celle de polyphonie introduite par Bakhtine, car dans ce dernier cas il s’agit plutôt d’ « entendre plusieurs voix sans qu’aucun intertexte ne soit explicitement repérable »8, pour citer encore une fois Samouvault. Le therme « intertextualité » a été, en revanche, introduit par Julia Kristeva en 19669. Elle définit par ce therme le « croisement dans un texte d’énoncés pris à d’autres textes »10 ou la « transposition […] d’énonces antérieurs ou synchroniques »11. Le concept a été donc « produit dans le contexte du structuralisme et des études sur la production textuelle, mais après il a « migré » […] du côté de la poétique »12. Il s’agit d’une bipartition de son sens dans deux directions distinctes : d’un côté, son usage en tant qu’outil stylistique ; de l’autre côté son interprétation en tant que notion poétique à usage herméneutique. Il faut distinguer à ce propos deux pratiques différentes d’analyse entrant en jeu dans la relation entre textes littéraire : « une intertextualité de surface (étude typologique et formelle des gestes de reprise),

4 M. Bakhtine, Problèmes de la poétique de Dostoïevski, Lausanne, L’Age d’homme, 1970, p. 280. 5 T. L. Collington, La corrélation essentielle des rapports spatio-temporels. La validité heuristique du chronotope de Bakhtine, Toronto, University of Toronto, Ph.D., 2000, p. 76. < http://hdl.handle.net/1807/16070> 6 Ibid. 7 Tiphaine Samouyault, L’intertextualité. Mémoire de la littérature, Paris, Armand Colin, 2001, p. 33. 8 Ibid., p. 30. 9 Première occurrence du terme : « Le mot, le dialogue, le roman » (1966), la deuxième (qui figure dans mon texte) « Le texte clos » (1967). Enfin dans son ouvrage Séméiotikè, Recherches pour une sémanalyse (1969). 10 Kristeva, Seméiotikè, Recherches pour une sémanalyse, Seuil, 1969, p. 115 11 Ibid., p. 133. 12 Tiphaine Samouyault, op. cit., p. 5.

et une intertextualité en profondeur (étude des relations nombreuses nées des contacts des textes entre eux) »13. J’ai cité encore une fois Samouyault. L’analyse des relations intertextuelles entre les textes peut alors suivre deux types de démarches : « qu’on choisisse de partir du texte ou qu’on préfère se situer du point de vue de la lecture »14. Dans le premier cas, il s’agit d’un type d’analyse descriptive qui se réfère à l’œuvre de Gérard Genette dans Palimpsestes où il définit 5 différentes relations transtextuelles : l’intertextualité, paratextualité, métatextualité, hypertextualité, l’architextualité . Dans mon analyse, je m’attarderai plutôt sur les relations d’intertextualité et d’hypertextualité. Les premières inscrivent une relation de coprésence (A est présent dans le texte B) et les secondes une relation de dérivation (A est repris et transformé dans B). Il s’agira d’abord d’identifier au niveau du texte les différentes pratiques intertextuelles. Les pratiques qu’il repère sont la citation, le plagiat ou l’allusion. On verra que dans le cas de Nu intérieur c’est plutôt le cas de l’allusion, de la citation et par conséquent du bricolage (ou collage) impliquant d’ailleurs d’autres pratiques d’arts au second degré au-delà de celles qui s’instaurent en littérature : il s’agit des relations avec la danse et avec la musique. Genette parle à ce propos de relations hyperesthésiques. L’analyse intertextuelle insiste davantage sur la composante relationnelle des textes qui peut-être prive l’intertextualité de toute possibilité herméneutique. Au contraire, l’hypertextualité privilégie la composante transformationnelle de la littérature. Elle offre selon Genette « la possibilité de parcourir l’histoire de la littérature (comme des autres arts) en comprenant l’un de ses traits majeurs : elle se fait par imitation et transformation »15. Le deuxième type de démarche est inspirée par les études de Michael Riffaterre (La production du texte, 1979, et Sémiotique de la poésie, 1983), qui insiste sur l’intertextualité en tant qu’effet de lecture et qui manifeste « la nécessité de comprendre [un texte] à partir de son intertexte »16. Il s’agira alors d’une analyse stylistique des textes où « l’intertextualité comme méthode peut être convoquée pour le repérage de disjonctions ou d’éléments hétérogènes »17 afin « d’analyser la circularité des effets de sens »18 dans une perspective transhistorique. Dans mon étude sur les présences, les fonctions et les usages de la littérature du passé dans le roman Nu intérieur, je me servirai de l’un comme de l’autre type de démarche. Le premier type d’analyse nous permettra d’individuer les relations avec la littérature du passé à partir de pratiques déclarées selon une taxinomie précise des faits littéraire, tandis que le deuxième type d’analyse insistera davantage sur le but herméneutique en perspective transhistorique. Ce qui, d’ailleurs, coïncide avec l’enquête sur le désir menée par Belinda Cannone : une interrogation qui se situe entre plusieurs genres littéraires et qui est toujours conscient de l’héritage qu’elle doit à la littérature du passé. C’est pourquoi, j’analyserai tout d’abord l’attitude de Belinda Cannone face à l’intertextualité sur la base des déclarations de l’auteure ainsi que sur la base de certaines études de théorie littéraire. Ensuite, 13 Ibid. 14 Ibid., p. 31. 15 Ibid., p. 22. 16 Ibid., p. 17. 17 Ibid., p. 112. 18 Ibid.

