Dissertation - Généraliser l\'humanisme classique en réinsérant l\'homme dans l\'ensemble des vivants PDF

Title Dissertation - Généraliser l\'humanisme classique en réinsérant l\'homme dans l\'ensemble des vivants
Author Christelle DUTHU
Course Philosophie
Institution Université de Bourgogne
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Summary

Dissertation rédigée ayant pour sujet "Dans quelle mesure serait-il possible voire nécessaire de "généraliser - comme le suggère Lévi-Strauss - "l'humanisme classique" en réinsérant l'homme dans l'ensemble des vivants".
Niveau Licence L3...


Description

Dans quelle mesure serait-il possible voire nécessaire de "généraliser - comme le suggère Lévi-Strauss - "l'humanisme classique" en réinsérant l'homme dans l'ensemble des vivants.

Dans une conférence de 1971 intitulée Race et culture, l'anthropologue et ethnologue Claude Lévi-Strauss appelle à une éthique du vivant élargie à l'ensemble de la communauté biotique : « le respect que nous souhaitons obtenir de chaque homme envers les cultures différentes de la sienne n'est qu'un cas particulier du respect qu'il devrait ressentir pour toutes les formes de la vie ». Cette conception anthropomorphique du vivant s'oppose à celle de l'humanisme classique qui accorde une primauté à l'homme sur le reste des vivants. Le vivant se définit généralement comme l'ensemble des organismes doués de vie et interagissant de manière individuelle avec son milieu propre par réaction à des stimuli, en se nourrissant et se développant par relation à ce milieu qui lui est extérieur ; la vie étant entendue comme ce qui est animé, par opposition à la mort, à l'inerte. La biologie, du grec bios « vie » et logos « discours », se propose d'étudier scientifiquement le déroulement de la vie des différentes espèces vivantes, incluant de fait, les animaux et les végétaux. Or, la vision de l'humanisme classique réduit le vivant à l'homme. En effet, cette redécouverte de l'homme par l'homme à la Renaissance a abouti à une glorification de ce dernier aux dépens des animaux. L'humanisme classique créer alors une hiérarchisation, et parfois même une séparation dans le monde des vivants, entre l'homme et l'animal. Cependant, cette conception va à l'encontre de la définition courante de l'humanisme, entendu comme une attitude respectueuse et bienveillante à l'égard des autres vivants. Du reste, la bioéthique, développée dans les années 1960 à la suite de l'émergence des pays industrialisés, étudie les problèmes éthiques en appelant à une justice afin que tous les êtres vivants soient traités de façon égale. Alors que l'humanisme classique créer une distinction allant parfois jusqu'à la 1

séparation de l'homme du reste des vivants, peut-on ou doit-on étendre le vivant à l'ensemble de la communauté biotique ? Pour répondre à cette problématique, nous proposerons une étude en deux temps visant à souligner les limites de la vision anthropocentrique de l'humanisme classique, au profit d'un humanisme élargi à l'ensemble des vivants.

La conception de l'humanisme classique héritée de la Renaissance, accorde une primauté à l'homme sur les animaux. Mais quelle serait la spécificité de l'homme sur le reste des vivants ? Depuis la Renaissance et le mouvement de l'humanisme, l'homme est placé au centre de l'univers. Cette vision anthropocentrique promeut l'homme aux dépens des autres vivants. Mais dès l'Antiquité, l'homme est différencié des autres espèces. En effet, dans son traité De Anima, le philosophe grec antique Aristote, présente l'être comme l'union d'une matière : le corps, et d'une forme : l'âme. Il distingue cette dernière substance en trois types d'âmes avec différentes facultés : l'âme végétative qui possède des fonctions nutritives en se nourrissant soi-même et en se reproduisant, l'âme animale dotée en plus, de la faculté de sentir, et l'âme humaine qui, au surplus, possède une faculté spécifique : l'intelligence. Aristote souligne la supériorité de l'homme sur le reste des vivants « par la finesse du toucher, l'homme est de loin supérieur à tous les autres. Et c'est pourquoi il est le plus intelligent des animaux ». Plus tard, le philosophe, mathématicien et physicien René Descartes, rompt avec la distinction aristotélicienne entre les âmes végétative, sensitive et intellective pour les réduire à une seule : la raison. En effet, dans son Discours de la méthode (1637), il marque la spécificité de l'homme sur les animaux qu'il compare à des machines en les qualifiant d' « automate de la nature » (lettre de mars 1638). Descartes réduit ainsi les fonctions des animaux à leurs comportements mécaniques, contrairement à l'homme qui possède la raison lui permettant le langage qui est signe de la pensée. Si pour Descartes la 2

