la théorie du \"conflit des civilisations\" PDF

Title la théorie du \"conflit des civilisations\"
Course géopolitique des religions
Institution Institut Catholique de Paris
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géopolitique des religions...


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Leçon 3 : La théorie du «!conflit des civilisations!». -Nous avons vu, jusqu’à présent, que le politique et le religieux pouvaient s’impliquer mutuellement, sur un plan autant synchronique que diachronique. -Nous avons vu qu’il y avait eu un retour du religieux dans les sociétés, dans les années 1970. Mais la géopolitique des relations internationales a elle-mm connu un tournant majeur au tournant des années 1990 avec la fin de la Guerre Froide, qui a inauguré un retour du religieux dans la détermination des logiques d’alliances et de conflits entre les Etats. -Nous allons donc examiner quel modèle de compréhension est né à la fin de la Guerre Froide, qui a donné un rôle nouveau au religieux pour décrire le nouvel état des relations internationales. I. La fin de l’histoire, ou le choc des civilisations ? -Au XXème siècle, les relations internationales entre les Etats du monde avaient obéi à deux logiques simultanées : *Une logique de rivalité de puissances, au sein du concert européen inauguré par les traités de Westphalie (1648), entre les puissances impériales et coloniales européennes puis occidentales. *Une logique de rivalités idéologiques (qui a fait suite aux rivalités religieuses, depuis le XVIème siècle), dans le monde issu de la Seconde Guerre Mondiale, entre trois regroupements principaux : soit le camp libéral, soit le camp socialiste, soit dans le camp des «! non-alignés! » issus de la décolonisation européenne. -Après 1989, bien que certaines logiques de puissance et certaines rivalités idéologiques demeurent entre certains Etats, des changements profonds ont eu lieu depuis 1945 : *D’une part, les anciennes puissances impériales et coloniales européennes ont renoncé à mener une politique de puissance, avec la constitution d’une Europe institutionnelle qui se renforce principalement sur le plan commercial et administratif. *D’autre part, la plupart des Etats du monde entier ont accepté le principe d’une politique internationale régulée par des institutions permettant d’appliquer le principe du multilatéralisme dans leurs relations réciproques : c’est l’avènement et le développement de l’ONU. *Enfin, les principes économiques et commerciaux du libéralisme ont triomphé dans les mentalités du monde entier, y compris dans les pays qui semblent manifester une idéologie anti-libérale, comme dans la Chine communiste (retournement de politique sous Deng Xiaoping à la fin des années 1970), ou comme dans certains pays arabo-musulmans qui exportent leurs ressources énergétiques afin de survivre ou de prospérer économiquement. -Pour donner un sens à la réalité nouvelle des relations internationales qui s’annonce, il fallut donc trouver un nouveau paradigme de compréhension générale de l’état du monde -Francis Fukuyama, durant l’été 1989, publie un article, «! La fin de l’histoire ?!» (dans la Revue The National Interest), dans lequel il annonce une nouvelle théorie qu’il développera dans un livre resté célèbre, en 1992 : La Fin de l’Histoire et le Dernier Homme = selon Fukuyama, et dans une perspective proche de celle de Hegel, la fin de la Guerre Froide annonce la victoire idéologique du camp libéral, et donc la fin de la lutte entre idéologies rivales : même si beaucoup d’autres conflits locaux naîtront à l’avenir, l’ensemble des consciences sont sur le point de reconnaître que la démocratie libérale constitue le meilleur régime politique possible. L’époque qui s’ouvre annonce la fin des conflits impérialistes et idéologiques, le règne du droit devant désormais englober l’ensemble des relations politiques intérieures aux Etats et des relations internationales, réalisant ainsi le projet kantien, à la fin du XVIIIème siècle, de voir se lever la possibilité d’un âge final «!cosmopolitique!». -Pour lui répondre, le professeur Samuel Huntington publie un article dans la même revue, en octobre 1989 : «! Pas de sortie, les erreurs du finisme! » = selon lui, la fin de la Guerre Froide n’implique ni le triomphe de la démocratie libérale, ni la fin des idéologies en tant que forces de

