Art, religion, culture: le principe du dialogue PDF

Title Art, religion, culture: le principe du dialogue
Author Jean-Luc Maroy
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ART, RELIGION, CULTURE : LE PRINCIPE DU DIALOGUE Tant que l’art restera le salon de cosmétique de notre civilisation, l’art et la civilisation seront en danger C. G. Jung 1.1. Une intrication évidente Peut-être faut-il commencer par se rappeler une évidence μ l’art et la religion entretiennent des l...


Description

ART, RELIGION, CULTURE : LE PRINCIPE DU DIALOGUE Tant que l’art restera le salon de cosmétique de notre civilisation, l’art et la civilisation seront en danger C. G. Jung

1.1. Une intrication évidente Peut-être faut-il commencer par se rappeler une évidence μ l’art et la religion entretiennent des liens étroits depuis des temps immémoriaux. Aussi bien l’anthropologie religieuse que l’histoire de l’art étudient donc les expressions artistiques et religieuses qui se sont rencontrées et fécondées mutuellement. Ces liens se prolongent dans les arts contemporains, par exemple dans l’appropriation de thèmes, d’images, de symboles religieux. Bien qu’étant né au cours de la modernité, le cinéma ne manque pas non plus d’interroger les rapports entre le profane et le sacré, notions qui peuvent avoir un caractère ambigu. Parallèlement à cela, des théologiens se sont interrogés sur les relations entre la foi et les cultures. La théologie catholique en effet étudie non seulement la Révélation mais aussi les chemins qui conduisent au salut dans le monde. Elle engage un effort rationnel pour mieux comprendre les mystères du Christ et la manière dont celui-ci éclaire et irrigue les activités humaines en leur donnant un sens particulier en fonction du Royaume. La culture, les arts, l’histoire, sont susceptibles en retour d’enrichir le message évangélique, comme le montre l’exemple des paraboles, quand s’y exprime une recherche de la vérité, de la justice, de la bonté et de la beauté. Le cinéma, lui, se porte à la rencontre de toute la réalité, quitte à en créer de nouvelles virtuellement, et proposant par le récit, l’image, le dialogue, une interprétation de celleci. En intériorisant la culture qui fait partie de toute façon de son ethos, de son patrimoine, le théologien découvre ce que le message du Christ comporte d’universel. Certes le croyant pense qu’il n’y a de salut qu’en Jésus Christ : il est la plénitude de la vérité et de la vie, quelles que soient les déterminations historiques, culturelles, par lesquelles cette vérité s’est manifestée. Mais sans la culture, cette foi ne peut se comprendre ni se déployer dans le temps et l’espace, elle risque alors de rester confinée dans la communauté des croyants (laquelle ne peut pas non plus être dissociée d’une culture en

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développement). Mieux : en recevant la foi, le croyant reçoit aussi la culture qui l’accompagne déjà, au sein de laquelle il est né, même s’il est aussi appelé à discerner ce qui, dans la culture qui est la sienne, éclaire ou obscurcit sa foi ou attend d’être porté plus loin par elle. Le cinéma, parce qu’il est inséré dans la culture, et qu’il en exprime les traits saillants, est donc un lieu privilégié pour le dialogue avec la foi. L’Église reçoit mission du Christ d’annoncer la Bonne Nouvelle à tout l’univers, elle ne peut la retenir pour elle-même sous peine d’en dénaturer le sens. Elle doit donc parcourir le monde entier en annonçant l’Évangile de la foi par des moyens appropriés, qui appartiennent aussi pour une part au monde de la culture. Cette conviction, issue d’une contemplation du mystère du Christ et du mystère trinitaire, n’exprime pas l’attitude hautaine de celui qui croit « posséder la vérité » (ce serait plutôt la Vérité qu’est le Christ qui se fraie un passage jusque dans le cœur du croyant jusqu’à provoquer son assentiment), mais l’humble condition du disciple qui accepte de servir plus grand que lui. Servir Dieu, pour le profit de l’humanité elle-même, sans violence, sans intimidation, sans mésusage de la vie morale, sans prosélytisme indu passe donc par le développement de la culture sans s’y laisser pourtant réduire. Cette mission s’ancre, de plus, dans la conscience, aussi ancienne que l’Église – elle-même fondée à la Pentecôte –, que l’Esprit parle (à travers) toutes les langues, et tous les langages, qu’il accompagne les croyants dans leur témoignage, suscitant créativité et intelligence, expression et discernement, joie et partage. Dieu est bien « attendu » par les peuples vers qui l’Église se sent poussée à proclamer la victoire sur la Mort par Jésus, parce qu’un « voile de deuil » les recouvre (cf. Is 25,7) et qu’ils espèrent en être libérés. La forme que prend l’évangélisation et la mission contemporaine est donc celle du dialogue indiquait déjà Paul VI, un des papes du XXe s. les plus attentifs à la culture. Le dialogue suppose à la fois écoute et réponse. Si l’Église a un message à annoncer, elle se rappelle qu’elle est d’abord « écoute » du Seigneur et qu’elle est appelée à écouter les détresses, cris et angoisses du monde contemporain. Elle annonce la Bonne Nouvelle à tous les hommes et femmes, elle se sent proche de ceux qui, en développant la culture, aspirent de leur côté à la libération du genre humain. Ce souci du dialogue prend donc en compte les « pierres d’attente » du Christ. Elles peuvent être explicites – ou non – dans un monde sécularisé, s’exprimer à travers la raison et la sensibilité, dans

