Dissertation Toute poésie est la voix donnée à la mort PDF

Title Dissertation Toute poésie est la voix donnée à la mort
Course Littérature comparée
Institution Université de Tours
Pages 5
File Size 166.7 KB
File Type PDF
Total Downloads 35
Total Views 143

Summary

Dissertation donnée en DM durant mon année de L2 Lettres Modernes. Oeuvres au programmes : "Alcools" de G. Apollinaire, "La Terre Vaine et Les Hommes creux" de T.S. Eliot, et "L'Allégresse" et "Sentiment du temps" de G. Ungaretti....


Description

FARQUE Claire

06/04/17

L2 Lettres Modernes

Dissertation _ Littérature comparée

« Ça ne doit pas être si difficile que ça de mourir parce que finalement tout le monde y arrive. » déclare avec humour André Gide. La mort est en effet une réalité par laquelle nous sommes tous concernés. Elle nous rattrape tous tôt ou tard. Il est donc bien naturel qu'elle constitue un thème récurrent en poésie : écrire, composer sur le caractère éphémère des choses, ce n'est pas une nouveauté ; pensons à Ronsard par exemple au XVIè s (« Mignonne allons voir si la rose... »). Mais

Philippe Jaccottet dans La Semaison va jusqu'à affirmer que: « Toute poésie est la voix donnée à la mort ». Cette vision nous semble pessimiste et semble suggérer que la poésie, la parole poétique n'a d'autre puissance que de se prêter à l'expression de la mort. Il s'agira, dans ce devoir, de s'interroger en effet sur le pouvoir de la poésie face à la mort à travers Alcools de G. Apollinaire, La Terre Vaine et Les Hommes creux de T.S. Eliot, et L'Allégresse et Sentiment du temps de G. Ungaretti. Nous verrons dans une première partie la voix poétique, une voix qui s'éteint mais qui reste efficace. Puis nous étudierons dans une deuxième partie la question du don. Enfin dans une dernière partie nous nous intéresserons à l'expression de la mort en poésie, comme un moyen de l'appréhender, et de dépassement. Au début du XXè s. l'Europe est à la fois une période positiviste, qui célèbre les progrès techniques, et une période de crise, particulièrement suite à l'horreur de la 1ère Guerre Mondiale, considérée comme la première guerre moderne. Les poètes de l'époque cherchent à savoir quel est encore le pouvoir de la parole poétique. En ce qui concerne nos trois auteurs, il paraît évident que le thème de la mort est extrêmement présents dans les œuvres que nous étudions d'eux. Lorsque Apollinaire déclare « L'amour est mort j'en suis tremblant » (p. 21), l'amour étant le thème de prédilection de la poésie, on pourrait s'interroger sur l'avenir de la voix poétique. Il ajoute : « J'ai chanté […] l'amour à voix virile », et le passé composé employé peut apparaître comme inquiétant :

le temps de chanter l'amour est-il mort avec le printemps et l'été dans l'automne poétique d'Apollinaire ? Chez T.S. Eliot on trouve le thème de la mort notamment à travers les références à la Divine Comédie de Dante, mais elle se manifeste aussi dans les nombreuses négations : « the eyes are not here, there are no eyes here » (p.114), « Not that final meeting (p. 112), « Here is no water », There is not even silence », « There is not even solitude » (p. 86) mais aussi dans les nombreuses répétitions « C'est ainsi que finit le monde/ C'est ainsi que finit le monde/ C'est ainsi que finit le monde » (p. 117) qui résonnent comme un écho, faisant vibrer le vide des « Hommes creux » qui peuplent une terre stérile. Chez Ungaretti, la mort est présente de part le thème même de la guerre sur laquelle il écrit un certain nombre de ses poèmes. La voix se définie comme : « ensemble de sons produits par la bouche et résultant de la vibration de la glotte sous la pression de l'air expiré; faculté d'émettre ces sons » (définition du TLFi). Or, la voix poétique se retrouve chez nos auteurs de la manière la plus dénuée, la plus pauvre, la plus inarticulée du terme. Nous pensons notamment au « cri » d'Ungaretti (p.160 ''Cri''), mais aussi à T.S. Eliot et au « murmure » des hommes creux (p. 117), qu'on pourrait aussi traduire « gémissement » (whimper en anglais) qui est une forme affaiblie du cri spécifique à la plainte. Nous avons d'ailleurs une description précise des voix des hommes creux : « Nos voix desséchées, quand/ Nous chuchotons ensemble/ Sont sourdes, sont inannes ». Dans la version originale, on peut noter que T.S. Eliot emploie « dried voices » et non pas « dry voices » (« Our dried voices, when we whisper together are quiet and meaningless »). C'est-à-dire que qu'elles ont été asséchée par quelque chose ou quelqu'un – mais qui ou quoi ? Même en regroupant leurs voix, ils sont incapables de leur donner du sens à tel point qu'elles sont inexistantes... Mais une voix peut-elle être muette ? « Je suis las de hurler sans voix » dira également Ungaretti dans ''La Pitié'' (p.179). De même, la voix poétique ne s'éteint jamais complètement. La poésie est-elle éternelle comme l'affirme Théophile Gautier : « Mais les vers souverains/ Demeurent/ Plus fort que les airains » (''L’Art'', tiré du recueil Émaux et Camées, 1852) ? Ce qui est certain, c'est que la poésie demeure, même « donnée » à la mort. Hugues Laroche va jusqu'à dire que la poésie fin de siècle n'a « d'autre but que de chanter son propre deuil ». C'est un « Cri trouble ailé/ que retient la lumière quand elle meurt » (p.160 ''Cri''). Le deuil déploré est donc celui de la poésie elle-même. Le poète, particulièrement le poète élégiaque, est souvent comparé au cygne, l'oiseau qui a la réputation de ne chanter qu'au seuil de sa mort.