l’Histoire, notamment parce que nous assistons, non pas à la généralisation de la démocratie libérale, mais plutôt à la résurgence des identités traditionnelles. -Huntington va poursuivre son analyse, d’abord sous la forme d’un article, durant l’été 1993 (revue Foreign Affairs) : «! Le Choc des Civilisations ?!», puis sous la forme d’un livre, publié en 1996, Le Choc des Civilisations. On remarque qu’entre l’article et l’ouvrage, la forme interrogative a été supprimée du titre -tout comme cela avait été le cas chez Fukuyama, entre son article de 1989 et son ouvrage de 1992- : c’est bien un nouveau paradigme qui est ici proposé, et non plus seulement une nouvelle hypothèse. II. Les principes de la théorie du «!choc des civilisations!». -Huntington, pour appuyer sa théorie, s’inscrit dans une longue tradition intellectuelle visant à expliquer le comportement des individus et des peuples en les référant ultimement à des civilisations générales, dont le critère religieux est en général essentiel. -Les grands auteurs de cette tradition vont de Voltaire (Essai sur les moeurs et l’esprit des nations, 1756) et Herder (Idées pour une philosophie de l’histoire de l’humanité, 1884-1791), au XVIIIème siècle, à l’historien français Fernand Braudel (Grammaire des civilisations, 1987), en passant par le penseur allemand Oswald Spengler (Le Déclin de l’Occident, 1918 et 1922) et l’historien anglais Arnold Toynbee (Etude de l’histoire, 1934-1961). -Les principes de l’analyse de Huntington sont les suivants : *Après la Guerre Froide, le principe qui expliquera les futures alliances et les futures confrontations sur une large échelle, ne sera plus le principe idéologique et politique, mais le principe de l’identité culturelle. *La plus large échelle de regroupement culturel est la civilisation : les spécialistes ne s’accordent pas sur leur critère d’identification ni sur leur dénombrement, mais nous pouvons en compter au moins 6 majeures = la civilisation chinoise, la civilisation japonaise, la civilisation hindoue, la civilisation musulmane, la civilisation occidentale (au sein de laquelle on peut distinguer la souscivilisation orthodoxe et la sous-civilisation latino-américaine), et la civilisation africaine. Huntington admet, comme Fernand Braudel, que l’identité religieuse joue un rôle majeur dans la constitution d’une civilisation et dans la reconnaissance de l’identité culturelle des peuples et des individus. *L’Europe et, depuis le XXème siècle, l’Occident, ne sont plus les maîtres incontestés de l’ordre international : leur hégémonie a pris fin, car d’autres Etats venus de civilisations différentes viennent désormais leur faire concurrence, en se réclamant de leur particularité culturelle. La politique globale, ainsi, est désormais multipolaire et multicivilisationnelle. *Cette multipolarité ne se résorbera pas, malgré ce qu’affirme Fukuyama, dans une sorte de «! civilisation mondiale! » à venir, car il faut distinguer la modernisation effective de toutes les sociétés du monde et leur occidentalisation hypothétique, qui n’est pas effective. *Les deux civilisations qui sont amenées a entrer en rivalité avec la civilisation occidentale sont la civilisation musulmane (dont Fukuyama lui-même affirmait qu’elle pourrait être rétive à la démocratie libérale) et la civilisation chinoise. *Il importe, pour que ce choc des civilisations n’advienne pas, que l’Occident ressaisisse son unité civilisationnelle, sans pour autant confondre son unicité et son universalisme présumé : il faudra admettre la dimension multicivilisationnelle de la politique globale. III. Les critiques de la thèse de Huntington. -La thèse de Huntington fut plutôt mal reçue aux Etats-Unis, dans les années 1990, ainsi que dans le reste des pays occidentaux, notamment en France.

