CM Mythes et Culture : Le corps passionné en littérature PDF

Title CM Mythes et Culture : Le corps passionné en littérature
Course Mythes et culture S3
Institution Université Paul-Valéry-Montpellier
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Cours de Jérôme Lagouanère...


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E38CGLC5 – M. LAGOUANERE – [email protected] Chapitre 2 : Le corps et ses états

2.2. Le corps passionné en littérature : l’exemple de la Médée d’Euripide : La Médée d’Euripide met en scène le dernier moment de la légende de Médée : la magicienne se venge de son mari Jason qui l’a abandonnée pour épouser une femme grecque, la fille de Créon, roi de Corinthe. La tragédie s’achève avec la mort de cette femme et de son père, empoisonnés par la parure que Médée a enduite de poison, et le meurtre des enfants de Jason et Médée. Mais dans le temps de la représentation, Euripide condense tout le temps du mythe : le passé de Médée se diffracte dans toute la pièce, qui rappelle à plusieurs reprises les crimes que la magicienne a commis avant de quitter la Colchide, la Crimée actuelle. Les commentateurs ont toujours relevé l’absence des dieux de cette tragédie : il n’y a pas d’oracle, pas de fatalité qui pèse sur la magicienne, pas d’ordre contradictoire qui la déchire. C’est Médée qui fait du choix de Jason une faute dont elle décide de se venger. S’il y a une forme de fatalité, c’est celle de l’amour : Euripide montre les conséquences de ce qui s’est passé autrefois. Et dans la perspective qui est la nôtre, celle du corps, l’amour est une passion très intéressante, parce qu’elle frappe le corps. Euripide accorde une place essentielle au spectacle de Médée, au spectacle du corps souffrant. Or, si Médée occupe une place centrale dans le spectacle, les autres personnages portés à la scène (la nourrice, le pédagogue et les deux enfants de Médée, le chœur des femmes de Corinthe, Créon, Jason et le messager), à travers la relation qu’ils entretiennent avec Médée, mettent en relief cette question du corps. Et à ces personnages visibles, incarnés, il faut ajouter l’autre femme, celle que le spectateur ne voit jamais mais dont la présence est essentielle, la seconde épouse de Jason, cette autre femme qui n’est même pas nommée et qui meurt de manière atroce, consumée par la parure que lui offre Médée. Nous évoquerons donc la question du corps dans une tragédie, dans un texte destiné à être porté à la scène. La première chose que nous nous attacherons à définir, c’est la place du corps, tel que le voient les spectateurs, en fonction de ce que disent les personnages de leur propre corps ou du corps des autres. Quelle représentation du corps le texte tragique nous propose-t-il ? Cette tragédie de la trahison amoureuse donne à voir ce qui n’est pas visible, la blessure intime. La question du corps se pose dans une perspective très particulière dans le théâtre, et en particulier dans Médée : le corps, c’est ce qu’on voit d’abord d’une personne, les signes que manifeste le corps (les gestes, les larmes, etc…), ce sont ses organes, dont il est souvent question (les yeux, le cœur etc…). Nous verrons ainsi que le corps est à la fois ce qui est porté en scène, ce que voient les spectateurs, mais aussi ce qui ne se voit pas, l’intériorité et ses manifestations visibles ou non. Or, l’intérieur du corps, ce peut être l’âme, les sentiments, la folie, comme c’est le cas dans de très nombreuses tragédies ; mais dans Médée, la dimension invisible du corps, c’est le désir amoureux, la sexualité qui unit deux corps, autrement dit l’intimité. En outre, la tragédie, comme spectacle de la mise à mort, expose par principe deux types de corps, le corps vivant et le corps mort ; plus précisément, la tragédie porte à la scène ce passage de la vie à la mort. C’est bien ce qu’on voit dans Médée, où l’héroïne tue sa rivale et le père de cette dernière, puis ses enfants. De fait, notre propos se concentrera sur deux aspects du corps dans la Médée d’Euripide : la représentation du corps amoureux et de la mise à mort du corps. A/Le corps comme lieu de la souffrance

