Alchimie de la douleur PDF

Title Alchimie de la douleur
Author Anonymous User
Course Littérature et Société
Institution Sorbonne Université
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Dissertation alchimie de la douleur...


Description

« Alchimie de la douleur » Synthèse rédigée

Le texte a été à peu près compris par la majorité des élèves, à l’exception du premier quatrain, qui a fait l’objet de plusieurs contresens. Trop peu d’élèves ont interprété correctement la référence à Hermès, alors même que tout le monde était en mesure de voir l’allusion à Hermès Trismégiste dont nous avions parlé en cours : soit les connaissances ne sont pas assez maîtrisées, soit la capacité à faire les rapprochements nécessaires est insuffisante. Dans tous les cas, les commentaires sur les autres caractéristiques du dieu grec (messager, dieu des voleurs, etc.) étaient secondaires.

« Alchimie de la douleur » est un sonnet en octosyllabes. Publié en 1860, il est repris l’année suivante dans la deuxième édition des Fleurs du mal. Le sizain présente une forme inhabituelle, puisqu’il ne comporte que deux rimes, en [ʁ] et [aʒ], au lieu des trois que l’on trouve dans les sonnets classiques. Cette irrégularité met en évidence la modernité de Baudelaire et, surtout, l’originalité de sa démarche poétique. Le titre fait explicitement allusion aux pratiques alchimiques, déjà évoquées dans la troisième strophe du poème liminaire* (= placé au début de l’ouvrage) « Au lecteur ». La présence insistante de la première personne permet d’interpréter « Alchimie de la douleur » comme une sorte d’allégorie qui établit une analogie entre le travail du poète et l’œuvre des alchimistes (dans ce sens, le mot est masculin : les alchimistes parlaient du « Grand Œuvre* », c’est-à-dire de la fabrication de la « pierre philosophale* » censée permettre, entre autres, la transmutation des métaux). Mais comme on va le voir, Baudelaire, avec son ironie habituelle, entend se livrer à un « œuvre » alchimique et poétique bien particulier et pour le moins paradoxal. Le premier quatrain dresse un constat très général qui porte sur la façon dont les hommes envisagent la Nature. Baudelaire distingue essentiellement deux attitudes, qu’il spécifie à l’aide d’un parallélisme antithétique doublement énoncé : « L’un » / « L’autre » ; « Ce qui dit à l’un » / « Dit à l’autre ». Ces pronoms indéfinis renvoient à des catégories et non à des individus déterminés : l’essentiel se trouve dans l’opposition de ces termes, et dans la conception dualiste que celle-ci révèle. La première attitude peut être qualifiée de positive, comme en témoignent les termes « ardeur », « Vie » et « splendeur » ; à l’inverse, la deuxième catégorie d’hommes voit la Nature de manière négative : « deuil », « Sépulture ». Il apparaît donc que cette antithèse recoupe en partie l’opposition entre l’Idéal et le Spleen, et, plus généralement, ce que Baudelaire appelait lui-même la « double postulation* », c’est-à-dire l’existence, en chaque homme, d’une attirance simultanée pour le Bien (Dieu) et pour le Mal (Satan). Dans le poème, les hommes « positifs » s’émerveillent devant la Nature (« splendeur »), tandis que les hommes du Spleen y voient une réalité périssable et promise à la mort (« deuil »). Chez Baudelaire luimême, ces deux tendances existent et sont en conflit. En employant la troisième personne dans le premier quatrain, le poète semble ne pas prendre parti. On n’en remarque pas moins que ces deux types d’hommes ne dialoguent pas entre eux : chacun apostrophe la Nature de son côté, et le seul point commun entre les deux visions est l’impression de certitude et de conviction que marquent les points d’exclamation. Pour le reste, ces deux visions sont incompatibles, comme le montrent les diverses antithèses et la structure d’ensemble du quatrain, en forme de chiasme : bien / mal / mal / bien.

