Hannah Arendt et la banalité du mal (TD 11) PDF

Title Hannah Arendt et la banalité du mal (TD 11)
Course Lecture de textes philosophiques
Institution Université de Paris-Cité
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Ce document contient un cours sur Hannah Arendt et plus particulièrement sur sa théorie de la "banalité du mal".
Ce cours était donné par P. Coudurier...


Description

Hannah Arendt et la banalité du mal Hannah Arendt est née en 1906 et est morte en 1975. C’était une politologue, philosophe et journaliste allemande. Ses livres les plus célèbres sont Les Origines du totalitarisme (1951), Condition de l'homme moderne (1958), La Crise de la culture (1961), Eichmann à Jérusalem. Hannah Arendt est de confession juive et c’est une élève d’Heidegger. Elle est donc une victime désignée par les lois raciales et l’élève d’un penseur dont les liens avec le nazisme sont ambigus. Réfugiée en France en 1933, elle rencontre des intellectuels français tels Jean-Paul Sartre et Aron. Sous le gouvernement de Vichy, elle est arrêtée par la police française à la suite de la rafle du Vel’ d’Hiv’ car elle est apatride. Internée dans le camp de Gurs, elle s’en évade et s’exile aux Etats-Unis. La réception de la philosophie d’Hannah Arendt sera ensuite assez confidentielle jusqu’à la parution de la version française d’Eichmann à Jérusalem en 1966. En 1952 elle peine à trouver un éditeur français pour une traduction de The Origins of totalitarianism. Elle y définit le totalitarisme ainsi : société éclatée, parti unique, force de l’idéologie, terreur et propagande.

Explication du texte de Hannah Arendt. Thème : la nature banale du mal chez Eichmann Objectif : Décrire une nouvelle forme de mal. Thèse : Il existe un type de mal absolu qui n’est pas spectaculaire mais banal et extrêmement dangereux car il repose sur une absence de raison. Problématique : Quelles sont les caractéristiques de ce mal banal, inédit dans l’histoire. Annette Wieviorka (historienne) : « Adolf Eichmann est aussi un assassin de type nouveau. Un assassin qui n’a jamais tué personne de ses propres mains. Un assassin qui ne supporte pas la vue du sang. Un chef de service ponctuel […] incapable de distinguer le bien du mal. »

I – Un mal non radical et sans motif (l.1-5). Ce qui a frappé Arendt pendant le procès c’est l’insignifiance de l’accusé, la disproportion entre la monstruosité des crimes commis et la personnalité ordinaire de ceux qui les ont commis. Avec ce procès, nous sommes face à une nouvelle espèce de crime qui rend caduques toutes les explications théologiques ou philosophiques avancées jusqu’ici pour rendre compte du mal. Eichmann ne présente pas de méchanceté particulière, pas de pathologie ou de conviction idéologique de l’argent.

II – Manque d’originalité et de pensée (l.5-14).

Hannah Arendt et la banalité du mal Pourquoi Eichmann banal ? Il semble incapable de juger ses propres actes, de réfléchir aux conséquences qu’ils ont pu avoir, de soumettre le contenu de ses actes à la question de leur sens, d’éprouver la souffrance qu’il a en face de lui. Il utilise un langage administratif, s’exprime par clichés qui sont des mécanismes de défense contre les mots d’autrui, contre la présence d’autrui et contre la réalité même. Il présente une incapacité à s’exprimer, à penser, et notamment à penser du point de vue d’autrui. Cette absence de pensée le rend banal. La capacité à distinguer le bien du mal est-elle liée à l’activité de penser ? Arendt ne sousentend pas que la capacité à distinguer le bien du mal serait réservée à une élite de penseurs. Au contraire, pour Arendt, on détient tous le sens commun. Eichmann n’actualise pas cette aptitude à penser qui définit l’humanité car il ne respecte aucune des trois maximes de ce sens commun : - il est incapable de penser par lui-même ; - il est incapable de prendre en considération les autres ; - il ne cesse de se contredire. L’activité de penser et la capacité à sombrer dans le mal sont donc étroitement liées chez Arendt. C’est une pure absence de pensée qui a conduit Eichmann à devenir l’un des plus grands criminels de son époque. Cependant, Arendt n’explique pas et ne justifie pas les actes commis par Eichmann. Elle montre qu’Eichmann devient indifférent au mal, incapable de s’y opposer ou de lui résister. Il a fait plus de mal que tous les instincts destructeurs qui sont peut-être inhérents à l’homme, selon Arendt.

III – La rhétorique du mal (l.15-28). Eichmann s’exprime par clichés et par répétitions. Sa rhétorique est vide, imprégnée par le langage totalitaire. Le réel est effacé par des mots : « Solution finale, évacuation, traitement spécial » remplacent le mot « tuerie ». La déportation est rebaptisée « réinstallation ». Eichmann a parfois oublié ce langage codé lors du procès et a prononcé les mots « tuerie », « crimes légalisés par l’Etat » : il a alors perdu la rhétorique nazie.