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Dans la tragédie de Médée, point de Dieu qui impose un destin. C’est le corps lui-même qui dicte sa loi : la souffrance détruit le corps et constitue le point de départ de la vengeance. Dans cette perspective, il convient de relever comment et où le corps souffre. La partie principale du corps de Médée qui souffre, c’est le θυμός, c’est-à-dire le cœur, le principe même de la vie et le siège des sentiments, notamment de la colère. La passion amoureuse a donc atteint le principe même de vie de Médée. Il faut noter qu’à la fin du prologue, la nourrice annonce la vengeance de Médée en reprenant ce mot : le corps de Médée se met en mouvement, il va prendre feu dans un accroissement de rage (v. 108) : le θυμός de Médée s’accroît au moment même où elle apparaît sur scène. De même, la nourrice souligne combien la passion amoureuse contamine le corps de Médée : l’esprit de Médée est lourd (v.38), et elle met en mouvement sa bile, ce qui désigne au sens figuré sa colère (v.98). Quand elle entre en scène au v. 214, Médée ne crie plus, mais raisonne ; mais ce raisonnement approfondit la souffrance : d’abord seule sur scène avant que ne vienne Créon, l’héroïne évoque sa condition : cet événement a détruit son âme (v. 226), elle a perdu le plaisir de la vie et souhaite mourir (v. 227-228). Ce plaisir de la vie, c’était l’amour de Jason. Si la première tirade que prononce Médée est caractérisée par le calme et la maîtrise – elle tient des propos généraux sur la condition des femmes –, elle fait toutefois apparaître les pulsions violentes qui sont à l’œuvre chez l’héroïne et elle s’achève sur un mot qui souligne la violence de sa rage : Euripide, Médée, v. 265-266 : Mais quand l’injustice l’atteint dans son lit, il n’y a pas d’esprit plus sanguinaire.

L’esprit qui souffre devient donc meurtrier. Il faut souligner que ces mots sont prononcés avant que Créon ne rentre en scène : Médée est seule. En présence d’un homme, Médée parle le langage de la raison, mais lorsqu’elle est seule en scène elle laisse s’exprimer le langage du corps et de la passion. Ainsi, la nourrice dans le prologue, puis Médée elle-même, encore seule, ne cessent d’évoquer le corps souffrant de Médée. Les premiers mots que Médée prononce disent son mal : Euripide, Médée, v. 111-112 : J’ai subi, misérable, j’ai subi des malheurs dignes de grandes plaintes.

Or, cette souffrance est le point de départ de la vengeance : Euripide, Médée, v. 113-114 : Mourez, enfants maudits d’une mère haineuse, et votre père avec ! Que toute la maison s’anéantisse !

La souffrance de la mère est le principe de la malédiction, la haine voue les enfants à la mort. Dans cette tragédie sans dieux, c’est la souffrance qui constitue la menace. Il est très intéressant de relever que Jason, quand il entre en scène, ne comprend pas ce moteur de la tragédie, comme on le voit lorsqu’il relève : Euripide, Médée, v.447 L’agressivité est un mal intraitable.

L’ironie tragique s’exprime dans ce vers, car la colère constitue justement la machine du drame. 2

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C’est dans le quatrième épisode que nous allons retrouver ces références au corps : lors de la seconde confrontation des deux époux, où elle feint d’accepter la décision de Jason, Médée évoque son mal comme si elle y renonçait ou s’en était débarrassée : Euripide, Médée, v. 873-874 Cruelle, pourquoi ce délire, et cette haine contre ceux qui prennent les bonnes décisions ?

Euripide, Médée, v. 879 Ne vais-je pas me délivrer de ma rage ?

Euripide, Médée, v. 885 J’étais folle.

Euripide, Médée, v. 898 La colère s’en est allée.

