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Title Exemplier cours
Course UE 1 - cours magistral XVIe siècle
Institution Université de Lille
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L3 – CM Humanisme 2019 (E. Kammerer)

L’HUMANISME EUROPEEN DE LA RENAISSANCE EXEMPLIER Pour chaque titre, allez voir les éditions originales numérisées ! Beaucoup se trouvent sur Gallica (https://gallica.bnf.fr) ou sur le site des Bibliothèques Virtuelles Humanistes (http://www.bvh.univtours.fr/). Très utile également pour effectuer une recherche dans l’ensemble des bibliothèques mondiales, le Karlsruher Virtueller Katalog (http://kvk.bibliothek.kit.edu). Consultez également sans modération Jean-Claude Margolin, Anthologie des humanistes européens de la Renaissance, Gallimard, Folio Classique, 2007.

1. Bible, Genèse 1, 1-31 (création de l’homme) Pour confrontati avec le texte de Pic de la Mirandole. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres étaient audessus de l’abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit : « Que la lumière soit. » Et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière des ténèbres. Dieu appela la lumière « jour », il appela les ténèbres « nuit ». Il y eut un soir, il y eut un matin : premier jour. Et Dieu dit : « Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux, et qu’il sépare les eaux. » Dieu fit le firmament, il sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament et les eaux qui sont au-dessus. Et ce fut ainsi. Dieu appela le firmament « ciel ». Il y eut un soir, il y eut un matin : deuxième jour. Et Dieu dit : « Les eaux qui sont au-dessous du ciel, qu’elles se rassemblent en un seul lieu, et que paraisse la terre ferme. » Et ce fut ainsi. Dieu appela la terre ferme « terre », et il appela la masse des eaux « mer ». Et Dieu vit que cela était bon. Dieu dit : « Que la terre produise l’herbe, la plante qui porte sa semence, et que, sur la terre, l’arbre à fruit donne, selon son espèce, le fruit qui porte sa semence. » Et ce fut ainsi. La terre produisit l’herbe, la plante qui porte sa semence, selon son espèce, et l’arbre qui donne, selon son espèce, le fruit qui porte sa semence. Et Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : troisième jour. Et Dieu dit : « Qu’il y ait des luminaires au firmament du ciel, pour séparer le jour de la nuit ; qu’ils servent de signes pour marquer les fêtes, les jours et les années ; et qu’ils soient, au firmament du ciel, des luminaires pour éclairer la terre. » Et ce fut ainsi. Dieu fit les deux grands luminaires : le plus grand pour commander au jour, le plus petit pour commander à la nuit ; il fit aussi les étoiles. Dieu les plaça au firmament du ciel pour éclairer la terre, pour commander au jour et à la nuit, pour séparer la lumière des ténèbres. Et Dieu vit que cela était bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : quatrième jour. Et Dieu dit : « Que les eaux foisonnent d’une profusion d’êtres vivants, et que les oiseaux volent au-dessus de la terre, sous le firmament du ciel. » Dieu créa, selon leur espèce, les grands monstres marins, tous les êtres vivants qui vont et viennent et foisonnent dans les eaux, et aussi, selon leur espèce, tous les oiseaux qui volent. Et Dieu vit que cela était bon. Dieu les bénit par ces paroles : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez les mers, que les oiseaux se multiplient sur la terre. » Il y eut un soir, il y eut un matin : cinquième jour. Et Dieu dit : « Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce, bestiaux, bestioles et bêtes sauvages selon leur espèce. » Et ce fut ainsi. Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce, et toutes les bestioles de la terre selon leur espèce. Et Dieu vit que cela était bon. Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. Qu’il soit le maître des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, des bestiaux, de toutes les bêtes sauvages, et de toutes les bestioles qui vont et viennent sur la terre. » Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliezvous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. » Dieu dit encore : « Je vous donne toute plante qui porte sa semence sur toute la surface de la terre, et tout arbre dont le fruit porte sa semence : telle sera votre nourriture. À tous les animaux de la terre, à tous les oiseaux du ciel, à tout ce qui va et vient sur la terre et qui a souffle de vie, je donne comme nourriture toute herbe verte. » Et ce fut ainsi. Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait ; et voici : cela était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour.