j’étudierai dans le détail les différentes formes d’opérations intertextuelles présentes dans le roman Nu intérieur, leurs usages et leurs fonctions. Chez Belinda Cannone, la référence intertextuelle se fait de manière très consciente parce qu’elle en saisit l’aspect herméneutique non seulement par rapport au passé littéraire, mais aussi par rapport à l’impact que la littérature du passé peut avoir sur l’interprétation des œuvres actuelles. Elle se sert alors de la capacité commentative de l’intertextualité : par la présence d’intertextes à l’intérieur du roman elle « met en jeu ces implications de la lecture sous forme de commentaire plus ou moins explicite, de l’autre, de lui-même »19. Cela nous ramène également à l’étude de Du Bellay par rapport à la relation que la littérature entretient avec des modélisations primaires ou antérieurs. Comme le relève Antoine Compagnon, « les époques différentes ont pu avoir des positions distinctes [à l’égard de l’imitation, à l’égard du modèle littéraire]. Autant [elle] pouvait être nécessaire, pédagogique et cathartique à la Renaissance, autant elle est méprisée à partir du XVIIIème siècle. […] Autant la citation peut apparaitre comme un hommage déférent chez Chateaubriand ou encore chez Stendhal, autant elle semble niveler toute hiérarchie dans l’usage qu’en fait la postmodernité »20. Chez Belinda Cannone, on n’est plus dans le contexte de la postmodernité. Le rapport avec le passé dépasse quand même toute sorte de hiérarchie, mais il fonctionne plutôt sur le mode de l’interaction, sans en se moquer. Comme le relève Hannah Arendt, d’après une lecture de Walter Benjamin : Walter Benjamin savait que la rupture de la tradition et la perte de l’autorité survenues à son époque étaient irréparables et il concluait qu’il lui fallait découvrir un style nouveau de rapport au passé. En cela, il devint maitre le jour où il découvrit qu’à la transmissibilité du passé, s’était substituée sa « citabilité », à son autorité cette force inquiétante de s’installer par bribes dans le présent.21