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une humanité toujours tendue vers la perfection, la quête de la liberté, la connaissance du bien et du mal, et l’aspiration au bonheur que seul, pense le croyant, Dieu peut combler pleinement. Cette volonté de dialogue et la conscience d’avoir un message à transmettre – dont un moment mémorable fut la déclaration Gaudium et Spes –, constitue l’essentiel de la mission aujourd’hui dans la relation entre le chrétien et le non-croyant, entre le chrétien et l’adepte d’une autre religion ou encore avec l’homme imprégné de religiosité. Loin de vouloir imposer quoi que ce soit, la charité et la bienveillance, le respect et même l’admiration pour tout ce qui a de la valeur, du prix et de la beauté constituent des attitudes privilégiées pour un échange fructueux. Se sachant aimé par le Christ, c’est aussi avec amour que le croyant délivre son message et admire les efforts et les travaux de ceux qui cherchent à améliorer le sort humain. Les arts sont des moyens privilégiés pour prendre connaissance du questionnement des hommes et femmes d’aujourd’hui comme ils le furent dans les siècles passés. On peut parfois deviner dans les œuvres d’art, au-delà du savoir-faire des artistes, une vraie présence inspirante de l’Esprit. Le théologien peut découvrir ainsi dans quelle mesure celles-ci conduisent ou éloignent de Dieu. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’art peut servir des stratégies fort différentes, même éloignées de leur but ; commerciales et politiques en particulier. Mais les arts expriment bien souvent une quête d’harmonie et de beauté, quand bien même ils manifestent le tragique de la condition humaine. L’Église progresse en discernant ce que l’Esprit de vérité enseigne et aux hommes, y compris dans les manifestations artistiques qui expriment la souffrance et le mal qu’ils subissent ou dont ils sont les victimes. Poussée à approfondir son propre message, à interroger son identité et sa culture et la manière dont l’humanité peut le recevoir, elle se laisse parfois interpeller douloureusement par l’Esprit luimême, qui lui indique de nouveaux horizons à explorer, de nouveaux peuples à rencontrer, de nouveaux langages à adopter, de nouvelles missions à concevoir, vers des profondeurs jusqu’ici jamais atteintes, sous des formes jamais imaginées (cf. Ac 10, 1-48). Ainsi se forme une synthèse fondamentale à travers l’histoire : l’Église annonce le salut, la rédemption dans le Christ, tandis qu’elle accueille aussi les expressions « premières » et en attente de ce salut, déjà présentes dans les cultures. En méditant le mystère de l’Incarnation, elle découvre les multiples ramifications du dialogue

