Madame du Châtelet, Discours sur le bonheur (1779) PDF

Title Madame du Châtelet, Discours sur le bonheur (1779)
Author Louison Mauxion
Course De L'expérience (féminine): Französische Schriftstellerinnen des 18. Jahrhunderts
Institution Freie Universität Berlin
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Madame du Châtelet, Discours sur le bonheur (1779)

Introduction : Seule œuvre personnelle de Madame du Châtelet, ce court essai a été écrit entre 1744 et 1746 par Madame du Châtelet, mais publié post-parthum en 1779. Ce discours n'était donc pas destiné à la publication, ce qui lui permet d’adopter une parole plus libérée. Emilie du Châtelet ou Madame du Châtelet, née le 17 décembre 1706 et décédée le 10 septembre 1749, était une femme de lettres mais également une scientifique qui étudiait les mathématiques et la physique. Son essai est un discours qui traite de la condition féminine et développe le grand thème philosophique du bonheur personnel, thème fréquemment étudié à cette époque. Cependant, son essai se démarque car il offre une nouvelle perspective sur le thème du bonheur personnel, la perspective d’une femme évoluant dans un monde crée par et pour les hommes. Son œuvre s'inscrit dans le mouvement des Lumières et nous amène à se poser la question suivante : En quoi l'argumentation de Madame du Châtelet est-elle celle d'une femme des Lumières ? Nous verrons que le discours de Madame du Châtelet est un discours argumenté, qui fait l'éloge de la passion, qui est un plaidoyer pour les femmes et qui a recours à l'expérience comme elle est présentée dans l'Encyclopédie.

I – Un discours argumenté “Discours sur le bonheur” est donc un discours argumenté dans lequel Madame du Châtelet se livre sur son vécu et ses expériences personnelles afin de proposer sa propre vision quant aux moyens qui permettent d’accéder au bonheur. Son texte cherche clairement à convaincre le lectorat du bien-fondé de ses idées. Emilie du Châtelet a recours à diverses méthodes afin d’argumenter son discours, telles que l’énonciation de sa thèse, la structure logique de son discours, l’utilisation de son expérience personnelle comme “base” de sa théorie, la forte implication du lectorat dans son propos ainsi que la discréditation de ses adversaires. A) Énonciation de sa thèse Son discours commence donc par sa thèse principale, qui est :

« On croit communément qu’il est difficile d’être heureux, & on n’a que trop raison de le croire ; mais il serait plus aisé de le devenir, si chez les hommes les réflexions & le plan de conduite en précédoient les actions ». Elle pose donc les bases sur lesquelles son discours est construit, ce qui lui permettra ensuite d’argumenter son propos autour de sa thèse principale.

B) Un discours logique

Afin que son lectorat adhère au propos, du Châtelet produit un discours logique truffé de connecteurs qui lui permettent d’apporter une certaine structure au texte. On retrouve donc de nombreux connecteurs tels que « donc, parce que, et, ou, mais ». Sans entrer dans trop de détails, on peut tout de même noter que Madame du Châtelet respecte les trois étapes nécessaires à l’élaboration d’un discours écrit. - L’inventio, qui consiste en des arguments, des idées et des éléments à mettre en perspective dans le discours - Le dispositio, qui consiste en la structuration, le plan et l’organisation des éléments choisis dans le but de leur donner un maximum d’efficacité - L’elocutio, qui consiste en la mise en mots, le style afin de donner une apparence séduisante au discours

C) Utilisation de son expérience personnelle comme “base” de sa théorie

Comme dit précédemment, Emilie du Châtelet nous fait part de son expérience personnelle autour du thème du bonheur. Afin d’argumenter son discours, elle a donc fréquemment recours à son propre vécu. On retrouve donc de nombreuses marques de la 1 ère personne, qu’elles soient au singulier ou au pluriel : « je, moi, notre, nous »… Elle donne par ailleurs des « conseils avisés » au lecteur lorsqu’elle énonce ce qu’elle perçoit comme nécessaire et irréfutable : « il est certain que », « il faut »... Afin d’étoffer sa thèse principale, Emilie du Châtelet utilise les leçons qu’elle a tiré de son expérience personnelle, leçons qu’elle énonce ensuite comme des “conseils avisés”. D) Forte implication du lectorat

Par divers processus, Emilie du Châtelet ne cesse d’impliquer son lectorat dans son discours. Elle a par exemple recours à des généralisations/vérités générales dans lesquelles le lectorat se retrouve impliqué « à son insu ». L'auteur commence par exemple son texte par une tournure de phrase - « on croit communément » -, qui permet à son lectorat d’être impliqué et d’adhérer au propos rapidement : il s’agit ici de bon sens, d’une vérité irréfutable.