2. Bible, Genèse 11, 1-9 (Babel) Tout le monde se servait d’une même langue et des mêmes mots. Comme les hommes se déplaçaient à l’orient, ils trouvèrent une vallée au pays de Shinéar et ils s’y établirent. Ils se dirent l’un à l’autre : Allons ! 1

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Faisons des briques et cuisons-les au feu ! La brique leur servit de pierre et le bitume leur servit de mortier. Ils dirent : Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux ! Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre ! Or Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé dit : Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises ! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons ! Descendons ! Et là, confondons leur langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres. Yahvé les dispersa de là sur toute la face de la terre et ils cessèrent de bâtir la ville. Aussi la nomma-t-on Babel, car c’est là que Yahvé confondit le langage de tous les habitants de la terre et c’est de là qu’il les dispersa sur toute la face de la terre.

3. Dante Alighieri (1265-1321), De vulgari eloquentia (v. 1305) [La « langue vulgaire » est, selon Dante, celle « que nous avons assimilée en imitant notre nourrice et sans suivre aucune règle ». Elle se distingue de cette « seconde langue » qu’est le latin. Dante résume l’histoire originelle des langues (mythe de Babel) et celle des dialectes italiens. Il critique les municipalismes (et leurs produits, les divers dialectes) en montrant qu’aucun dialecte italien n’est supérieur à l’autre, pas même le toscan, alors même que les Toscans, « obnubilés par leur folie, semblent s’arroger le privilège du vulgaire illustre » (I, 13). Dante proclame alors la mission des doctores illustres, qui s’adressent à un public universel et non pas enfermé dans l’étroite enceinte des communes. Il fonde la théorie d’une langue italienne « illustre, cardinale, royale et courtoise » (I, 16, puis 17-19), qui n’est parlée comme telle dans aucune ville italienne mais qui « exhale son parfum » dans toutes. Dante appelle donc à la promotion du « vulgaire illustre italien » qui soit le produit d’un polissage attentif confié aux meilleurs poètes d’Italie ; le IIe livre définit les règles de ce « vulgaire illustre ».] … La langue vulgaire est la plus noble de ces deux langues, parce que c’est la première langue parlée

par le genre humain, parce que le monde entier s’en sert (avec des prononciations et des mots différents, il est vrai) et parce que c’est la façon naturelle de s’exprimer, tandis que l’autre langue est artificielle.

Pétrarque (1304-1374), Rime sparse (Chansonnier , v. 1339-1341) 4. Sonnet I Voi ch’ascoltate in rime sparse il suono Di quei sospiri ond’io nudriva ’l core In sul mio primo giovenile errore Quand’era in parte altr’uom da quel ch’i’ sono,

Vous qui écoutez, aux rimes que j’ai répandues, le son de ces soupirs dont je nourrissais mon cœur, dans l’égarement premier de ma jeunesse, quand j’étais en partie un autre homme que je ne suis ;

del vario stile in ch’io piango et ragiono fra le vane speranze e ’l van dolore, ove sia chi per prova intenda amore, spero trovar pietà, nonché perdono.

Pour ce style dans lequel je pleure et je raisonne, et qui flotte des vains espoirs à la vaine douleur, je compte trouver pitié non moins que pardon chez tous ceux qui connaissent l’amour par expérience.

Ma ben veggio or sí come al popol tutto Favola fui gran tempo, onde sovente Di me medesmo meco mi vergogno;

Mais je vois bien aujourd’hui comment pendant longtemps j’ai été la fable de tout le monde ; aussi souvent, en face de moi, je me fais honte de moi-même :

Et del moi vaneggiar vergogna è ’l frutto E ’l pentersi, e ’l conoscer chiaramente Che quanto piace al mondo è breve sogno.

Et de mes vanités la honte est le fruit que je recueille, avec le repentir et l’éclatante conviction que tout ce qui charme ici bas n’est qu’un songe rapide.