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« foi » et « raison », qui ne se suffit pas complètement à lui-même s’il ne tient pas compte de la sensibilité, du « beau », pour accueillir plus pleinement la Révélation que Dieu fait de Lui-même dans un monde dont il est le Créateur. Puisqu’il s’agit de progresser vers la compréhension de toutes choses à la lumière du Christ dans une perspective eschatologique, y compris et surtout en direction de ce qui dépasse les limites étroites de la raison, c’est à « tout l’homme » que l’Église entend s’adresser. À l’image du Christ, elle rejoint ainsi « une création qui gémit dans les douleurs de l’enfantement » (cf. Rm 8,22), une humanité qui cherche des raisons d’espérer et qui l’exprime dans sa culture. C’est pourquoi, en cherchant le Christ, il lui arrive si souvent de trouver d’abord des hommes et des femmes qui peinent à trouver le sens de l’existence. Elle se reconnaît en eux, comme au temps où, sans connaître le Christ, elle « exposait sa nudité » au monde (cf. Os 2,5), confondue avec le peuple élu, avant de bénéficier de la miséricorde du Père qui lui envoya son Fils pour guérir ses blessures. Car c’est Lui, le seul pasteur, qui conduit l’immense troupeau de l’humanité vers les pâturages de la vie éternelle, dans et hors d’elle-même, par elle et pour Lui, selon son bon plaisir, au travers de l’Histoire. 1.2. « Semences du Verbe » et « préparation évangélique » Les religions entretiennent avec les arts des liens étroits dans toutes les cultures du monde. « L’élément religieux, c’est un fait notoire, a presque toujours tenu lieu d’élément matriciel ou originaire dans le développement des activités artistiques les plus diverses »1. On peut penser par exemple aux statues des temples hindous de Khajurâho, aux grands bouddhas chinois de Henan ou Leshan, à la musique taoïste, la calligraphie musulmane, aux cathédrales et à leurs vitraux, à la peinture renaissante s’inspirant de scènes bibliques… Les liens entre arts et liturgies sont tout aussi innombrables. Si « la plupart des religions [ayant] identifié leurs sacrements aux plus grands accomplissements de l’art, et les croyances les mieux assises [ayant] été revêtues du faste et de la pompe des cérémonies » ce n’est pas tant que les religions n’accordaient qu’un statut secondaire à l’art en fonction d’exigences rituelles, comme a pu le penser Émile Durkheim,

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Georges DIDI-HUBERMAN, Art et théologie, dans Dictionnaire de la théologie chrétienne, Paris, Encyclopædia Universalis/Albin Michel 1998, p. 85.

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mais plutôt qu’elles ont pu entretenir une alliance avec l’art, en vue de bienfaits communs, en termes sans doute de consolidation réciproque2. Si on remonte dans le temps, l’art se conjugue, s’associe au sacré3 dès le néolithique, sans doute à la suite de la sédentarisation qui précèderait elle-même, semble-t-il, l’agriculture Avant cela, on sait que l’Homme de Neandertal puis Homo Sapiens enterrait déjà ses morts, parfois sous des dalles de pierre (à partir de 100.000 av JC). L’art et l’esthétique apparaissent ainsi au cours du paléolithique moyen et se conjuguent aux rites d’ensevelissement, mais pas seulement, même si de nombreux débats agitent la communauté scientifique quant à la dimension spécifiquement spirituelle qui accompagne l’inhumation4. Une chose semble sûre : dès le Moustérien (300000 à 30000 BP5), l’homme accède à la dimension symbolique et esthétique. Avec l’art et la religion, les progrès du langage et de l’abstraction vont contribuer progressivement à l’émergence d’une pensée philosophique qui, chez les grecs, « commence avec l’"étonnement", avec le αυ άζε et s’achève (du moins avec Platon et Aristote) dans la contemplation muette d’une vérité révélée »6. Nous en avons l’exemple avec l’expression Kalos kagathos (expression abrégée de α ὸς αὶ ἀγα ός, kalos kai agathos), le beau et le bien qui exprime la recherche d’un idéal qui toucherait l’ensemble de l’homme, esprit et corps. Ainsi le mot de Platon reste toujours inspirant : « La vertu propre du Bien est venue se réfugier dans la nature du Beau »7. À cela s’ajoute encore la recherche de la vérité qui, comme l’a rappelé Heidegger (1889-1λιθ), peut s’exprimer étymologiquement comme C’est du moins la thèse de Gaspard SALATKO, Le dieu situé. Une enquête sur la fabrique de l’art sacré dans le catholicisme contemporain (Anthropologie du monde occidental), Paris, L’Harmattan, 201θ, p. 17. 3 Sur la question du « sacré », signalons trois classiques : Rudolf OTTO, Le Sacré (Petite bibliothèque), Paris, Payot, 1995 ; Mircéa ÉLIADE, Le Sacré et le profane (Folio essais), Paris, Gallimard, 1987 ; Roger CAILLOIS, L’Homme et le Sacré (Folio essais), Paris, Gallimard, 1990. Pour aller plus loin, on peut aussi prendre en compte : Jacques ELLUL, Les nouveaux possédés, Paris, Les mille et une nuits, 2003 ; Camille TAROT, Le symbolique et le sacré : théories de la religion, Paris, La Découverte, 2008. Sur le plan théologique : Henri BOURGEOIS, Qu’est devenu le sacré aujourd’hui ? dans Joseph DORÉ, Christoph THEOBALD, Penser la foi, recherches en théologie aujourd’hui. Mélanges offerts à Joseph Moingt, Paris, Cerf/Assas, 1993, p. 259-269. 4 Sur ces questions, voir André LEROI-GOURHAN, Les religions de la Préhistoire (Quadrige) Paris, PUF, 1983 ; Jacques CAUVIN, Naissance des divinités, naissance de l’agriculture (Biblis), Paris, CNRS, 2013 ; Gwenn RIGAL, Le temps sacré des cavernes. De Chauvet à Lascaux : les hypothèses de la science (Biophilia), Paris, Corti, 2016 ; Hans BELTING, Image et culte. Une histoire de l’art avant l’époque de l’art, Paris, Cerf, 1998. 5 « Before Present ». En archéologie, le présent commence en 1950. 6 Hannah ARENDT, La crise de la culture (Folio essais, 113), Paris, Gallimard, 1972, p. 274. 7 PLATON, Philèbe, 65a.