Or, dans chacune de ces citations, les mots grecs font en fait référence à tous les organes troublés par la passion et évoqués dans le prologue par la nourrice, à savoir le θυμός, l’esprit et la bile. Le spectateur connaît la blessure intime de Médée, que Jason refuse de voir, et il sait déjà quelles en seront les conséquences, puisque la mère a maudit le père et les enfants dès le prologue ; et au moment de tuer, c’est bien le θυμός qui sera le plus fort (cf.v. 1079). Ainsi, si Médée souffre, ce sont certes ses organes vitaux qui sont atteints, mais il nous faut maintenant aborder cette question du corps dans une perspective tragique. Nous avons dit à plusieurs reprises que Médée fait de sa souffrance le principe de sa vengeance dont elle fait un destin. Si l’amour a frappé Médée et que les organes atteints constituent le moteur de la vengeance, il faut aller beaucoup plus loin et analyser ce qui vient réactiver sans cesse la blessure. C’est le corps de la femme en tant que tel qui est le principe de la tragédie ; car, si la passion fait souffrir le corps de Médée, c’est d’abord parce que le corps de la femme est un lit. B/ Corps amoureux, corps féminin a/ Une femme est un lit Les mots qui en grec désignent l’épouse, notamment le terme λέχος, renvoie en fait à l’idée de lit, de couche nuptiale. Or, Euripide dans sa pièce joue de la polysémie de ce terme pour désigner Médée : au v. 41, le terme renvoie au lit où la nourrice ne craint que Médée ne se suicide. Plus loin dans la pièce, aux vers 207, 286, 436-437, le terme renvoie à la trahison de Jason : littéralement, si Médée a été abandonnée, c’est qu’elle n’est plus le lit de Jason. b/ Une femme doit être un lit La polysémie du mot assigne une place à la femme, qui, non seulement est, mais aussi doit être un lit. Quand elle paraît sur scène et avant que Créon ne la rejoigne, Médée prononce une longue tirade très fameuse, qui dénonce la condition des femmes. C’est la langue des Grecs qu’elle parle, cette langue où une femme est un lit. En effet, une femme doit garder son mari au lit : Euripide, Médée, v.241-243 : Si dans ce domaine (au lit) notre fatigue est efficace, le mari partage notre maison en acceptant le joug, et la vie est enviable. Sinon, il faut mourir.

Le corps de la femme est en effet la propriété du mari : 3

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Euripide, Médée, v. 233-234 : [La femme doit] acheter un mari et prendre un maître qui disposera de [son] corps.

c/ Le corps amoureux La femme doit garder son mari, car le lit est le lieu du désir, de l’amour, et de sa conséquence, l’engendrement. Le second épisode de la pièce confronte Jason et Médée sur la scène, et Médée n’hésite pas à rappeler à Jason leurs corps réunis : Euripide, Médée, v. 496-498 : Hélas ! ô ma main droite – tu n’arrêtais pas de la prendre et ces genoux aussi –, notre corps fut pressé pour rien par cet homme abject, les promesses n’ont rien donné.

Il faut le noter, seule Médée parle de l’amour charnel et de leurs corps autrefois unis. Jason n’y reviendra qu’après les meurtres, pour souligner son incompréhension. Ainsi, en se remémorant les corps comme ce qui permet l’union amoureuse, Médée évoque à la fois, le passé, et ce qui ne peut ni se montrer ni se dire, à savoir l’intimité, c’est-à-dire l’intériorité, mais aussi la sexualité, le désir. La tragédie procède donc bien du corps même de Médée, corps habité par la puissance invisible du désir que le spectacle vient interroger. L’amour est ainsi décrit comme une maladie qui blesse le corps, car il se manifeste sous la forme d’un désir dont le corps de la femme et le lit sont l’expression ; or, l’homme qui possède un lit/une femme n’est pas maître du désir qu’il suscite, force cachée, invisible, mais indomptable. Jason le déplore et interprète en ces termes la souffrance de Médée : Euripide, Médée, 569-575 : Vous en êtes arrivés là : quand le sexe marche bien, vous, les femmes, pensez tout avoir, et si quelque adversité touche le lit de l’extrêmement bien et extrêmement beau, vous faites de l’extrêmement ennemi. Il faudrait que les hommes fassent naître les enfants d’un autre endroit, n’importe, et qu’il n’y ait pas la race femme. De cette façon, le mal n’existerait pas chez les humains.