En effet, on verra que dans Nu intérieur la citation s’intègre dans le texte de manière très naturel. Il me semble adapte de noter également que Belinda Cannone instaure un rapport d’admiration ou de déférence par rapport au passé littéraire. C’est pourquoi, je reviens sur les réflexions de Du Bellay : il « rappelle la nécessité d’imiter les bons auteurs avant de pouvoir prétendre à une quelconque originalité littéraire »22, en citant Samouyault. Et encore « la postérité nait bien de l’érudition, mais d’une érudition calculée grâce à laquelle le poète choisit l’auteur à imiter et, chez lui, ce qu’il faut imiter »23. Dans La Défense et Illustration de la langue française, Du Bellay affirme à ce propos « avant toutes choses, il faut qu’il [le poète] ait ce jugement de connaitre ses forces et tener combien ses épaules peuvent porter : qu’il sonde diligemment son naturel, et se compose à l’imitation de celui dont il se sentira approcher de plus près »24. Cela renoue avec la dimension mémorielle de la littérature, qui se sert des « auteurs du passé pour y puiser tout ce qu’il y a de bon et aller plus loin 19 Ibid., p. 97. 20 A. Compagnon, La Seconde Main, p. 55 cité par Tiphaine Samouyault, op. cit., p. 98. 21 H. Arendt, “Walter Benjamin 1892-1940”, dans Vies politiques, Gallimard, p. 291 cité par Tiphaine Samouyault, op. cit., p. 105. 22 Tiphaine Samouyault, op. cit., p. 100. 23 Ibid. 24 Du Bellay cité par T. Samouyault, ibid.

qu’eux »25. On verra comment ce discours se concrétise dans l’analyse de la question du désir dans Nu intérieur. Il faut noter encore une fois à cet égard que pour ce qui est de la conception de littérature donnée par Belinda Cannone, elle insiste en particulier sur l’aspect de la « réceptivité » en tant qu’outil indispensable au « travail du romancier ». Il me semble alors que l’intertextualité se donne non seulement en tant que moyen de lecture, d’interprétation d’un texte littéraire, mais aussi qu’elle active une autre dimension de la réception littéraire chez les auteurs : celle de « l’accueil de la littérature par l’écriture »26, pour citer encore une fois Tiphaine Samouyault, où l’écriture c’est le travail du romancier pour Belinda Cannone. En citant Genette, « l’humanité, qui découvre sans cesse du sens, ne peut toujours inventer de nouvelles formes, et il lui faut bien parfois investir de sens nouveaux des formes anciennes »27. Belinda Cannone reconnait ainsi le mérite spécifique de l’intertextualité, celui « de relancer constamment les œuvres anciennes dans un nouveau circuit de sens »28. C’est comme ça qu’on peut tracer l’évolution de l’histoire littéraire, qui reflet d’ailleurs l’histoire de l’homme et celle de son époque. Mais de quelles œuvres anciennes s’agit-il dans le cas du roman Nu intérieur ? et de quel nouveau circuit de sens ? A ce propos, je cite la quatrième de couverture du roman qui fait référence explicite à l’œuvre de Benjamin Constant : « c’est bien de passion qu’il est question dans ce roman d’analyse. L’obscénité y croise le grand style. […] Comme si les personnages d’un roman de Benjamin Constant et ceux d’un récit érotique s’étaient donné rendez-vous ». Le roman de Benjamin Constant dont il est question est Adolphe, l’unique roman achevé de l’auteur, qui aborde, comme Nu intérieur, le sujet concernant les difficultés de s’installer dans une relation amoureuse durable. Cependant, si « Adolphe relate à la première personne l’histoire d’un homme qui s’efforce de rompre avec la femme qu’il n’aime plus dès qu’il l’a séduite »29, Nu intérieur raconte en forme de monologue intérieur l’histoire d’un homme amoureux de deux femmes : l’Une, la femme avec qu’il vit depuis dix ans, et Ellénore, une femme qu’il vient de rencontrer dans un cours de bal. C’est à l’occasion de la réédition revue et augmentée d’ Adolphe par le Groupe Flammarion en 2013 que Belinda Cannone accepte de parler d’ Adolphe, dans l’entretien intégré au roman : « Belinda Cannone, pourquoi aimez-vous Adolphe ? ». Le projet de la maison d’édition c’était d’interroger des écrivains contemporains sur leur « classique » préféré afin de nous laisser « entrevoir ce que la littérature leur a apporté », « parce que » justement, je le cite : « la littérature d’aujourd’hui se nourrit