différence qui spécifie l'homme de l'animal est la raison, d'autres penseurs mettent en avant la liberté de l'homme. Nous trouvons chez le philosophe JeanJacques Rousseau une distinction entre ces deux vivants, fondée sur la capacité de perfectibilité spécifique à l'homme. Dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755), il mentionne cette particularité : « sur cette différence de l'homme et de l'animal, il y a une autre qualité très spécifique qui les distingue, et sur laquelle il ne peut y avoir de contestation, c'est la faculté de se perfectionner". Contrairement à l'animal qui reste ce qu'il est, l'homme a cette capacité particulière à devenir autre. En tant que produit de l'histoire, il peut transformer sa nature par l'éducation et le travail. On constate donc que plusieurs conceptions du vivant tendent à produire une hiérarchisation entre l'homme qui est placé comme supérieur face aux autres vivants. Cette spécificité de l'homme est marquée par le fait qu'il soit le seul des animaux à posséder la raison, ou alors par sa perfectibilité. En glorifiant l'homme, la conception de l'humanisme classique tend à créer une hiérarchisation dans l'ordre des vivants. Dans son recueil d'articles intitulé Anthropologie structurale deux (1973), Claude Lévi-Strauss distingue trois humanismes. Le premier est celui de la Renaissance. A cette période, les explorations géographiques aboutissant à la découverte de la Chine, de l'Inde et de l'Amérique conduisent les hommes à élargir leur horizon à des civilisations extérieures. Cependant, cet élargissement reste limité à une classe aristocratique privilégiée qui crée une distinction proche de celle de la culture gréco-romaine entre les Grecs et les barbares, différenciant les peuples civilisés des non-civilisés. Cela conduit à une hiérarchisation des êtres humains. Le second humanisme est celui du XIX ème siècle qui s'intéresse aux sociétés exotiques, mais sur des intérêts industriels et commerciaux. LéviStrauss montre un troisième humanisme en rupture avec les deux précédents, qu'il qualifie de démocratique grâce à l'ethnologie qui étudie les sociétés primitives. On constate donc qu'au cours des explorations ethniques, les conceptions humanistes classiques créent des hiérarchisations au sein même de l'espèce humaine entre différentes cultures, alors que l’ethnologue appelle à 3

un respect égal des vivants. Ainsi, dans Anthropologie structurale (1958), LéviStrauss invite à dépasser l'illusion de l'humanisme classique qui marque une distinction de l'homme sur le reste des vivants : « on a commencé par couper l'homme de la nature, et par le constituer en règne souverain […]. L'homme occidental ne put-il comprendre qu'en s'arrogeant le droit de séparer radicalement l'humanité de l'animalité, en accordant à l'une tout ce qu'il retirait à l'autre, il ouvrait un cycle maudit ». L'ethnologue considère que depuis quatre siècles, les hommes ont voulu se distinguer des autres vivants par fierté excessive. Le problème étant que cela aboutit à des menaces pour l'homme et son environnement. C'est également ce que souligne le forestier, écologiste et universitaire américain Aldo Leopold qui, dans son ouvrage Almanach d'un comté des sables (1949), montre que l'homme s'est placé en conquérant de la terre. Or, la victoire qu'a tenté d'accomplir l'homme sur l'environnement s'est renversée en défaite : « au cours de l'histoire humaine, nous avons appris (je l'espère) que le rôle du conquérant contient en lui-même sa propre défaite ». L'histoire montre que la victoire de l'homme sur la nature s'est renversée en échec par les conséquences dévastatrices sur la nature comme la pollution, ou encore la disparition progressive des ressources naturelles. Alors, Claude LéviStrauss, tout comme Aldo Leopold, appellent à reconsidérer la place de l'homme au sein du monde des vivants afin de le positionner comme égal au reste de ces derniers.

En valorisant la raison et la liberté de l'homme aux dépens des autres vivants, la conception de l'humanisme classique crée une hiérarchisation des êtres. L'enjeu de la problématique du vivant réside dans sa délimitation. On distingue différents types de vivants : les animaux, les végétaux, et les hommes. Ces éléments ont pour points communs la vie, marquée par un début et une fin, et la régénération, par la capacité à pouvoir se reproduire. Alors, ne faudrait-il pas élargir la conception de l'humanisme classique à l'ensemble des vivants ? 4