Au-delà de la goujaterie et de la misogynie de Jason, ce qui est très intéressant, c’est que cet homme ne peut que malgré lui désigner la force qui est en œuvre chez Médée, à savoir le désir. Or, les enfants sont l’incarnation même de ce désir ; même si elle peut faire sourire le lecteur d’aujourd’hui, la conclusion de Jason est très pathétique et constitue pour lui une menace qui ne peut que se réaliser inéluctablement, car, dès le prologue de la pièce, le spectateur a vu les enfants avant même de voir le couple désuni. Puisque la femme/lit a fait des enfants, le mal doit se répandre sur la scène tragique, donnant à voir ce désir féminin invisible, indicible mais irréversible. d/ Le corps maternel Pour Médée, ses enfants sont l’incarnation du lit, elle voit en eux l’amour où Jason les a mis en elle. Si elle tue ses propres enfants, c’est parce qu’elle détruit ce qui incarne son union avec Jason qui l’a trahie, ces corps qui lui ont coûté tant de peines. Ce corps de femme, qui aime et désire, est aussi un corps de mère. La présence des enfants est essentielle dans la tragédie. En effet, il est question d’eux tout au long de la pièce, et Médée est avant tout une mère (v. 75, 91n 98, 113). C’est au nom de ses enfants qu’elle obtient le délai d’une journée pour partir en exil. 4

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Le corps des enfants semble être le prolongement très paradoxal du corps de la mère. Le spectateur voit les enfants, en mouvement, c’est-à-dire vivants, au cours du prologue, alors que la mère, Médée, est alors invisible. Les enfants sont l’incarnation de l’amour, ils renvoient à la vie comme à la mort, comme le désir qui les a fait naître. En outre, tout au long de la pièce, les souffrances de la maternité sont rappelées. Médée compare elle-même la condition de l’homme qui doit faire la guerre, à celle de la femme, qui est d’enfanter : Euripide, Médée, v. 250-251 J’aimerais mieux être debout près d’un bouclier trois fois qu’enfanter une fois.

Elle le rappellera au moment d’accomplir l’infanticide : Euripide, Médée, v. 1029-1031 Il n’a servi à rien, mes petits que je vous élève, à rien que je souffre et que je m’use dans les fatigues, que je supporte les douleurs obstinées de l’accouchement.

Le corps de la femme/lit est par définition un corps qui souffre, ce corps qui enfante est soumis à un désir dont les fruits sont à la fois source de vie et de souffrance. En faisant du corps de la femme/lit/mère l’origine de la tragédie, Euripide ne peut que montrer le meurtre des enfants. Une dernière occurrence du mot lit dans la pièce vient confirmer cette ambivalence tragique : juste avant de les tuer, Médée associe une dernière fois ses enfants au lit, et précisément à leur lit : Euripide, Médée, v. 1025-1027 Je n’aurai pas profité de vous, pas vu votre bonheur, je n’aurai pas béni vos mariages, vos femmes, vos lits de noces, pas porté les torches.

La mère trahie ne peut s’empêcher de souligner le caractère inéluctable de sa condition. e/ Corps féminin et larmes Quand les époux sont à nouveau réunis, dans le quatrième épisode, Médée a annoncé sa vengeance. Il faut avoir à l’esprit qu’elle joue alors un rôle : elle feint de reconnaître que la décision de Jason est bonne pour les enfants, et donc de lui pardonner, au nom de leurs anciennes amours : Euripide, Médée, v. 870-871 C’est naturel que tu supportes ma colère, puisqu’entre nous, il s’est établi tant d’amour.

Elle parle alors le langage de Jason et évoque bien la nouvelle épouse comme un lit : Euripide, Médée, v. 886-888 Je devais m’associer à tes plans, t’aider à les réaliser, me tenir à côté du lit et trouver du plaisir à servir ton épouse.

Elle répète même l’argument politique avancé par Jason pour justifier sa trahison : Euripide, Médée, v. 876-877 Mon mari, qui agit au mieux de nos intérêts quand il épouse une princesse et va donner des frères à mes enfants.