La figure du poète paraît

agonisante et exilée, comme un cygne blessé à mort, comme l'albatros atterri sur le pont d'un navire, comme « Philomèle/ Par le royal barbare forcée » (p.67 ''Une Partie d'échecs''). « Et je me sens en exil entre les hommes » dira Ungaretti (p.177 ''La Pitié''). Mais « Là cependant le rossignol/ Emplissait le désert d'une voix inviolable » (p.67 ''Une Partie d'échecs''). La stérilité de la Terre Vaine n'a donc pas contaminé la poésie ; la terre et l'homme mortels peuvent dépérir, la « voix »

poétique demeure inaltérable. De la mort même elle peut jaillir : « Du triste, du dernier soleil/ Quel cri réveilles-tu ? (p.201 ''Quel cri''). On pourrait même aller jusqu'à dire que le thème même de la mort est éternel, et lui-même comme une sorte de ressassement ; la mort et la vie semblent bien former une boucle sans fin. Les uns meurent, les autres naissent. La voix poétique conserve alors toute sa vigueur, toute sa force dans sa capacité à dire encore l'indicible. Voltaire nous semble l'exprimer fort joliment en disant que « la poésie est la peinture de la voix ». La poésie se fait son propre tombeau, mais en cela elle crée toujours, elle est toujours efficace. Et ce, justement parce qu'elle se donne. « Donner » peut signifier « concéder », ou encore « remettre » quelque chose à quelqu'un. Dans ce sens, on pourrait avoir l'impression que « donner sa voix à la mort » signifierait pour la poésie de se soumettre à la mort, d'en être la servante. Rappelons qu'étymologiquement le mot poésie vient du grec poien qui signifie « créer, fabriquer ». Dans cette idée de fabrication le poème est en soi quelque chose de fini, terminé, achevé. En cela, elle serait représentative de sa propre fin, à la fois sujet et objet. Peut-être aussi, parce qu'en cette 1ère moitié de XXè s. il ne semble plus exister ni d'idéal poétique auquel se raccrocher, ni de moyen de se projeter, la seule alternative qui reste est d'exprimer la sécheresse, la mort présente. On semble retrouver cette idée dans « L'Enterrement des morts'' de T.S. Eiot. Au début du poème, il nous semble percevoir un espoir de ce qui pourrait être un nouvel idéal, bien enfoui et bien faible mais néanmoins présent : « Avril […] réveille/ Par ses pluies de printemps les racines inertes. L'hiver nous tint au chaud, de sa neige oublieuse/ Couvrant la terre, entretenant/ De tubercules secs une petite vie. » (p. 61). Cependant le lecteur se trouve bien vite déçu par un brusque retour à une terre stérile et sans vie : « Quelles racines s'agrippent, quelles branches croissent/ Parmi ces rocailleux débris ? […] L'arbre mort n'offre aucun abri, la sauterelle aucun répit,/ La roche sèche aucun bruit d'eau » (p. 61). Nous pouvons penser aussi penser à Apollinaire qui prête sa voix à la mort à travers sa claire prédilection pour l'automne dans Alcools. Cette saison du pourrissement qui n'est pas sans nous faire penser à la décomposition des corps. Il est intéressant de remarquer que, pour Apollinaire, l'automne subit la mort : « Pauvre automne/ Meurs en blancheur et en richesse » (p. 132 ''Automne malade''), mais la donne également : « Oh ! l'automne a fait mourir l'été » (p. 84 ''Automne''). Et nous changeons alors de perspective quant au don. On pourrait dire que l'on passe de la « voix passive » à la « voix active » ! Le verbe « donner » signifie, « faire parvenir quelque chose à quelqu'un. Muse prends ton luth et me donne un baiser (Musset, Nuit mai, 1835) » (définition du TLFi) . On entre alors dans l'idée d'offrir, de faire un présent. Faire don de quelque chose implique de la céder gratuitement et volontairement. C'est alors peut-être la mort qui doit-être reconnaissante au poète de lui prêter sa