-Néanmoins, Huntington intéressa les milieux gouvernementaux américains ; sa thèse devint réellement médiatique après les attentats du 11 septembre 2001, et elle reçu une véritable audience dans les pays arabo-musulmans, car l’invasion du Koweït par les forces occidentales, en 1990-1991, avait déjà été vécue comme une attaque de l’Occident contre les pays arabomusulmans. -Nous pouvons retenir quelques critiques principales faites à la thèse de Huntington, que j’emprunte à deux ouvrages différents : l’un, du philosophe Marc Crépon, qui se nomme L’Imposture du choc des civilisations (2002) ; l’autre, du spécialiste en Relations internationales Laurent PalouLacoste, Le Choc des civilisations. Fantasme ou réalité ? (2009). -La thèse du CC se fonde sur le refus de l’idée d’une «!fin de l’histoire!» ; cela implique toute une série de conséquences : *Refus de l’universalisme occidental : le régime républicain et la démocratie libérale, la multilatéralité des relations inter-étatiques par les institutions internationales, les principes des droits de l’homme, la constitution de sociétés multiculturelles unies par les principes du droit et de la laïcité, ne sont pas des principes universels. *Nécessité de trouver, pour l’Occident en général, et pour l’Amérique en particulier, un nouvel ennemi après l’URSS : ce seront deux civilisations extra-occidentales, promises à être de sérieuses rivales à l’hégémonie américaine = la civilisation musulmane et la civilisation chinoise. -Les objections que l’on peut adresser à Huntington : *Son ouvrage ne viserait pas à décrire le monde à venir, mais à le susciter idéologiquement : la théorie du CC serait une prophétie auto-réalisatrice, notamment par l’influence qu’elle va avoir auprès de l’administration néo-conservatrice américaine gravitant autour du président G. W. Bush, durant les années 2000. *La théorie du CC repose sur une tradition intellectuelle conservatrice fondée sur la peur : cette peur serait celle du déclin de l’Occident, et remonterait aux débuts du romantisme, au XIXème siècle. Huntington transforme la question politique «! Que pouvons-nous espérer! ?! », en question psychologique «! De qui devons-nous avoir peur ?! ». On transforme donc une analyse objective en idéologie projective, conforme aux fondements historiques de la géopolitique, née dans les étatsmajors allemands et anglais au tournant du XXème siècle. Cette théorisation pèche par excès de généralisation et d’extrapolation théoriques. *L’idée du «!déclin!» est une notion subjective, et non un concept scientifique : car il correspond à une évaluation subjective de l’évolution d’une civilisation ; le déclin désigne l’évolution d’une civilisation qui n’est plus conforme à l’idée que l’on s’était faite de cette civilisation. Le changement n’implique pas le déclin, sauf si l’on promeut l’immobilisme et la fermeture des échanges comme une vertu en soi. Les civilisations ne déclinent pas, mais évoluent et se transforment. *L’anti-universalisme de Huntington sape les fondements de l’universalisme cosmopolitique de la pensée européenne, remontant aux Lumières du XVIIIème siècle, notamment à Kant. On remplace ainsi la souveraineté de la raison par celle de l’identité culturelle. Cela suppose que ni les individus ni les peuples ne se donneraient le choix de choisir leur propre identité culturelle ou leurs alliances politiques : on supprimerait le libre arbitre de la conscience humaine, pour lui substituter des logiques identitaires supposées transcendantes. *Faire de la civilisation une entité politiquement cohérente revient à l’homogénéiser sur le plan idéologique et politique : or, les sociétés contemporaines sont fort complexes, et les déterminations identitaires, civilisationnelles et religieuses ne constituent que l’une des composantes de leurs