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un dévoilement (a-letheia, ἀ- ή ε α). Les Grecs assignaient à la philosophie, qui se construit autour de la parole, une fonction de vérité afin d’exprimer la réalité des choses, surtout depuis Aristote. De là naîtront de façon plus formelle les transcendantaux au Moyen Âge (dont la liste diffère selon les auteurs), qui sont les propriétés de l’Être : le vrai, le bien, l’un. Reportés à Dieu, comme le fait par exemple Bonaventure (vers 1221-1274) dans son Breviloquium8, leur liste diverge, s’enrichit, confine parfois à l’éclectisme philosophique, ainsi du « beau » assimilé par certains, à notre époque, aux transcendantaux. Avec l’avènement du christianisme, un dialogue s’établit entre chrétiens et juifs d’une part, chrétiens et païens d’autre part. Saint Justin, père apologète du IIe s. emprunte aux stoïciens l’expression Logos spermatikos (« Les semences du Verbe »). Il voit, en effet, dans les philosophies préexistantes à l’enseignement du Christ des éléments de vérité9. Il pratiquait déjà le dialogue religieux, qui, avec le témoignage de vie, reste le moyen fondamental pour rencontrer celui ou celle qui ne connaît pas le Christ10. L’expression « semences du Verbe », utilisée au Concile Vatican II11 a été reprise par le pape Jean-Paul II dans son encyclique Redemptoris Missio, pour caractériser les rapports entre la foi et la culture : La présence et l’activité de l’Esprit ne concernent pas seulement les individus, mais la société et l’histoire, les peuples, les cultures et les religions (…). Le Christ ressuscité agit désormais dans le cœur des L’Un est attribué au Père ν le vrai à l’Esprit, et le Bien au Christ. Voir BONAVENTURE, Breviloquium. (Bibliothèque bonaventurienne), Partie 1. La Trinité de Dieu, trad., intr. et notes de Luc Mathieu, Paris, Éditions franciscaines, 1967 [Chapitre 6, n°2], p. 95. 9 JUSTIN, Apologie II, 8,1-2 ; 10, 1-3 ; 13,3-6. 10 Pierre NDOUMAÏ, Justin Martyr et le dialogue interreligieux contemporain dans Laval théologique et philosophique 3 (2010), vol. 66, p. 547-564. URL : erudit.org/fr/revues/ltp/2010v66-n3-ltp3991/045338ar/ (consulté le 20/05/2017). 11 CONCILE VATICAN II, Ad gentes, n°11 : « Pour qu’ils puissent donner avec fruit ce témoignage au Christ, ils [les fidèles] doivent se joindre à ces hommes dans l’estime et la charité, se reconnaître comme des membres du groupe humain dans lequel ils vivent, avoir part à la vie culturelle et sociale au moyen des diverses relations et des diverses affaires humaines ; ils doivent être familiers avec leurs traditions nationales et religieuses, découvrir avec joie et respect les semences du Verbe qui s’y trouvent cachées ν ils doivent en même temps être attentifs à la transformation profonde qui s’opère parmi les nations, et travailler à ce que les hommes de notre temps, trop appliqués à la science et à la technique du monde moderne, ne soient pas détournés des choses divines ν bien au contraire, à ce qu’ils soient éveillés à un désir plus ardent de la vérité et de la charité révélées par Dieu ». À rapprocher de l’expression : « germe de bien ». Ainsi Lumen gentium, n° 17 : « Son activité [celle de l’Esprit] a le résultat non seulement de ne pas se laisser perdre tout ce qu’il y a de germe de bien dans le cœur et la pensée des hommes ou de leurs rites propres et leur culture ν mais de le guérir, l’élever, l’achever pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur de l’homme ».