Pour autant, on pourrait aussi lire cette distinction de façon plus restrictive. En effet, celui qui « éclaire » la nature avec son « ardeur » est certainement l’homme de la science ou, du moins, de la connaissance : « éclairer » peut signifier ici « rendre intelligible ». Dans ce cas, son « ardeur » représente le travail de son esprit : on peut y voir une première allusion aux recherches des anciens alchimistes, d’autant plus que le nom « Vie », mis en valeur par la majuscule, rappelle une autre de leurs quêtes, celle de l’« élixir de longue vie* ». Au contraire, le mélancolique qui interpelle la Nature en la taxant* (= qualifiant) de « Sépulture » ressemble davantage à un poète, et spécifiquement à un poète élégiaque* (élégie* = poème lyrique exprimant des sentiments de douleur, de deuil, de mélancolie, etc.). Cela ne contredit pas, du reste, la conclusion précédente : ces deux tendances existant chez Baudelaire, on peut dire de lui qu’il est à la fois un alchimiste et un élégiaque. Au vers 8, cette union des contraires se confirme, puisque le poète se nomme lui-même « le plus triste des alchimistes » : le superlatif signale ici sa situation particulière et unique. Mais le poème n’a pas pour seul intérêt de présenter une fois de plus une conception dualiste du monde, ni les tiraillements* qui déchirent la conscience baudelairienne : il veut aussi nous faire entendre en quoi consiste l’œuvre du poète. C’est pourquoi, dès le second quatrain, la première personne entre en scène, accompagnée d’un « Tu » qui se rapporte à un « Hermès inconnu ». Celui-ci, à l’évidence, est l’Hermès Trismégiste de l’alchimie. En l’appelant « inconnu », Baudelaire souligne d’ailleurs ses liens avec le monde du mystère et de l’occultisme*. Mais c’est aussi une façon de sous-entendre que cet Hermès « personnel » de Baudelaire n’est pas seulement, ou pas exactement, celui des alchimistes. Il joue un autre rôle comme on le devine dans la proposition relative « Hermès inconnu qui m’assistes ». On peut ici rappeler que, dans la mythologie grecque, ce dieu remplissait aussi la fonction de psychopompe*, c’est-à-dire qu’il aidait les âmes des morts à migrer dans l’au-delà. L’Hermès de Baudelaire serait ainsi une divinité qui lui permettrait d ’entrer dans le monde de la Mort et du Spleen, et pas seulement le mage occultiste qui lui révèlerait les secrets de la création poétique. C’est ici qu’intervient la notion de métamorphose ou de transmutation, centrale dans l’alchimie comme dans la poésie de Baudelaire. Le poète recourt à une deuxième référence antique, le mythe du roi Midas*. Dans cette histoire bien connue, Midas reçoit de Dionysos le don de transformer en or tout ce qu’il touche : ce pouvoir d’acquérir des richesses illimitées se révèle bientôt une malédiction, puisque Midas transforme également en or la nourriture qu’il voudrait consommer et risque ainsi de mourir de faim. Baudelaire s’identifie à cette figure mythologique : « Tu me rends l’égal de Midas ». Ce faisant, il insinue que son don poétique est une malédiction lui aussi. De même que l’alchimiste ou le roi Midas ne créent pas de matière nouvelle, mais qu’ils transforment bien plutôt une matière préexistante* en une autre matière, de même le poète opère une métamorphose plutôt qu’une création ex nihilo* (= à partir de rien). Là s ’arrête cependant l’analogie : si l’alchimiste rêve d ’avoir, comme le roi Midas, le pouvoir de transformer toute matière en or, le poète spleenétique, au contraire, constate qu ’il « change l’or en fer ». Il est bien un alchimiste, mais « le plus triste » d’entre tous. Il est réellement maudit : il ne sait que transformer le Bien en Mal. Le sizain peut alors développer cette métaphore filée de l’alchimie poétique que conçoit Baudelaire. Les antithèses y sont nombreuses : « je change l’or en fer / Et le paradis en enfers ». On notera que le pluriel « enfers » (qui ne respecte d’ailleurs pas la règle de la liaison supposée avec « fer ») ne peut s’expliquer que par la référence aux enfers mythologiques, rappelant la fonction de l’Hermès psychopompe. De manière paradoxale et ironique, la poésie de Baudelaire n’aurait pas ici pour vocation d’embellir le laid ou de transfigurer le banal, mais plutôt de révéler le caractère spleenétique et mortuaire de la Nature tout entière. Même le monde de l’Idéal est contaminé par le spleen, comme le dit la métaphore « le suaire* des nuages » et comme le confirment encore les deux derniers vers : « Et sur les célestes rivages / Je bâtis de grands

sarcophages. » Le ciel, associé à l’Idéal dans de nombreux poèmes des Fleurs du mal, est devenu l’espace où se déploie l’œuvre du Spleen (« de grands sarcophages »), c’est-à-dire l’angoisse de la mort et la certitude du néant. Ce net déséquilibre en faveur du Spleen peut s’expliquer par la date plus tardive du poème ; de même, il justifie sa place à la fin de la section « Spleen et Idéal », où prédominent justement les poèmes les plus mélancoliques. Pour autant, la référence architecturale (« je bâtis ») implique que cette œuvre soit encore de nature esthétique ou artistique, et il ne faut pas minimiser la part de l’ironie ni celle du paradoxe. « Alchimie de la douleur » nous permet, en tout cas, de préciser la dimension « alchimique » des Fleurs du mal, en montrant que la transformation du « mal » en « fleurs » admet aussi l’opération inverse, et plus inquiétante : la transformation de « tout » en « douleur ». En cela, Baudelaire reste un moraliste à sa manière, paradoxale et provocatrice : comme dans beaucoup d’autres de ses poèmes, le memento mori est à l’œuvre, et les « sarcophages » ont le dernier mot....


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