Plutôt que de réduire le vivant à l'homme, des conceptions postérieures à l'humanisme classique proposent d'étendre le monde des vivants à l'ensemble de la communauté biotique. La vision anthropocentrique du vivant aboutit parfois à un respect inégal des êtres. Or, si l'homme présente certes des capacités spécifiques telles que la raison et la pensée qui le distingue des animaux, il a aussi la capacité de pitié. Ce sentiment est pour Rousseau, présent chez tous les êtres sensibles, chez les animaux et les hommes. La pitié rappelle la distinction que le philosophe formule dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755) entre l'amour de soi qui est un sentiment bon où l'homme contient ses passions par son instinct de conservation lui permettant de faire preuve de compassion à l'égard des autres, alors que l'amour-propre correspond à un sentiment négatif d'amour de soi sur le regard des autres, qui se contente de satisfaire ses besoins et désirs propres. Dans sa Grande Etude, le philosophe chinois néo-confucéen Wang Yangming prend l'exemple de la détresse d'un enfant qui suscite chez l'homme une peur par compassion, entendue comme une sensibilité à la douleur de l'autre. Ce dernier appelle à ce que ce celle-ci soit étendue aux végétaux et aux animaux, par crainte. C'est aussi sur ce sentiment que s'appuie le philosophe et médecin allemand Albert Schweitz en transposant l'expression allemand Ehrfurcht vor dem Leben, littéralement « respect craint devant la vie ». La mobilisation du sentiment de crainte amène à se soucier de toutes les formes de vie, y compris animales et végétales, comme il le montre dans son ouvrage la civilisation et l'éthique : « un homme n'est véritablement éthique que s'il obéit à l'obligation de secourir toute vie, lorsque la situation se présente et qu'il en a les possibilités, et s'il craint plus que tout de nuire d'une façon ou d'une autre à un être vivant ». De ce fait, en appelant la pitié pour toutes les formes de vie, la conception classique du vivant est élargie à l'ensemble de la communauté biotique. L'appel à la bioéthique tend à faire disparaître la frontière des conceptions classiques entre l'homme et le reste des vivants. Cette 5

reconsidération de la place des animaux et végétaux dans le monde des vivants doit aboutir à une responsabilité et un respect égal pour toute la communauté biotique. Pour le naturaliste et biologiste allemand Jakob von Uexküll, tous les organismes – humains, animaux et végétaux sont des sujets. Il appelle à ce que tous les vivants soient respectés dans la mesure où ils appartiennent à un ensemble, le monde habité qui, s'il n'est n'est pas respecté, aboutit à une menace de l'ensemble. Cette conception s'inscrit dans les débats écologiques apparus dès la seconde moitié du XIX aux États-Unis après la première révolution industrielle. Henry David Thoreau est l'un des premiers penseurs à formuler ces préoccupations à l'égard de la nature. Après avoir passé deux ans en autarcie, il souhaite un rapport nouveau des sociétés modernes à la nature, en particulier dans son œuvre Walden ou la vie dans les bois (1854). Ces préoccupations sont reprises par Aldo Leopold qui, dans Almanach d'un comté des sables (1949) propose une « éthique de la terre » : une éthique biocentrique fondée sur une relation de responsabilité entre l'être humain et le territoire habité. En effet, partant du constat qu'il n'existe pas d'éthique définissant la relation de l'homme à la nature, aux animaux et aux plantes, il reproche aux hommes d'être dominés par des intérêts économiques depuis la première révolution industrielle. Cependant, l'homme gouverné par ces instincts de profit recherche à dominer la terre aux dépens de la biodiversité, ce qui aboutit à des dégâts et dangers sur la biodiversité. Aldo Leopold suggère alors d'élargir la conception classique du vivant au profit d'une éthique élargie à l'ensemble de la communauté biotique, c'est-à-dire à tous les êtres : « l'éthique de la terre élargit simplement les frontières de la communauté de manière à y inclure le sol, l'eau, les plantes et les animaux ou, collectivement, la terre ». De ce fait, contre les risques causés par l'homme à l'encontre de la nature, plusieurs conceptions tendent à proposer une nouvelle éthique de responsabilité envers l'ensemble de la communauté biotique. Cette dernière élargit la conception classique anthropocentrique du vivant, à un ensemble composé à la fois des hommes, mais également des animaux, et parfois même des végétaux. 6

Comme nous l'avons vu, la conception de l'humanisme classique héritée de la Renaissance, formule une hiérarchisation entre l'homme et le reste des vivants. Cette distinction anthropocentrique est fondée sur les facultés spécifiques de l'homme, à savoir la raison et la pensée. Or, l’homme ainsi glorifié cherche à étendre sa puissance en dominant la nature. L'histoire montre les dangers écologiques que produit ce désir de domination du monde terrestre. Il semble alors nécessaire de reconsidérer la place de l'homme dans l'ordre des vivants, en étendant les conceptions classiques du vivant à un ensemble plus large : la communauté biotique. Cette réévaluation peut se faire par le biais de différents moyens : soit par la mobilisation du sentiment de pitié amenant l'homme à prendre conscience de la détresse de la terre et des dangers qu'il lui fait encourir afin de la préserver. D'autres penseurs formulent une nouvelle éthique biocentrique qui repose sur un respect égal des vivants. Ainsi, dans la perspective d'une préservation de la communauté biotique, il convient d'élargir la conception anthropocentrique de l'humanisme classique au profit de l'ensemble des vivants.

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