voix ? La poésie n'a-t-elle pas le pouvoir de tout embellir, de traiter de tous les sujets ? Baudelaire n'a-t-il pas réussi l'exploit de sublimer par son écriture une charogne en offrant sa voix au promeneur qui rencontre la mort en ce corps en putréfaction ? Donner sa voix à la mort, c'est exprimer à la fois l'inconnu – on peut penser à l'image « royaume des morts » chez T.S. Eliot – et l'insoutenable : l'aridité, la sécheresse, la tristesse, le désert... C'est mettre des mots sur le silence, sur les «voix muettes » et les hurlements « sans voix » : « j'ai voulu de ces fragments étayer mes ruines » (p. 93 ''Ce qu'a dit le tonnerre''). « J'ai peuplé de noms le silence » (p. 177) déclare Ungaretti dans ''La Pitié'', comme si donner voix à la mort permettais d'empêcher l'oubli qui accompagne fréquemment le silence. Parler de la vie dans le présent, même si ce présent apparaît comme synonyme de ruine, d'ennui, de désespoir : « Le pré est vénéneux mais joli en automne » comme le dit Apollinaire dans ''Les colchiques'' (p. 33). Dire que l'homme est mortel est bien entendu une lapalissade, « Le chemin des morts passe en nous » (p. 179 ''La Pitié''). Mais si la poésie parle de la vie – qu'elle soit passée, présente ou à venir – cela implique forcément pour elle la nécessité de parler de la mort qui, au sens propre signifie la « cessation de la vie » (définition du TLFi). « Nous rêvons d'une certitude » confie Ungaretti dans ''La Pitié'' (p.178). Or, la seule certitude que nous pouvons avoir c'est celle que nous mourrons un jour. Donner la voix à la mort serait encore un moyen, sinon de célébrer la vie, et tout ce qui la compose, tout du moins de parler d'elle. L'affirmation de P. Jaccottet, dans cette perspective, ne limite donc absolument pas le sujet poétique à la mort. Une mort qui peut prendre sens dans l'espoir d'une autre vie après la mort, comme cela semble être le cas chez T.S. Eliot ou Ungaretti, dans l'idée d'un autre royaume – notamment le Royaume de Dieu. Chez Apollinaire, la religion appartient plutôt au passé, bien que l'on retrouve le désir de Chanaan, la Terre Promise, dans ''La Chanson du Mal-aimé''. Mais on trouve en revanche avec lui une véritable célébration de la modernité qui semble bien célébrer la vie et qui plus est la vie présente, notamment dans le poème ''Zone'', qui ouvre la recueil Alcools. Apollinaire cherche à « faire du neuf avec de l'ancien ». Cette idée de se retourner vers le passé pour aller y chercher de quoi vivre dans le présent comme on la trouve dans la poésie d'Apollinaire n'est pas sans nous rappeler le Mythe d'Orphée, qui allie deux dynamiques : la poésie efficace et la poésie mélancolique. Mythe vu par nos trois auteurs comme une possibilité de renouer avec la parole poétique, chacun à sa manière et l'on pourrait dire chacun à une étape du mythe. Ungaretti s'attache à faire revivre les morts par la poésie, comme dans ''In memoriam'' (p. 33) ou dans ''Veillée'' (p. 38). La poésie est pour lui une tombe et un lieu de mémoire pour les morts : « Je règne sur des fantômes » ( p. 177 ''La Pitié''). Apollinaire quant à lui trouve dans la perte du passé une voix, « la voix que la lumière fit entendre » (p. 145 ''Orphée'') pour chanter le présent. C'est la poésie d'Orphée qui perdure après la mort : « Le ciel se peupla

d'une apocalypse/ Vivace » (p. 39 ''La maison des morts''). Enfin, pour Eliot, il y a une possibilité de faire la poésie depuis l'Enfer (cf. ''L'Enterrement des morts'') grâce à une plainte efficace. Mais toute la difficulté est de faire émerger cette parole poétique depuis ces profondeurs arides (cf. ''Les Hommes creux''). La poésie pourrait être alors la voix donnée à la mort au sens figuré, c'est-à-dire au sens de « extinction, destruction, ruine » (définition du Littré), une poésie du ressassement mais poésie qui se veut efficace même dans la plainte pour se sauver de l'extinction. La poésie n'est pas soumise à la mort, la preuve en est qu'elle est capable de faire son propre deuil de manière efficace. Bien plus, on peut dire qu'elle fait don de son efficacité à la mort même. Elle tente même de chanter depuis les Enfers... On est fortement tenter de s'écrier « Le roi est mort ! Vive le roi ! », car à la mort succède toujours le renouveau et dans les putréfactions de l'automne germent déjà les jeunes poussent printanières, quoi que tapies et invisible ....


Similar Free PDFs