I – Eichmann. Le 11 mai 1960, Adolf Eichmann, ancien représentant de commerce entré dans la S.S en 1932, responsable, à partir de 1941 de la section de l’office central de sécurité du Reich chargé de l’extermination des juifs d’Europe, réfugié en Argentine depuis 1954, est arrêté par les services secrets israéliens dans la banlieue de Buenos Aires.

Hannah Arendt et la banalité du mal Il comparait devant le tribunal de Jérusalem un an après (11 avril 1961) pour répondre de 15 chefs d’accusation, dont ceux d’avoir commis des crimes contre le peuple juif, des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour Hannah Arendt, émigrée aux Etats-Unis depuis 1941, qui a fui le régime nazi en 1933 pour se réfugier en France où elle a réussi à s’échapper d’un camp d’internement, suivre ce procès s’impose comme un devoir et une nécessité. Son compte rendu paraît en 5 livraisons dans le New Yorker entre février et mars 1963 et suscite immédiatement une violente controverse qui se concentre sur 2 points : - la thèse d’une participation des conseils juifs à l’extermination de leur propre peuple ; - La manière dont elle qualifie l’accusé lui-même, ni un monstre ni un pervers, mais un homme normal (ainsi que le sous-titre de l’ouvrage : « rapport sur la banalité du mal »). Cela provoque l’indignation chez les intellectuels juifs. Arendt se trouve accusée d’inverser les rôles, de transformer les victimes innocentes en complices des criminels et de banaliser les crimes nazis en montrant que n’importe qui aurait pu les commettre. Arendt répond à ces accusations dans le post scriptum de la seconde édition de l’ouvrage et aussi dans le premier tome de La Vie de l’esprit (La Pensée), ouvrage interrompu par la mort de l’auteur en 1975. Avec la « banalité du mal », Arendt n’entend ni une théorie ni une doctrine (ce n’est pas un traité théorique sur la nature du mal) mais quelque chose de factuel.

II – Le mal totalitaire. La nature des crimes commis au cours du XXème siècle doit nous amener, pour Arendt, à faire de la réflexion sur le mal le préalable indispensable à toute pensée pro moderne. L’ampleur de ces crimes (évènements qui ont eu lieu en Russie soviétique entre 1934 et 1937 et dans l’Allemagne hitlérienne entre 1941 et 1945) et la dimension arbitraire ou gratuite de ces massacres rendent caduques toutes nos grilles d’analyse. Ces crimes ne rentrent pas dans le cadre des classifications traditionnelles et nous ne disposons pas des outils juridiques pour les juger. La perspective de punition ou de pardon est donc impossible. « Crime » ? Mais production massive de cadavres. « Meurtres » ? Destruction non de vies mais de l’existence et effacement des traces des crimes. Arendt se donne donc comme tâche dans Les Origines du totalitarisme (1951) de définir la nature de ce nouveau type de régime que l’on ne peut assimiler ni à une tyrannie ni à un gouvernement autoritaire. Le but de cet ouvrage est de comprendre ce qui s’est passé et comment de tels crimes ont été possibles.

Hannah Arendt et la banalité du mal Comprendre la radicalité de ce mal nécessite de comprendre ce qui fait la force du régime totalitaire, c’est-à-dire sa capacité à exercer une domination totale sur les individus, tout en parvenant à rendre les hommes superflus. Processus d’extermination passe par 3 étapes : - Tuer en l’homme la personne juridique en mettant hors de la loi de leur propre pays certaines catégories de la population. - Tuer en l’homme la personne morale en rendant impossible toute décision de la conscience, tout choix relatif au bien ou au mal (proposer aux individu le choix entre le meurtre et le meurtre) - Destruction de la singularité et de la spontanéité. Ces trois étapes constituent le processus par lequel le régime totalitaire parvient à rendre les hommes superflus en éliminant tout ce qui excède les réflexes instinctifs d’une espèce animale.