Elle s’adresse par ailleurs fréquemment au lecteur en employant le pronom « nous », et donc en l’englobant dans son propos. On retrouve ceci par exemple à la page 140 (?) lorsque Châtelet écrit : - « Une autre source de bonheur, c’est d’être exempt de préjugés, & il ne tient qu’à nous de nous en défaire ». - Non : l’illusion ne nous fait pas voir, à la vérité, les objets entièrement tels qu’ils doivent être pour nous donner des sentiments agréables, elle les accommode à notre nature ». E) Discréditation de ses adversaires : Emilie du Châtelet n’hésite pas à énoncer la pensée dominante du 17-18 ème siècle, pensée qu’elle va ensuite contredire afin de valider sa propre hypothèse. L’anticipation des commentaires du parti adverse permet une sorte de « dialogue » et d’opposition dans son discours : celle des moralistes qui cherchent une vie sans passions, sans péchés et un bonheur au paradis et sa propre vision. - Ex : « Mais, me dira-t-on ? » Elle n’hésite par ailleurs pas à utiliser le procédé du parallélisme qui permet l’opposition de deux syntagmes. - Ex : « Les gens heureux… ; les malheureux »

II – L'éloge de la passion La thèse d'ensemble de ce discours est facilement identifiable : il faut avoir des passions pour être heureux. Néanmoins, dans ce discours, Emilie du Châtelet ne s'adresse qu'à des lecteurs spécifiques : "Je n'écris que pour ce qu'on appelle les gens du monde, c'est-à-dire pour ceux qui sont nés avec une fortune toute faite [...].". Selon Madame du Châtelet, la clé du bonheur se trouve dans les passions : “Il faut, pour être heureux, [...] avoir des goûts et des passions [...].". Elle ne parle pas spécifiquement de passion amoureuse mais aussi de l'intérêt très vif que l'on a pour quelque chose. Emilie n'envisage la vie que sous les couleurs de la passion, de toutes les passions. Elle pense que l' "on n'est heureux que par des goûts et des passions satisfaites.". Dans son argumentation, Madame du Châtelet distingue principalement trois grandes passions qui sont également présentes dans sa vie : le jeu, l'amour et l'étude.

A) Le jeu Le jeu est une passion très ancrée dans la vie de Madame du Châtelet. En effet, elle aime le jeu à la folie surtout les jeux qui arrivent à la mettre en danger. : on parle des jeux de cartes mais aussi des jeux amoureux. Pour Madame du Châtelet, la passion du jeu tire sa source dans l'amour de l'argent et elle en fait l'éloge « notre âme veut être remuée par l'espérance ou la crainte ; elle n'est heureuse que par les choses qui lui font sentir son existence. Or le jeu nous met perpétuellement aux prises avec ces deux passions, et tient, par conséquent, notre âme dans une émotion qui est un des grands principes du bonheur qui soient en nous. ». Dans son discours, elle évoque bien son lien avec cette passion et que celle-ci l'a même « consolé de ne pas être riche ».

B) L'amour La passion du jeu n'est donc pas la seule passion d'Emilie du Châtelet. En effet, "la passion, qui peut nous donner de plus grands plaisirs et nous rendre le plus heureux, met entièrement notre bonheur dans la dépendance des autres: on voit bien que je veux parler de l'amour.". Selon du Châtelet, les personnes sont capables de trouver la passion dans l'amour, c'est la seule passion qui fasse ressentir aux gens de la dépendance aux autres, mais "cette passion est peut-être la seule qui puisse nous faire désirer de vivre, et nous engager à remercier l'auteur de la nature, quel qu'il soit, de nous avoir donné l'existence. ». Dans sa vie personnelle, Madame du Châtelet a entretenu plusieurs liaisons notamment avec Voltaire où elle "jouissait du plaisir d'aimer et de l'illusion de se croire aimé.". Néanmoins, à la fin de son discours, Madame du Châtelet rappelle que parfois pour être heureux, il faut savoir quitter cet amour. "Il faut bien quitter l'amour un jour, [...] et ce jour doit être celui où il cesse de nous rendre heureux." Et c'est ce qu'elle à faire avec Voltaire lorsque celui-ci commençait à la tromper.