stratégies internationales ; on peut retenir l’exemple de l’Arabie Saoudite, par exemple, qui est un etat très identitaire et très marqué par la culture wahhabite dont elle se réclame ; cela ne l’empêche pas d’avoir noué une alliance diplomatique et économique très forte avec les Etats-Unis, leur «! ennemi!» idéologique naturel, tout en s’opposant militairement face à d’autres pays musulmans qui lui sont voisins, comme l’Iran. Le vrai critère pertinent pour analyse les relations internationales reste la stratégie de puissance de la part des Etats, dans un contexte de problématiques renouvelées : bipolarisation mondiale et compétition militaire entre les Etats-Unis et la Chine, course mondiale à la captation des énergies, lutte contre le terrorisme international, extension de nouvelles influences néo-impériales (Russie, Turquie, Chine, Iran, etc.), etc.. *Les civilisations, loin de constituer des totalités fermées sur elles-mêmes, sont pénétrées de leurs relations avec les autres civilisations : sans cette interpénétration réciproque, elles se scléroseraient sans doute. *Le terrorisme islamique ne s’oppose pas à une civilisation particulière que serait la civilisation occidentale, mais plutôt à la civilisation en tant que telle, en tant que patrimoine commun de l’humanité, fondée sur la sédimentation collective de connaissances matérielles et techniques, ainsi que d’une mémoire commune accumulées pendant des siècles. La destruction, par le terrorisme international, de certains lieux appartenant au patrimoine mondial (par exemple la destruction des Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan par les talibans, en 2001, la destruction de mausolées musulmans multiséculaires à Tombouctou par Ansar Dine, ou encore le dynamitage de multiples monuments datant de l’époque romaine à Palmyre par Daech durant les années 2010), sont indépendants de leur appartenance à une culture particulière. *Huntington substitue, enfin, l’émotion irrationnelle de la peur à la culture universelle du dialogue et du droit international. -Les contre-arguments que l’on peut opposer à ces critiques : *La théorie du CC permet de rendre compte de certaines logiques qui se déploient aujourd’hui à l’échelle du monde entier. C’est là la seule ambition de Huntington, que l’on lit de manière souvent simpliste et superficielle : ce qu’il affirme, c’est que sa théorie pourrait ne valoir que pour quelques décennies, et non de manière définitive, et qu’elle ne permet de décrire que certaines logiques globales, et non l’ensemble des relations internationales. *On ne peut pas reprocher à Huntington d’homogénéiser les civilisations, puisque cette logique d’homogénéisation, selon lui, ne sera pas une donnée de fait, mais une construction idéologique qui pourrait se déployer à l’échelle internationale à l’avenir. *La notion d’ «! interpénétration! » des civilisations peut être critiquée à son tour : d’une part, parce que cette interpénétration s’est souvent accomplie en faveur de guerres de conquêtes et de colonisation des territoires et des esprits ; d’autre part, parce que certaines civilisations ont pu se développer et prospérer longtemps en toute indépendance politique et civilisationnelle : ex. le Japon de l’ère Edo (XVIIème-XIXème siècle), ou encore la Chine impériale. *L’Islam n’est pas perçu comme un adversaire de la pensée occidentale, que par Huntington ; même le penseur universaliste Fukuyama émettait, dans les années 1990, une analyse réservée quant à l’expansion de la démocratie libérale sur les territoires musulmans. L’extension et l’intensification du terrorisme islamiste international ne vient pas invalider la théorie de Huntington, même si elles ne la valident pas non plus de manière définitive.

*Contredire la théorie de Huntington revient à valider à nouveau la thèse suivant laquelle l’Occident serait historiquement porteur de l’universalisme : or, c’est là une idée qui n’est pas nécessairement acceptée partout dans le monde, surtout dans le contexte d’une colonisation récente qui ne s’est pas déroulée de manière heureuse ni pacifiée. L’universalisme occidental ne va pas nécessairement de soi pour tout le monde. = La théorie du «! choc des civilisations! » est une doctrine théoriquement discutable : elle ne permet pas de comprendre la totalité des relations internationales dans leur complexité, et elle suppose l’abandon de l’idée d’une universalité de la pensée occidentale moderne. = Cette théorie permet, néanmoins, de comprendre au nom de quelle logique certains conflits contemporains se sont noués, et qui étaient encore inédits jusqu’à la fin de la Guerre Froide....


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