5. CXXXV … Ne l’estremo occidente Una fera è soave e queta tanto Che nulla piú, ma pianto E doglia e morte dentro a gli occhi porta : Molto convene accorta Esser qual vista mai ver’ lei si giri : Pur che gli occhi non miri, L’altro puossi veder securamente. Ma io, incauto, dolente,

… À l’extrémité de l’Occident vit une bête sauvage si douce et si paisible que nulle ne l’est davantage ; mais elle porte en ses yeux les pleurs, la douleur et la mort ; il faut que tout regard qui se tourne vers elle soit bien prudent : pourvu qu’il n’approche pas des yeux, le reste peut être observé sans danger. Mais moi, malheureux imprudent, je cours sans cesse à ma perte, et je sais bien tout ce que j’ai souffert et tout ce qui m’attend ; mais le désir vorace, qui est aveugle et sourd, m’entraîne de telle sorte qu’il faudra que je périsse, à cause 2

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Corro sempre al moi male ; e so ben quanto N’ho sofferto e n’aspetto : ma l’engordo Voler, ch’è cieco e sordo, Sí mi trasporta, che ‘l bel viso santo E gli occhi vaghi fien cagion ch’io pèra Di questa fera angelica, innocente…

du beau et céleste visage et des yeux charmants de cette angélique et innocente créature…

Marsile Ficin (1433-1499) 6. De amore VI, 10 : l’Amour magicien [cf. Platon, Banquet ; Protagoras ; Sophiste. L’Amour a pour père Abondance, copia, et pour mère Indigence, inopia]. Pourquoi pensons-nous que l’amour est magicien ? C’est que toute la puissance de la magie consiste dans l’amour. L’œuvre de la magie, c’est l’attraction d’une chose par une autre en vertu d’une certaine affinité naturelle. Or les parties de ce monde, comme les membres d’un seul animal, dépendant toutes d’un seul créateur, sont liées entre elles par la communion d’une seule nature […]. De cette parenté commune naît un commun amour, et de cet amour une commune attraction. Or cette attraction est la vraie magie. Ainsi le feu est attiré vers le haut par la concavité de la sphère lunaire, la terre est attirée vers le bas par le centre du monde […]. Ainsi l’aimant attire le fer, l’ambre la paille, le soufre le feu. Le soleil fait tourner vers lui des fleurs et des feuilles en grand nombre, la lune a coutume d’attirer les eaux, Mars les vents, et des herbes variées attirent aussi à elles diverses espèces d’animaux. Et même dans les choses humaines, « chacun subit l’attrait de son propre plaisir » [Virgile, Bucoliques II, 65]. Les œuvres de la magie sont donc des œuvres de nature, l’art n’en est que l’instrument […] Les Anciens attribuaient la magie aux démons, parce que ceux-ci connaissaient quelle parenté existe entre les choses de la nature, ce qui convient à chacune et la manière de restaurer l’harmonie entre les choses, si elle venait à manquer. On dit que quelques-uns de ces Anciens ont été, soit les amis des démons, en vertu d’une certaine ressemblance de nature, comme Zoroastre1 et Socrate, soit aimés d’eux, comme Apollonius de Tyane2 et Porphyre3 en raison du culte qu’ils leur rendaient. Aussi rapporte-t-on que ces démons se manifestaient à eux pendant leurs veilles par des signes, des voix et des visions. Il semblerait qu’ils sont devenus mages par l’amitié des démons, de la manière dont les démons eux-mêmes sont mages, par leur connaissance de l’amitié qui lie les choses elles-mêmes.