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hommes par la puissance de son Esprit (…). C’est encore l’Esprit qui répand les « semences du Verbe » présentes dans les rites et les cultures et les prépare à leur maturation dans le Christ 12.

S’agirait-il pour autant de recueillir (voir de « récupérer ») ce qui, dans les religions pourrait être « sacralisé » par la foi chrétienne sans passer par la raison ? Non, précise de son côté Benoît XVI, car Justin dialoguait justement au travers au moyen de la philosophie, ainsi que le rappelle François Bousquet : Récemment, le Cardinal Ratzinger, dans un de ses livres, puis Benoît XVI dans un discours a objecté, à propos du logos spermatikos, qu’il fallait maintenir la distinction (telle qu’elle est établie en l’occurrence par Justin) entre logos et muthos, et ainsi ne pas se laisser aller à penser que Justin avait trouvé les "semences du Verbe" dans les religions μ en fait, c’est dans les philosophies, précisément quand elles critiquent les religions. Le divin qui se prête à la reconnaissance de la foi ne saurait être soustrait à l’universalité de la raison, la raison ontologiquement liée au Christ Logos, et non pas une raison qui ne serait que « culturelle ». L’avertissement est double, est salutaire : veiller au discernement, en ce qui concerne la raison immanente à la culture, entre la raison critique et les justifications qui seraient idolâtries ou sacralisation de la coutume ; et, en second lieu, ne pas isoler à la manière postmoderne la raison de toute transcendance. D’ailleurs, au temps de Justin, l’exercice de la raison est exercice spirituel et appartient à la démarche de conversion. Il faudra donc ici être extrêmement précis13.

L’Église catholique contemporaine reconnaît donc ce qu’il y a de « juste et de bon » (cf. 1 Th 5,21) dans les philosophies dans la mesure où un rapport au Logos peut être discerné. Elle peut y reconnaître la présence et l’action de l’Esprit qui suscite, par des voies connues de 12

JEAN-PAUL II, Redemptoris Missio, nn. 28-29. Dans une audience générale du 9 septembre 1988, il précise : « Dès ma première Lettre encyclique, reprenant l’enseignement conciliaire, j’ai voulu rappeler l’ancienne doctrine formulée par les Pères de l’Église, selon laquelle il est nécessaire de reconnaître "les semences du Verbe" présentes et agissantes dans les diverses religions (cf. Ad gentes, n°11 ; Lumen gentium, n° 17). Cette doctrine nous pousse à affirmer que, bien que par des voies différentes, "elle est tournée vers une direction unique, en s’exprimant dans la recherche de Dieu et, en même temps, par l’intermédiaire de la tension vers Dieu, dans la recherche de la dimension totale de l’humanité, c’est-à-dire du sens plénier de la vie humaine" (Redemptor hominis, n°11). Les "semences du Verbe" présentes et agissantes dans les diverses traditions religieuses sont un reflet de l’unique Verbe de Dieu, "qui illumine chaque homme" (cf. Jn 1,λ) et qui s’est fait chair en Jésus-Christ (cf. Jn 1,14). Elles sont à la fois "un effet de l’Esprit Saint au-delà des limites visibles du Corps mystique" et qui "souffle où il veut" (Jn 3,8) (cf. Redemptor hominis, nn. 6 et 12) ». URL : w2.vatican.va/content/john-paulii/fr/audiences/1998/documents/hf_jp-ii_aud_09091998.html (consulté le 20/05/2017). 13 François BOUSQUET, La connaissance culturelle de Dieu dans Transversalités 109/1, Institut Catholique de Paris (2009), p. 181-191. URL : cairn.info/publications-de...


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