C) L'étude La passion que Madame du Châtelet a entretenu avec Voltaire l'a mené vers une autre passion : la passion de l'étude. "Par cette raison d'indépendance, l'amour de l'étude est de toutes les passions celle qui contribue le plus à notre bonheur..”

A travers les mathématiques, les sciences et la physique, Madame du Châtelet a expérimenté la passion de l'étude. Et c'est Voltaire qui l'a initié à ce bonheur. Pour Emilie, cette passion qui « est une source de plaisirs inépuisable », englobe également la passion de la gloire qui est très majoritairement accordée aux hommes. Pour elle, il est difficile d'être heureux sans avoir étudié, bien que ce soit possible et elle reprend cette citation de Cicéron pour se justifier "les plaisirs des sens et ceux du coeur sont, sans doute, au-dessus de ceux de l'étude; il n'est pas nécessaire d'étudier pour être heureux; mais il l'est peut-être de se sentir en soi cette ressource et cet appui.".

III – Un plaidoyer pour les femmes Afin de montrer que Madame du Châtelet s'inscrit dans le monde des Lumières, il est important de parler du caractère de plaidoirie pour les femmes de son essai. Quelle est la condition féminine pendant ce siècle des Lumières ? Dans la société du 18ème siècle, les femmes ne sont pas considérées comme de vrais individus pour les hommes. Elles doivent se contenter d'une activité domestique, extérieure à la société, et sont donc considérées comme des mères ou des ménagères. Dans cet essai, Madame du Châtelet met en avant une véritable plaidoirie à l'intention des femmes. Elle y compare les hommes et les femmes, parle de l'éducation des femmes et de leur manque d'étude et enfin, elle reprend la question de la gloire féminine et amène sa propre interprétation de la condition féminine au 18e siècle.

A) La comparaison de l'homme et de la femme Il y a une comparaison de l'homme et de la femme lorsque du Châtelet dit "C'est cette moitié [du monde] justement à qui l'éducation en ôte les moyens, et en rend le goût impossible.". La moitié du monde ce sont les femmes et celles-ci ont plus besoin que les hommes d'étudier car leur éducation fait qu'elles ne peuvent pas accéder aux mêmes passions que les hommes. Cette comparaison de l'homme et de la femme se fait également à travers l'énonciation des fonctions qu'occupent les hommes "son habileté dans l'art de la guerre, ou par ses talents pour le gouvernement, ou les négociations." tandis que les femmes ne peuvent qu'étudier, seulement si leur mari les y autorise. Madame du Châtelet a pour but de démontrer cela dans son essai.

B) L'éducation des femmes Pour Madame du Châtelet, le seul moyen pour une femme de se libérer de l'emprise des hommes est l'étude car "Les hommes ont une infinité de ressources pour être heureux, qui manquent entièrement aux femmes.". La fait d'étudier aide à l'indépendance de la Femme, c'est ce qui l'amènera au bonheur "Enfin, songeons à cultiver le goût de l'étude, ce goût qui ne fait dépendre notre bonheur que de nous-mêmes.". Et dans sa citation de Cicéron vue plut tôt, Madame du Châtelet rappelle que les études sont une « ressource » et un « appui » pour être heureux bien que ce ne soit pas nécessaire.

C) La gloire La revendication pour la place des femmes dans la société se fait également à travers ce qu'on appelle la « gloire ». La soif de gloire se fait ressentir à travers la passion des études. En effet, une femme pour connaître le « goût » de la gloire a besoin d'étudier car c'est le seul moyen pour elle d'y accéder : "[Les hommes] ont bien d'autres moyens d'arriver à la gloire.". Dans une époque où l'anonymat littéraire est de rigueur pour les femmes, la gloire est loin de leur portée voir même inaccessible. Et c'est ce que dénonce Madame du Châtelet : "mais les femmes sont exclues, par leur état, de toute espèce de gloire, et quand, par hasard, il s'en trouve quelqu'une qui est née avec une âme assez élevée, il ne lui reste que l'étude pour la consoler de toutes les exclusions et de toutes les dépendances auxquelles elle se trouve condamnée par état." Emilie du Châtelet résume en une phrase la condition des Femmes au XVIIIe siècle en matière de reconnaissance artistique et littéraire ou voir même politique.