7. Du triplici vita, I, 1 : comment il faut éviter l’humeur noire ou mélancolique Or voici ce qui augmente cette humeur noire très dangereuse que ci-dessus nous avons tant détestée4. Le vin gros et trouble ; mêmement le noir, les viandes dures, sèches, salées, aigres, vieilles, brûlées, rôties ou frites ; les chairs de bœuf ou de lièvre, vieil fromage, salures, légumages, principalement les fèves, les lentilles, la mélangienne [mélaspernon, cf. Pline, Histoire naturelle 20, 182], la roquette, les choux, la moutarde. Les Latins nomment radicula ou lanaria, les Grecs phrôthiôn la racinette [sans doute le radis], les aulx, les oignons, les poireaux, les mûres, les carottes, et toutes choses qui échauffent et refroidissent et dessèchent ensemblement, et toutes choses noires L’ire [la colère], la peur, la pitié, la douleur, l’oisiveté, la solitude, et tout ce qui offense la vue, le flair et l’ouïe, et plus que tout les ténèbres. Davantage le trop grand dessèchement du corps, provenant ou de trop longues veillées, ou de grande agitation d’entendement, ou de soin, ou de l’acte vénérien et trop fréquent.

8. Jacques Wimpfeling (1450-1528), Germania (1501) : l’oisiveté mère de tous les vices Qu’est-ce que vos fils ont l’intention de faire, s’ils ignorent tout de la culture littéraire, sans avoir pour autant quelque inclination envers la carrière militaire, ne pratiquant ni le commerce ni aucun autre métier ? Quelle est donc, encore une fois, leur intention, que pourront-ils faire tout au long de leur vie sinon s’abandonner à l’oisiveté, au jeu, au sommeil, à des festins (comme s’ils étaient nés pour consommer tous les biens de la terre), ou encore caresser et déshonorer de pudiques jeunes filles ou d’honnêtes matrones ? A quel Zoroastre ou Zarathoustra, prophète et réformateur iranien (VIe s. v. J.-C.), dénonciateur des pusisances malégiques, exaltant la responsabilité humaine sous le regard de Dieu. 2 Philosophe néopythagoricien d’Asie Mineure (Ier s.). 3 Philosophe néoplatonicien d’origine syrienne (234-305). 4 La mélancolie est dûe, dans le sytème gallénique des humeurs, à un excès de bile noire, c’est -à-dire un excès d’humeur froide et d’humeur sèche).

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vice en effet l’oisiveté n’excite-t-elle pas ? […] Vos fils ne se donnent aucun repos en compagnie des individus les plus grossiers et les plus méprisables, qui s’efforcent de manière inopportune de les soustraire à l’étude des lettres, qui sont à l’affût de la gloire de ceux qui sont manifestement des ennemis de la cité, un poison pour la patrie, ennemis des vertus, amis des vices, défenseurs de l’oisiveté, excitateurs de débauches, incendiaires des passions juvéniles, menant les âmes à leur perdition, naufrageurs de toute magnificence, fléaux pour la jeunesse et pour la République.

9. Léonard de Vinci (1452-1519), Carnets Quiconque dans une discussion invoque les auteurs fait usage non de son intellect, mais de sa mémoire. La bonne littérature a pour auteurs des hommes doués de probité naturelle, et comme il convient de louer plutôt l’entreprise que le résultat, on devrait accorder de plus grande louange à l’homme probe peu habile aux lettres qu’à un qui est habile aux lettres, mais dénué de probité. Le fer se rouille, faute de s’en servir, l’eau stagnante perd sa pureté et se glace par le froid. De même l’inaction sape la vigeur de l’esprit.

10. Sebastian Brant (1458-1521), Nef des fous (Narrenschiff) (1494) : les livres inutiles 1

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Je mène la danse des fous Car suis bien entouré de livres Point lus, auxquels je n’entends rien. Si je suis en proue de la nef Ce n’est pas sans juste raison Et salut à qui bien m’entend : Je m’appuie sur ma librairie En ma maison j’ai forces tomes. Qu’importe si n’y entends mie : Je les tiens en très haute estime, Les époussette, les émouche. Entendant parler savamment, Je dis : « J’ai tout cela chez moi ». Il me suffit pour être aux anges D’avoir autour de moi mes livres. On dit que Ptoléméeavait Tous les livres du monde entier Et les tenait pour son trésor Il les rangeait sur les rayons Et n’en était pas plus savant.