III – Hannah Arendt et Kant : mal radical et mal banal. Hannah Arendt ne veut pas pardonner mais comprendre. Elle cherche à savoir dans ses travaux comment des hommes ordinaires peuvent décider de régir l’humanité par l’usage de la terreur et peuvent se mouvoir en bourreaux. Préface d’une réédition des Origines du totalitarisme en 1970 : « les questions en compagnie desquelles ma génération avait été forcée de vivre la meilleure part de sa vie adulte : Que s’est-il passé ? Pourquoi cela s’est-il passé ? Comment cela a-t-il été possible ? » Elle propose une analyse philosophique et non morale du mal. Elle refuse de poser des concepts philosophiques déjà fabriqués sur la réalité du mal : le mal nazi est inédit. Elle refuse deux attitudes qui naissent dans l’après-guerre : celle de la diabolisation et celle de la culpabilité généralisée. Au début, au moment de la rédaction des Origines du totalitarisme (publié pour la première fois en 48), elle se réfère à l’approche kantienne du mal radical. Pour elle, Kant est l’un des rares philosophes à avoir cherché l’origine du mal en l’homme, à l’écart des explications théologiques, mythiques, mythologiques, littéraires qui tendent à faire du mal une fatalité. RAPPEL : Pour Kant, il existe un mal radical qui se caractérise par la décision que prend une volonté individuelle de soumettre ses actes à une maxime générale mauvaise sur le plan moral. L’homme pour Kant n’est pas fondamentalement mauvais, mais choisit délibérément, à un moment donné, de conformer ses actes à un précepte dont il a conscience qu’il va à l’encontre de la morale collective. Pour Hannah Arendt, le système totalitaire nazi repose sur cette application du mal radical, dans la mesure où les nazis agissent sous l’impulsion de cette maxime, qui ôte chez eux toute distinction du bien et du mal.

Hannah Arendt et la banalité du mal Si en 1948 Hannah Arendt se range à la représentation de Kant en tirant même l’idée de mal radical du côté de la faute radicale, sa présence au procès Eichmann entraînera chez elle une nouvelle représentation du mal. Elle comprend avec le procès que seul le Bien est radical, entier. Le mal, lui, admet des degrés, mais il est toujours extrême. Il n’est pas radical car il n’a pas de profondeur. Il se propage comme une épidémie, et en cela il est un problème insoluble pour la pensée car la pensée explore les profondeurs. L’absence de pensée conduit à la déshumanisation : réification de l’humain. Hannah Arendt unit mal radical et mal absolu, or Kant fait du mal un choix, l’exercice de la liberté.

IV – La terreur comme vecteur de « désolation » (loneliness). Les deux piliers du nazisme sont pour Hannah Arendt la terreur et les camps. Sous le nazisme, tout le monde est suspect à tous, le meurtre est légitime, sans raison valable, la loi instaurée est une contre-loi à laquelle il faut se plier même si l’on n’en comprend pas les fondements. L’obéissance est le maitre-mot de ce monde absurde. L’internement dans les camps engendre le sentiment de non-appartenance au monde. Les camps créent un sentiment de désolation car au sein du camp l’homme n’est plus humain. L’idéologie nazie rend les hommes superflus. Ils sont rabaissés à leurs fonctions primaires. Le camp crée un hors-temps, un hors-monde, un monde où tout le monde est coupable or les déportés n’ont pour tort que le fait d’exister, d’être-là. Pour Hannah Arendt, ce sentiment de désolation perdure après la libération des camps : il y a une non adéquation de l’ancien déporté avec ses proches qui ne comprennent pas son expérience. L’expérience concentrationnaire reste fondamentalement dissociée du réel. Dans les camps tout est possible en matière de violence. Le camp ne produit rien, n’a pas d’utilité, ne fait pas de profit (différent des camps de prisonniers traditionnels). Hannah Arendt distingue dans une approche dantesque les camps : - Hadès = camps de déplacés ; - Purgatoire = camps de travail russes ; - Enfer = camps nazis. La rhétorique nazie est faite de syllogismes et de mensonges (travail, désinfection, libération possible). Arendt craint que cette rhétorique ait infecté les sociétés. Parallèlement, Levi craint un retour du monde des déportés.

V – Hannah Arendt et Kafka. Hannah Arendt écrit un premier article sur Kafka en 1944. En 1947, un autre article est publié dans lequel elle démontre que l’œuvre de Kafka, auteur juif, rencontre la déportation des Juifs d’Allemagne et de Russie durant la Seconde Guerre mondiale, accusés d’une faute inconnue, comme le sont les héros de Kafka.

Hannah Arendt et la banalité du mal Elle étudie la figure du paria juif. Elle étudie le rapport bourreau-victime et une vision élargie de la soumission. L’homme est soumis à la mécanisation du monde et à des lois qu’il ne comprend pas. Le grand sujet de Kafka pour Hannah Arendt c’est la découverte que l’individu lui-même est un paria : quelqu'un qui n’est jamais intégré comme il le voudrait. Si Le Château est inachevé, Hannah Arendt révèle que Kafka aurait transmis oralement son désir de faire mourir K… d’épuisement, de mort naturelle. « La terreur de La Colonie pénitentiaire n’a rien perdu de son immédiateté avec la réalité des chambres à gaz » Arendt, La tradition cachée. L’horreur, réelle comme fictionnelle, n’est pas acceptée par Hannah Arendt....


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