25 Ibid. 26 Ibid., p. 16 27 G. Genette, Palimpsestes, p.453 cité par T. Samoyault, op. cit., p94. 28 Ibid. 29 Jutta Fortin, « « Au bal masqué de l’amour, cavalier, cavalière, on danse toujours avec sa mère » : Ni toi ni moi de Camille Laurens, Adolphe de Benjamin Constant », Modern & Contemporary France, 19, 3, 2011, p. 253–264, p.253.

de celle d’hier »30. Cet entretien nous permet ainsi de saisir plusieurs éléments témoignant cette « circularité » de sens qui s’installe entre littérature du passé et littérature contemporaine. D’ailleurs, il me semble que Cannone a voulu expliciter à l’intérieur du roman Nu intérieur cette sorte de continuité avec Adolphe : la phrase du premier chapitre d’ Adolphe « tout en ne m’intéressant qu’à moi, je m’intéressais faiblement à moi-même » revient tout au début de Nu intérieur en référence cependant au père du narrateur. Dans le premier chapitre il le décrit : « je ne l’aurais pas dit égoïste, car tout en ne s’intéressant qu’à lui, il s’intéressait faiblement à lui-même »31. Elle déclare ainsi de manière allusive ce rapport de filiation littéraire. A propos de réécriture, au cours de l’entretien, on lui demande : « si vous deviez récrire l’histoire de ce personnage aujourd’hui, que lui arriverait-il ? ». Elle déclare : « je ne changerais pas le cours des événements, car, […] je les trouve dotés d’une grande force de vérité concernant les comportements amoureux. Il serait simplement nécessaire de modifier les éléments qui relèvent du social »32 et elle continue « je suis convaincue que nous n’en aurons jamais terminé avec l’indécision amoureuse. Les époques et les mœurs changent : les cœurs restent confus. Il y aura toujours quelque chose à apprendre d’Adolphe, d’Ellénore ou de la princesse de Clèves, toujours… »33. Le premier changement dont parle Cannone concerne la situation d’Ellénore : elle est la « maitresse » du comte, « terme qui est capital pour comprendre sa situation sociale au début du XIXème siècle, mais qui ne signifie plus grand-chose de nos jours où les femmes ne sont plus obligées d’être mariées »34. Elle représente d’ailleurs pour l’auteur un modèle d’aliénation féminine dont elle parle dans son essai La tentation de Pénélope : « l’aliénation, c’est le fait d’avoir intimement intégré les valeurs de la société, même quand elles vous sont défavorables, et de les promouvoir »35. En effet, Adolphe dit d’elle « tous ses préjugés étaient en sens inverse de son intérêt » (chapitre II). Cannone souligne également dans l’entretien la dimension sacrificielle du personnage :

elle ne sait que se perdre dans la relation, s’abandonner entièrement. Ce qui est beau dans l’amour, c’est de partager sa liberté et d’offrir à l’autre sa capacité d’invention de soi-même, non d’abdiquer. Mais bien sûr, lorsque je dis cela, je parle en femme du XXIème siècle36.

C’est alors comme si l’auteure, dans sa réécriture du roman Nu intérieur, voulait donner un autre modèle de femme, tourné au XXIème siècle. Il y a beaucoup de références dans le roman à cette liberté dont les femmes, au moins en Occident, disposent au XIIème siècle. Celui-ci se résume bien dans une phrase qu’Ellénore adresse au narrateur et qu’il transpose à la première personne dans le récit (les dialogues sont souvent transposés à la première personne dans le texte pour ne pas rompre l’effet 30 Belinda Cannone, « Belinda Cannone, Pourquoi aimez-vous Adolphe ? », dans B. Constant, Adolphe, Paris, Flammarion, 2013, p. I. 31 B. Cannone, Nu intérieur, Paris, Editions de l’Olivier, 2015, p. 10. 32 Belinda Cannone, « Belinda Cannone, Pourquo...


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