IV – Le recours à l'Expérience Le discours sur le bonheur est un essai, qui je rappelle, n'était pas destiné à la publication par Madame du Châtelet. Cet essai aurait pu être interprété comme un journal intime : Emilie du Châtelet explique sa version du bonheur personnel selon sa propre expérience et du savoir qui en a découlé.

A) L'expérience Rappelons la définition de l’expérience dans le sens philosophique par l’Encyclopédie: “signifie communément la connoissance acquise par un long usage de la vie, jointe aux réflexions que l’on a faites sur ce qu’on a vû, & sur ce qui nous est arrivé de bien & de mal.” L’énonciation des trois passions que sont le jeu, l’amour et l’étude font le lien direct avec la propre vie de la marquise. Selon elle et selon sa propre expérience, ces trois passions permettent le plus d’accéder au bonheur: -

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Madame du Châtelet a passé sa vie à étudier, notamment les mathématiques et la physique car cela lui permettait d’accéder à l’indépendance. Madame du Châtelet s’est adonnée à la passion de l’amour notamment avec Voltaire et dans son essai, elle évoque cet amour et explique également que pour accéder au bonheur il est parfois nécessaire de laisser cet amour, de quitter la personne qui ne ressent plus de passion pour elle. C’est sa propre expérience avec Voltaire qu’elle évoque. La Marquise du Châtelet était également une grande adepte des jeux. Néanmoins, elle précise que pour être heureux, il est important de savoir modérer et réserver cette passion pour la vieillesse. Dans les pages 57 et 58 de l’édition Rivages poche, Madame du Châtelet utilise principalement la première personne du singulier et évoque donc sa passion pour le jeu. Une passion qui l’a souvent aidé à se sentir vivante et l’a aidé à atteindre le bonheur.

B) Le savoir De ces expériences découle donc des savoirs. Des savoirs que la Marquise n’hésite pas à partager à propos du bonheur personnel. Tous ces savoirs ont été évoqués dans la partie sur les passions comme par exemple le fait de quitter son amant si celui-ci ne vous aime plus, ou encore le fait de se modérer pour la passion des jeux, mais aussi le fait d’étudier car c’est la seule manière pour les femmes de goûter à la passion de la gloire. Ces expériences amènent Madame du Châtelet à partager sa vision du bonheur bien que son essai n’eut pas comme but d’être publié.

Conclusion: L’oeuvre Discours sur le bonheur de Madame du Châtelet s’agit donc d’un essai épicurien du point de vue d’une femme des Lumières dans une société patriarcale au sein de laquelle les

femmes sont très peu considerées. A travers un discours argumenté et un plaidoyer pour les femmes, elle se sert de son expérience tout en parsemant l’écrit de vérités universelles auxquelles n’importe quel lecteur pourrait s’identifier. La Marquise estime que les goûts et les passions énoncés précédemment sont la clé d’un bonheur certain si l’on sait les gérer et précise les limites qui les gâcheraient. On lit ainsi à la fin de l’oeuvre:

“Tâchons donc de nous bien porter, de n'avoir point de préjugés, d'avoir des passions, de les faire servir à notre bonheur, de remplacer nos passions par des goûts, de conserver précieusement nos illusions, d'être vertueux, de ne jamais nous repentir, d'éloigner de nous les idées tristes, et de ne jamais permettre à notre cœur de conserver une étincelle de goût pour quelqu'un dont le goût diminue et qui cesse de nous aimer. Il faut bien quitter l'amour un jour, pour peu qu'on vieillisse, et ce jour doit être celui où il cesse de nous rendre heureux. Enfin, songeons à cultiver le goût de l'étude, ce goût qui ne fait dépendre notre bonheur que de nous-mêmes. Préservons-nous de l'ambition, et surtout sachons bien ce que nous voulons être; décidons-nous sur la route que nous voulons prendre pour passer notre vie, et tâchons de la semer de fleurs.”...


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