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J’ai autant de livres que lui : Du diable si jamais je lis ! Qu’irais-je m’altérer l’esprit M’empêtrer d’amas de savoir ? L’étude encombre de chimères ! Ne puis-je pas en grand seigneur Payer, qu’on s’instruise à ma place ? Et quoique j’aie l’esprit obtus Lorsque je suis parmi des doctes Je sais dire en latin : « Ita ! » Mais dans le registre allemand Suis plus à l’aise qu’en latin. Je sais que vin se dit vinum Cocu gucklus, stultus crétin, Me fais appeler « docte sire » : Je n’ai qu’à cacher mes oreilles, Nul n’y verra l’âne au meunier.

11. Léon Hébreu (1460-1521), Dialogues d’amour (1535) … quand l’âme est interposée entre le corps et l’entendement, c’est à dire quand elle se conjoint, unit et assemble avec ledit entendement, l’âme reçoit en sa partie supérieure toute l’intellectuelle lumière, de laquelle l’inferieure demeure privée et est entièrement obscurcie, parquoy le corps, n’étant illuminé de l’âme, perd l’essence, et l’âme se délie du corps […] et est très juste et raisonnable que de si parfaite union de l’âme et de l’entendement s’ensuive la dissolution de la liaison de l’âme avec le corps. […] Puis donc que l’âme humaine est atteinte de deux Amours (l’un qui l’incline à la beauté de l’entendement, et l’autre à la beauté portraite au corps) il s’ensuit qu’elle […] est déliée d’avec lui : dont survient la mort…

Didier Erasme de Rotterdam (c. 1467-1536) 12. Eloge de la folie (1511) Théâtre de la folie universelle (§ 31) […] Ce sont mes clients, ces vieux qui ont atteint l’âge de Nestor et perdu toute forme humaine, et qu’on voit balbutiant, radotant, les dents cassées, le cheveu blanchi ou absent, […] malpropres, voûtés, ridés, chauves et édentés, sans menton, s’acharner à goûter la vie. Aussi se rajeunissent-ils, l’un en teignant ses cheveux, l’autre en portant perruque, celui-ci par des fausses dents peut-être prises à un cochon, celui-ci en s’amourachant d’une pucelle et en faisant pour elle plus de folies qu’un tout jeune homme […]. Mais le plus 4

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charmant est de voir des vieilles, si vieilles, si cadavéreuses qu’on les croirait de retour des Enfers, répéter constamment : « La vie est belle ! » Elles sont chaudes comme des chiennes ou, comme disent volontiers les Grecs, sentent le bouc. Elles séduisent à prix d’or quelque jeune Phaon, se fardent sans relâche, ont toujours le miroir à la main, s’épilent à l’endroit secret, étalent des mamelles flasques et flétries, sollicitent d’une plainte chevrotante un désir qui languit, veulent boire, danser parmi les jeunes filles, écrire des billets doux. Chacun se moque et leur dit ce qu’elles sont, archifolles. En attendant, elles sont contentes d’elles, se repaissent de mille délices, goûtent toutes les douceurs et, par moi, sont heureuses. Je prie ceux qui les trouvent ridicules d’examiner s’il ne vaut pas mieux couler sa douce vie en cette folie que de chercher, comme on dit, la poutre pour se pendre. Bien entendu, le déshonneur qu’on attache à la conduite de mes fous ne compte pas pour eux ; ils ne le sentent même pas, ou n’y font guère attention […]. Il n’y a point de mal quand on ne sent rien. Le peuple entier te siffle ; ce n’est rien, si tu t’applaudis, et seule la Folie t’y autorise. (§ 32) Je crois entendre ici les philosophes réclamer : « C’est précisément fort malheureux qu’on soit tenu ainsi par la Folie dans l’illusion, l’erreur et l’ignorance. » Mais non, c’est être homme, tout simplement. Je ne vois pas pourquoi ils appellent un malheur d’être né tel, d’être élevé et formé selon la condition commune. Il n’y a rien de malheureux à être ce qu’on est, à moins qu’un homme ne se juge à plaindre de ne pouvoir voler comme les oiseaux, marcher à quatre pattes comme le reste des animaux, ou être armé de cornes comme...


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