Médée fait comme Jason, elle ne désigne plus une femme, un corps aimé, mais un calcul politique. Mais ce dernier est incapable de comprendre que ces mots ne peuvent pas coïncider avec la réalité qu’il impose : les mots ne sont rien devant la nécessité des corps.

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Dans cette scène, Médée commence à accomplir sa vengeance : en faisant venir les enfants, elle creuse encore l’écart entre ce que sait le spectateur et ce que croit comprendre Jason. Le spectateur a vu les enfants avec le pédagogue pendant la parodos et il sait qu’ils vont mourir. En attendant, dans le quatrième épisode, c’est la famille entière qui est réunie : Euripide, Médée, v. 894-897 Mes petits, mes petits, venez ici, laissez la maison, sortez ! Embrassez, saluez votre père avec moi : et comme votre mère, laissez partir la haine qui nous dressait contre un ami.

Cette réunion montre l’envers de ce qui est : par sa ruse, Médée provoque un spectacle qui constitue l’exact inverse de la réalité, qui est celle d’une destruction de la famille. L’opposition est donc complète entre ce que le spectateur sait et ce qu’il entend ; or, c’est à ce moment-là que le corps de Médée se manifeste avec violence, venant souligner cet écart insupportable. La tension entre les mots que Médée prononce et les signes que son corps ne peut s’empêcher de manifester est portée à son comble. C’est en effet à ce moment-là que le spectateur voit les larmes qui coulaient dans l’ombre au cours du prologue : Euripide, Médée, v. 901-905 Mes petits, aurez-vous longtemps à vivre et à tendre comme cela vos bras chéris ? Que j’ai mal ! Me voici en larmes, pleine d’effroi ! Avec le temps, j’ai mis fin à la guerre contre votre père, mais la douce image que j’ai de vous s’est remplie de larmes !

Médée parle deux langages à la fois, celui à qui s’adresse Jason et celui qui s’adresse au spectateur : la douce image, c’est ce spectacle mensonger que voient les spectateurs ; mais à ce spectacle feint par Médée, le spectateur superpose l’autre image de Médée, la femme qui souffre. Le spectateur voit maintenant ce qu’il a seulement entendu au cours du prologue. Les réponses de Jason ne peuvent que traduire son aveuglement. Le héros débite des banalités sur les femmes et sur les enfants qui grandissent, mais il est incapable d’envisager un seul instant la réalité de Médée, de son corps qui souffre. Quand il voit les larmes de Médée, il n’est pas capable de les comprendre : Euripide, Médée, v. 922-924 Mais toi, pourquoi arroses-tu de larmes vives tes pupilles et détournes-tu la blancheur de ta joue au lieu d’accueillir avec joie ce que je dis ?

Il faut noter que c’est le seul moment de la tragédie où Jason voit quelque chose du corps de Médée, mais c’est un signe qu’il est incapable de déchiffrer. L’incohérence du langage de Jason, son inadéquation à la réalité du mal qu’il fait à Médée, explosent paradoxalement quand Médée ellemême feint de parler comme lui. Ainsi, au-delà du mensonge des mots, le corps impose son langage, en particulier sous la forme des larmes : Euripide, Médée, v. 928 Mais la femme est femme, elle est née pour les larmes.

Alors que Médée vient d’affirmer que son mal l’a quittée, son corps la trahit : les larmes sont la manifestation visible de ce qui se joue dans l’intériorité. Le spectateur a appris au cours du prologue que Médée ne cessait de verser des larmes. Et c’est au vers 903 qu’il les voit : jusqu’à ce moment, 6

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elle s’est dominée, elle a contenu les marques visibles de son mal, mais au moment précis où elle joue la comédie pour Jason, lui faisant croire qu’elle a renoncé à sa colère, les larmes se mettent à couler. Ces larmes invalident tout son discours, ce que sait bien le spectateur, mais Jason ne comprend pas pourquoi elle pleure pour ses enfants. C/ La tragédie comme mise à mort du corps a/ Suicide ou meurtre ? Si le spectacle tragique aboutit bien à la vengeance, la mort est omniprésente dans la pièce. Car avant de se venger, Médée songe à se suicider, et la nourrice indique d’emblée l...


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